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Syrie… La guerre en perspectives

L. Trusk & L. Camus

vendredi 20 septembre 2013

Le spectre des frappes américaines – la France comptant pour du beurre - en Syrie semble temporairement s’éloigner mais la menace existe toujours, et immanquablement ce cauchemar reviendra hanter nos mauvais rêves éveillés. Le parti de la guerre, dont on constate chaque jours à quel point qu’il détient le monopole quasi absolu de la presse occidentale, reste encore trop puissant pour renoncer maintenant… même si son emprise sur les représentations nationales – élus et classes dirigeantes - semblent s’amoindrir notamment sous l’effet d’une réprobation voire d’une hostilité de l’opinion qui s’affirment de plus en plus à travers les « réseaux sociaux », la presse samizdat et la contre-culture de la Toile.

Il n’existe à ce jour aucune preuve tangible de la responsabilité du pouvoir syrien dans l’attaque chimique du 21 août à la Ghouta, culpabilité qui était censée légitimer des frappes coalisées contre Damas. S’il en existait, elles seraient déjà sur la table et le fameux « rapport » de l’Onu – désespérément muet sur cette question cruciale - n’aurait pas manqué de les mettre en avant. À défaut de preuve, les meutes médiatiques ont donc donné de la voix. Et les folliculaires sont montés en première ligne sur le front de la « guerre morale », succédané de la guerre juste des années 2000. Croisade qui a pris son plein essor avec les Printemps arabes et le recours systématique depuis 2003, dans les guerres d’agression, du « droit d’ingérence humanitaire ».

Une notion ancienne née de la guerre du Biafra – 1967/1970 – mais reprise à la fin des années quatre-vingt-dix par le bon Dr Kouchner et Rony Brauman, fondateurs de l’Ong Médecins sans frontières, tout deux chauds partisans de l’intervention armée contre la Syrie loyaliste. Les mêmes puritains du démocratisme qui dénonçaient il y a peu en Égypte la déposition du Frère Morsi par l’armé comme une illégalité majeure. Bref les contradictions n’ont jamais gêné les idéologues ni les médiacrates grâce auxquels nous venons d’assister à une formidable séquence d’acrobaties manipulatoires… de celles qui enchantent les spectateurs lucides que nous nous efforçons d’être. C’est en effet une ahurissante opération d’enfumage que nous venons de vivre ces derniers jours et en direct sous la forme d’une tentative caractérisée de « viol des foules par la propagande », selon la formule sans équivoque du franco-soviétique Serge Tchakotine [1883/1973]. Viol presque accompli, à quelques heures près, mais aussitôt suivi d’une débandade générale à laquelle M. Hollande n’a toujours manifestement rien compris

« Tu mens comme à la radio »… adage populaire soviétique

La propagande consiste – rappelons-le - à tétaniser toute pensée individuelle par un pression psychologique intense exercée sur l’opinion. La répétition inlassable du même message formant le principe de base de tout conditionnement mental. Pratiquée aujourd’hui avec une capacité de nuisance surmultipliée par les nouveaux médias audiovisuels et télématiques, sa puissance perverse n’est évidemment plus à démontrer… d’autant que le terme même de « propagande » a disparu du vocabulaire [principe de la novlangue, faire disparaître les mots pour effacer la réalité]. Il n’est donc pas inutile d’en rappeler les trois premiers principes : premièrement « plus c’est gros, mieux ça marche ». Le coup de l’attaque chimique sans preuve aucune en est ici une illustration exemplaire. Ensuite - deuxième principe – il s’agit de marteler ad nauseam deux ou trois slogans mécaniques suscitant une réaction émotionnelle jusqu’à ce que le « dernier des arriérés mentaux l’ait parfaitement assimilé ». Procédure utilisée avec l’instrumentation du faux massacre de Timisoara en Roumanie, de Račak au Kossovo et bien d’autres, telles les couveuses du Koweït, ceci afin porter en conclusion des accusations à vocation létales [1].

Troisième principe, le plus pernicieux, finalisant les deux premiers : ceux-ci fabriquent des hordes d’idiots utiles, des désinformés qui deviennent à leur tour des désinformateurs tout en créant un phénomène d’unanimisme - ou de conformisme - qui entraîne l’ensemble de l’opinion, ou en tout cas la sidère ! À ce stade, impossible d’aller contre une opinion commune universellement partagée. Ainsi se crée des polices de l’esprit auto engendrées et auto-entretenues. Prière de ne pas aller alors à contre sens de l’opinion dominante sauf à se faire écharper ou, à tout le moins, à s’exposer à de sévères déboires. Ainsi en France, quelques rares politiques s’étant risqués à marquer leur opposition aux frappes, et à ce titre jugés trop tièdes par la police de la pensée, de la promotion de la vertu et de la proscription du vice, se sont vus traiter de « munichois », un comble ! Rien, nous le voyons, n’arrête la propagande de guerre ses excès les plus vils, surtout lorsqu’elle ne dit pas son nom. Reste que l’information circule, volens nolens, à flots continus sur la Toile et que les mensonges perdent tendanciellement du terrain.

Pourquoi l’Amérique dite démocratique voulait-elle foudroyer la Syrie ?

Les médias non seulement mentent ouvertement mais pire, ils ne disent pas tout, ils mentent en fait par omission ce qui représentent en gros 70% de leur activité. Or, à l’évidence Washington éprouve l’amère sentiment de la défaite. En un mot, les dirigeants américains sont bien forcé de constater que l’influence que l’Amérique exerçait en Orient, s’essouffle dangereusement, qu’elle perd du terrain en Syrie dans une interminable guerre multi fronts. Guerre où les États-Unis sont indirectement engagés depuis 2011 derrière l’écran de la sous-traitance locale et régionale : schématiquement, les Frères musulmans en Égypte, en Tunisie et au Maroc, Otan en Libye, Français au Mali, Wahhabites qataris et séoudiens associés aux “musulmans modérés” du Turc Erdogan en Syrie, tous dûment pilotés et armés par le Pentagone associé au Département d’État. Ne parle-t-on pas de « diplomatie armée » à propos du Département d’État ?

Certes l’Amérique d’Obama et de Wall Street ne veut ni ne peut perdre la face. Car cet avant-goût de défaite stratégique en Syrie acquiert subrepticement, dans la conjoncture actuelle, une dimension mondiale. Mise en perspective sur deux décennies, le manque-à-gagner syrien prend un singulier relief. Car il vient conclure une longue série de revers et de déboires : en Libye (symbolisé en septembre 2012 par l’assassinat de l’ambassadeur Christopher Stevens dans un bâtiment consulaire théoriquement ultra protégé), ou bien en Égypte avec l’élimination brutale (de ses alliés) les Frères musulmans, en Turquie où l’instabilité du pouvoir apparaît en plein lumière. En fin de mécomptes, la guerre en Syrie qui pourrait devenir – selon toute vraisemblance - le point de bascule fatal. Soit le « point culminant », au sens de Clausewitz, à partir duquel les courbes et tendances commencent à s’inverser. Dit Autrement, tous les efforts que les É-U y déploient actuellement semblent désormais ne plus devoir produire que des effets de plus en plus inverses aux buts recherchés.

La guerre en Syrie revêt donc actuellement le visage d’une première « bataille d’arrêt » d’envergure dans la vaste trajectoire conflictuelle qui se dessine depuis la fin de l’Union soviétique en 1991 entre la Fédération de Russie et les Administrations américaines successives. Confrontation froide qui se solde - en lieu et place des régimes attendus de la Terre promise démocratique – d’une installation pérenne du chaos en Afghanistan, au Waziristân (Zones tribales du Pakistan), en Irak, en Libye, au Yémen, en Somalie, au Sud Soudan, et cætera.

Rapportée à la Région du Proche Orient, la perspective insupportable d’une défaite géopolitique pour Washington s’inscrit de surcroît dans une relative absence d’intérêts vitaux à défendre… notons à ce sujet que l’exploitation des gisements de schistes bitumineux sur le territoire américain devraient en principe réduire la dépendance des É-U aux hydrocarbures du Golfe. Hormis, les intérêts – déclarés sécuritaires - des très encombrants et turbulents alliés locaux – Israël pour ne pas le nommer ou l’Arabie wahhabite - dont il faut bien admettre que l’insignifiance géopolitique apparente domine ou surplombe encore et toujours les décisions de la Maison Blanche ainsi que les réflexions des thinks tanks washingtoniens. Il est par conséquent totalement exclu d’imaginer la fin de cette trajectoire conflictuelle quelle que soit l’issue de la guerre de Syrie. Et parmi les issues possible, il en est une que nous ne pouvons ne pas retenir : celle justement du retour en force d’une menace de frappes balistiques.

De quelles frappes anti régime était-il question ?

Le terme de « frappes », dont abuse le réductionnisme politique et propagandiste, laisse supposer qu’il suffit de presser sur un bouton pour régler l’affaire. Rien de plus dangereusement erroné. On notera qu’a priori, sur un plan strictement militaire, l’annonce très à l’avance de tirs de missiles de croisière et des bombardements ciblés - et les retarder de jour en jour - constitue une véritable hérésie parce que cela en amoindrit largement la portée et en affaiblit l’efficacité, surtout si l’on entend pratiquer la « frappe de décapitation  » [2]. Ne serait-ce qu’en donnant aux futurs bombardés toute latitude pour prendre les contre-mesures adaptées. En outre ajouter des délais aux délais instille – dans les états-majors et l’opinion - un doute déplorable quant à la volonté réelle d’agir. C’est bien ce qui s’est passé récemment en dépit de la logorrhée des gens de presse qui s’égosillent à crier victoire là où la reculade est patente.

Toujours concernant les « frappes », le mot joue psychologiquement sur la perception d’une surpuissance militaire telle qu’elle interdirait automatiquement toute forme de réaction. Rien de plus faux également. La toute puissance de la machine militaire américaine n’a nullement empêché une débâcle finale, et littéralement une fuite au petit matin blême, quand les dernières troupes exfiltrées d’Irak ont franchi la frontière koweïtienne… Fuite désastreuse d’Irak et débâcle en Afghanistan, pas de quoi pavoiser. Dans les deux cas la toute puissante Amérique [Mighty America] s’est trouvée « disqualifiée » dans des conflits asymétriques qu’elle s’est montrée piteusement incapable de gérer. Souvenons nous de Scott Ritter ex agent de la CIA et du Mossad, ancien membre de l’équipe d’enquête des Nation Unies [UNSCOM], qui avait pronostiqué dès 2003 que les Américains quitteraient la Mésopotamie « la queue entre les jambes ». c’est chose faite. Une prédiction au demeurant inscrite dans le code génétique et le mode opératoire imprégnés d’hybris [démesure] des idéologues de Washington et de l’Establishment néoconservateur.

À l’heure actuelle, en ce qui concerne l’auteur des frappes annoncées - mais non encore consommées - la situation se présente sous un jour nouveau… beaucoup plus redoutable que dans les guerres précédentes car il se trouve face à une armée syrienne qui résiste ! De l’inédit, car contre toute attente et depuis plus de deux ans et demi, l’armée de conscription d’El-Assad tient bon et supporte tous les assauts lancés contre elle. Après deux ans et demi de combat la rébellion n’occupe pas plus de 40% du territoire malgré les milliards investis par les monarchies wahhabites et les dizaines de milliers de combattants djihadistes qui convergent de tous les horizons du Dar al-Islam. Cette résistance représente pour les États-Unis une véritable première dans l’histoire récente. Ceux-ci n’ont en effet jamais rencontré depuis le Vietnam [1954/1975] de véritables adversaires… pas plus Milosevic que Saddam, pas plus le régime de Mollah Omar que le Chamelier fou. La constante stratégique veut en effet que la guerre au XXe siècle finissant et XXIe commençant, se soit toujours faite du fort au faible. Et quand le faible à l’outrecuidance de résister et de rendre les coups, il est derechef qualifié de « terroriste » et, horresco referens, de « déloyal » !

En ce qui concerne la Syrie, l’armée yankee est pour l’heure en situation d’aveuglement face à un adversaire parfaitement aguerri par deux cruelles années de combats incessants. Aveugle singulièrement en ce qui regarde les intentions exacte des forces syriennes et de leur commandement politique : faire le gros dos ou réagir violemment et dans quelles proportions. Une cécité plus grande encore pour ce qui de leurs capacités réelles de défense et de rétorsion. Le président Bachar a ainsi prévenus que les acteurs d’un conflit élargi sont potentiellement multiples et qu’ils comprennent d’incontrôlables organisations non gouvernementales pouvant s’attaquer de leur seule initiative aux intérêts américains et occidentaux, et fort loin du théâtre officiel des opérations. Propos repris par Sergei Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, qui de son côté, en cas de frappes sur la Syrie, a prédit une « explosion de terrorisme dans la région ». Déclaration à prendre au sérieux quand on voit l’intensification de la guerre inter-communautaire en Irak où les morts se comptent par centaines chaque semaine.

La guerre en proie au principe quantique d’incertitude

Mais qui veut frapper doit s’attendre – quand même - à une contre-frappe, étant entendu la réponse ne se situe pas forcément sur le même plan, et peut le cas échéant consister en des actions plus inattendues, touchant n’importe quel point de vulnérabilité de l’attaquant… et celui-ci d’évidence n’en manque pas !

In fine, la supériorité technique des États-Unis est aussi un des aspects les plus tenaces de son mythe, parce qu’elle n’a de réalité vrai que dans la mesure où l’adversaire n’est pas à sa hauteur ou de sa force… toujours et uniquement dans le cas normal d’un conflit « asymétrique » ! Précisément dans le cas syrien, la suprématie air/mer/espace/cyberzone des forces américaines apparaît hélas comme triplement menacée. Elle l’est d’abord par l’indéniable compétence de l’armée syrienne loyaliste tenant avec brio face aux actions combinées particulièrement vicieuses des services spéciaux occidentaux [israélo-anglo-américains, turcs, français et séoudiens] en appui logistique et à l’encadrement - jusque sur le terrain - des rebelles et des mercenaires recrutés dans toutes les banlieues du quart-monde.

Supériorité également remis en cause par la jeu de la Russie qui fait, peu ou prou, directement ou indirectement, partager à la Syrie de ses propres avancées en matière d’armement… même si a contrario, pour créer un climat favorable à une désescalade, Moscou a annoncé la suspension de ses livraisons à Damas de systèmes de défense anti-aérienne hypersoniques S300. Des engins auxquels les forces américaines ne se sont jamais trouvées confrontées… pas plus qu’aux redoutables missiles antinavires Yakhont de dernière génération. Un degré d’incertitude jamais atteint qui a indéniablement freiné les ardeurs d’un Pentagone déjà peu chaud à l’idée de s’engager dans une confrontation – même très limitée dans le temps - pouvant déboucher sur un détestable inconnu, tel une nouvelle guerre régionale à nouveau ingérable.

Imaginons un instant les conséquences géopolitiques que pourraient, ou auraient pu entraîner des frappes - aussi « contrôlées » aient-elles été – compte tenu du fait que le régime syrien bénéficie de soutiens internationaux ouvertement déclarés… et accessoirement d’autres plus ou moins implicites. La Chine et l’Inde font peut parler d’elles, elles n’en sont pas moins présentes et actives sous la surface des apparences. Ce soutien – implicite - englobe d’ailleurs une grande partie des pays émergeants, c’est ce qu’a dévoilé le G20 au cours duquel une nette ligne de démarcation s’est dessinée entre un bloc occidentaliste sur la défensive – pour ne pas parler de désarroi – face à quatre milliards d’hommes qui commencent à contester un ordre mondial à présent dépassé. Un monde unipolaire obsolète que la suprématie du dieu dollar et des armes américaines leur imposaient jusqu’alors. Or qui ne voit que ces deux dimensions de la puissance tutélaire sont à présent plus que battues en brèche ? Lâchés par leurs opinions de plus en plus réticentes à gober les mégas mensonges de l’armée supplétive des médiacrates – qui n’osent même plus invoquer la « Communauté internationale » en renfort de leurs bobards - le camp oligarchique des tenants de la guerre se retrouve peu à peu très isolé. À tel point que M. Hollande - et son personnel de maison – se découvre seul et à poil hors de la tranchée. Et ce n’est pas le pitoyable exercice télévisuel du dimanche 15 septembre qui démentira ce triste constat !

Défis insurmontables auxquels les stratèges américains doivent faire face

En résumé, ceux qui ont en charge la mise en œuvre de frappes éventuelles –c’est-à-dire qui portent aussi la responsabilité de leurs conséquences - se trouvent en situation de devoir « gérer » contradictoirement plusieurs contraintes : primo l’incertitude stratégique qui vient d’être évoquée ; deusio, convaincre le politique qu’aucun résultat militaire ou politique n’est acquis à l’avance. Bref que tout opération de « punition » est profondément est intrinsèquement aléatoire…même en termes de communication. Qu’il s’agisse de décapiter l’état syrien (honni), de soulager la pression pesant sur ses alliés combattants soit les bandes rebelles dites “libres”, ou encore de mettre à terre les infrastructures vitales au régime. Pour mémoire en Yougoslavie ce sont les centrales électriques civiles qui furent traitées à la bombe au graphite, ce qui constituait un authentique crime de guerre dont les Nations Unies ne se sont pas émues pour autant ni le moins du monde. Équivalent des tirs d’artillerie destinés à préparer (naguère) le terrain, ces frappes auraient été – ou seront - comme toute frappe massive faiblement discriminée ; en un mot, en infiniment moins précises que ne l’affirme les dépliants commerciaux des marchands d’armes. Elles devraient ou pourraient occasionner un grand de victimes que la morale occidentale s’empressera de passer par pertes et profits à l’instar des centaines de milliers de victimes irakiennes des nobles guerres à « zéro mort » (chez l’agresseur) de 1991 et 2033 et de leurs terribles séquelles humaines.

Bref, les tirs de missiles devraient être évidemment coordonnés avec une contre-offensive généralisée des rebelles, ceux-là mêmes qui n’admettent par principe aucune forme de négociations, pas plus que le dernier compromis de Genève Lavrov/Kerry relatif au désarmement chimique de la Syrie. La guerre si elle a lieu, maintenant ou plus tard, promet par conséquent d’être missilière d’abord, et immanquablement néolithique ensuite. Ce qu’elle est déjà avec ses massacres à l’arme blanche, des fanatiques qui dévorent les viscères des ennemis tombés, les viols systématiques de chrétiennes ou leur mariage forcé… Grand avantage, cette guerre doperait l’industrie de l’armement et de la recherche par le renouvellement des réserves et l’adaptation aux ripostes d’en face !

En attendant la suite…

Quel que soit le niveau de succès apparent des frappes à venir – si elles surviennent quelque jour - et dans le cas où le dirigeant visé était effectivement éliminé, leur effet majeur se mesurera d’abord au plan international par une profonde vague de haine anti-américaine et anti-occidentale. Prévaudra également le sentiment qu’il n’existe plus aucune barrière pour contenir l’iniquité des puissances de l’Ouest, et surtout pas celle de la légalité internationale, pour être protégé d’un éventuel « renvoi à l’âge de pierre » (Cf. le plan Morgenthau, Secrétaire au Trésor de Roosevelt, qui en 1944, entendait appliquer cette doctrine humaniste à l’Allemagne vaincue et accessoirement à la France reconfigurée dans sa version mérovingienne), comme ce fut très explicitement prévu et exécuté pour l’Irak, tout comme de facto pour la Libye, l’Afghanistan... Ce contexte d’anarchie internationale suscitera des choix et positions antagonistes de la part des peuples du Proche orient qui d’une façon ou d’une autre nous en ferons payer le prix. Souvenons-nous du rude « choc pétrolier » de 1973, suite et conséquence immédiate de la Guerre d’Octobre, dite Guerre de Kippour.

Au niveau des politiques, cette perception sera encore plus forte dans la mesure où la chute éventuelle du régime syrien sera interprétée comme préfigurant celle d’autres régimes… accessoirement algérien et plus sûrement iranien. Puis la mise en ébullition du Caucase et de l’Asie centrale en usant de l’arme islamiste – tchétchène certes, mais pas seulement - en vue d’atteindre au cœur, un jour proche ou lointain, le régime russe… lequel énerve tout particulièrement, et depuis des lustres, les anciens refuznik soviétiques reconvertis dans les Fonds spéculatifs [hedge funds] grâce auxquels ils se sont taillés de bonnes places au soleil dans les cimaises de l’élite américaine. Il s’agira aussi d’atteindre le régime chinois, tant qu’à faire, qui est déjà officiellement, et depuis longtemps, inscrit au rang d’ennemi principal.

Par voie de conséquence rien n’empêchera plus une coagulation accélérée d’alliances destinée à neutraliser une menace atlantiste devenue permanente et ne laissant aucune autre alternative. Par trois fois au XX° siècle l’Europe et le monde ont connu des phénomènes comparables - fruits pourris de l’inconséquence des gouvernements de l’époque - qui poussèrent les Nations occidentales à s’entre-tuer allègrement. L’effet géopolitique de frappes contre la Syrie précipitera immanquablement la constitution de cette bipolarité évoquée plus haut, dans le contexte d’une mutation globale qui opposera le monde dominant d’hier à celui émergeant de demain. Rien de ceci ne relève d’une hypothétique prévision. Il s’agit du scénario le plus probable, ni plus, ni moins. Bien sûr, la guerre universelle ne sera pas nécessairement au rendez-vous, les moyens et les voies non militaires de “containment“ [encerclement, endiguement] seront en premier lieu privilégiés. Parce que la rationalité n’est pas tout à fait absente du calcul politique – au grand dam il est vrai des idéologues - nul n’ignore que les conflits armés ouverts ne sont plus aujourd’hui contrôlables au-delà d’une certaine intensité ou d’une certaine ampleur géographique. À éviter donc autant que faire se peut, et c’est là le cas de figure auquel nous venons d’assister : le schéma des « frappes » comportaient trop d’incertitudes et les Russes se sont montrés trop présents à proximité de l’éventuel champ de bataille, le Pentagone l’a donc emporté - pour le moment - sur le Département d’État, relais des groupes de pression et des oligarchies activistes.

Quand la main gauche veut ignorer ce que fricote la main droite

Finalement n’oublions pas que les États-Unis sont encore une grande Nation. Il existe assurément en son sein nombre d’esprits lucides, conscients des implications et des conséquences d’engagements armés sans nécessité ni fondements réels. Ce n’est pas El-Assad l’agresseur, n’est-ce pas ? De profondes dissensions se sont faites jour à l’occasion de cette veillée d’armes planétaires au sein de la classe politique américaine, Démocrates et Républicains confondus, à telle enseigne que si le Congrès était actuellement consulté, il s’opposerait certainement à toute intervention contre Damas. Sinon pourquoi en avoir repoussé le vote ? Un vote par ailleurs non nécessaire mais qu’Obama, peu sûr de ses arrières, tenait à engranger pour justifier son futur Prix « Nobel de la Guerre » !

Par bien des aspects, l’actuelle crise syrienne rappelle celle des missiles de Cuba au cours de laquelle le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev, par une savante manœuvre sur fond d’une effrayante montée aux extrêmes – la confrontation nucléaire finale fut quelques heures durant à l’ordre du jour - finit par concéder au président Kennedy une apparente victoire morale et politique. Alors que les Soviétiques semblait céder en retirant sans barguigne leurs missiles nucléaires de Cuba, sans bruit les États-Unis retirait de leur côté leurs missiles pointés sur l’URSS depuis la frontière nord de la Turquie. Jamais pourtant les médias de l’époque n’évoquèrent cet aspect - aussi déterminant que capital - du dénouement de la crise. À ce stade on pourrait même aller jusqu’à imaginer que les missiles soviétiques ne furent déployés à Cuba que pour permettre et d’aboutir à ce résultat, c’est-à-dire au retrait des vecteurs américains à moyenne portée… Maintenant, seule l’histoire diplomatique nous dira – peut-être et beaucoup plus tard – ce que recouvre aujourd’hui la volte face de l’Amérique dans le dossier faisandé des armes chimiques de Damas. Dans le domaine des relations internationales, seuls les rapports de puissance et la subtilité des joueurs déterminent la configuration des champs de force… C’est finalement ce qui ne s’aperçoit pas, ce dont nul ne parle qui se révèle surdéterminant, véritablement décisif dans la répartition des rôle et le travail souterrain des tensions architectoniques à l’œuvre dans la décomposition et la reconfiguration des blocs et ensembles géopolitiques.

L. Trusk & L. Camus

Notes

[1Le grand théoricien du conditionnement « publicitaire » des foules aura été Gustave Le Bon [1831/1931], physicien (l’un des découvreurs de la conversion énergie/matière cf. « L’évolution de la matière » 1905) et génial psychosociologue (« Psychologie des foules » 1895 et « Psychologie du socialisme » 1898), repris et pillé par le neveu de Freud, Edward Bernays » [1891/1995], notamment in « Propaganda » 1928, et ultimement par Serge Moscovici in « L’Âge des foules : un traité historique de psychologie des masses » 1981.

[2Des tentatives de frappes de décapitation furent couronnées de peu de succès : ainsi en 2003 l’offensive contre l’Irak débutait par l’opération « Décapitation » visant le Raïs Saddam Hussein. Un avion furtif F-114 larguait le 20 avril à l’aube quatre bombes EGBU-27 d’une tonne chacune, guidées par GPS sur le palais présidentiel à Bagdad. Quelques jours auparavant, le 9 avril, Saddam Hussein devant commémorer la naissance du parti Baas dans le quartier Al Mansour, l’information transmise à Tel-Aviv, 45 minutes après Pentagone dépêchait sur place un bombardier B1 protégé par des F16 à 15 heure, heure locale, l’appareil largua 4 bombes JDAM guidées par satellite de 906 Kg chacune. Sans résultat.

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