Et alors ? Les États-Unis et les puissances régionales, en particulier l’Inde et Israël, doivent réévaluer de toute urgence leurs stratégies de sécurité à la lumière de l’évolution des alliances. Les décideurs politiques doivent se préparer à un environnement de défense multipolaire dans lequel des coalitions modulaires remplacent les hiérarchies traditionnelles, ce qui nécessite des réponses diplomatiques et militaires flexibles.
L’accord de défense mutuelle stratégique (SMDA) signé le 17 septembre 2025 entre le Pakistan et l’Arabie saoudite marque un tournant décisif dans l’architecture sécuritaire de l’Asie occidentale et méridionale. Loin d’être un accord bilatéral ordinaire, ce pacte représente un réalignement stratégique en pleine évolution, façonné par l’influence croissante de la Chine, le déclin de l’hégémonie américaine et le remaniement des positions stratégiques de l’Inde et d’Israël. En qualifiant toute agression contre l’une des parties d’attaque contre les deux, le SMDA redéfinit la dynamique de dissuasion dans le corridor Gulf-Asie du Sud et pourrait servir de noyau à un cadre multilatéral plus large si d’autres États arabes y adhèrent, comme l’a laissé entendre le ministre pakistanais de la Défense, Khawaja Asif. [1] Les détracteurs soulignent la divergence du pacte par rapport à l’OTAN en raison de sa nature bilatérale, de son manque d’intégration institutionnelle et de ses obligations ambiguës ; cependant, rejeter toute analogie revient à ignorer complètement les continuités cruciales dans l’évolution de l’alliance. Les pactes de défense bilatéraux, tels que les premiers accords entre les États-Unis et le Royaume-Uni et entre les États-Unis et le Canada, ont historiquement évolué vers des systèmes multilatéraux, ce qui suggère qu’une trajectoire similaire est envisageable ici.
De plus, l’ambiguïté de l’engagement, loin d’être un défaut, peut constituer un atout dissuasif. Parallèlement, la combinaison de la puissance financière saoudienne et des capacités militaires et nucléaires pakistanaises génère une complémentarité stratégique crédible. Bien que la SMDA ne dispose pas des structures formelles de gouvernance et de commandement de l’OTAN, son potentiel d’institutionnalisation progressive sous la pression régionale souligne son importance analytique en tant que mécanisme de sécurité proto-collectif et symbole de la multipolarité changeante dans le lien sécuritaire entre le Golfe et l’Asie du Sud.
Tirer parti du parapluie de défense chinois sans alliance formelle
L’un des fondements de ce pacte réside dans les manœuvres stratégiques du Pakistan visant à se positionner efficacement sous le parapluie de défense de la RPC sans formaliser d’alliance militaire directe. Au fil des décennies, la RPC et le Pakistan ont cultivé un partenariat fondé sur les transferts d’armes, la coopération nucléaire et l’accès aux ports et aux forces navales afin d’approfondir leurs liens stratégiques dans les mers Indo-Pacifique et Arabique. Ce pacte utilise l’Arabie saoudite comme pont, intégrant l’un des principaux partenaires économiques de la RPC dans le Golfe dans un lien trilatéral qui amplifie indirectement l’influence chinoise. En tirant parti des liens économiques et militaires sino-saoudiens, le Pakistan renforce ses capacités de dissuasion vis-à-vis de l’Inde et de l’Occident, obtenant ainsi des garanties plus sûres tout en pouvant nier de manière plausible l’existence d’une alliance formelle. [2]
Cet accord illustre la « déviation stratégique », qui permet à la RPC d’étendre son influence militaire en Asie occidentale sans s’engager ouvertement. Il profite également à l’Arabie saoudite en diversifiant ses partenariats en matière de sécurité au-delà des garanties occidentales traditionnelles, en obtenant un certain soutien technologique et politique de la part de la RPC, tout en renforçant la posture défensive du Pakistan — un exemple clair de stratification géopolitique à plusieurs niveaux.[3]
L’OTAN arabe : une voie subtile vers la formation d’une coalition
Le concept longtemps envisagé d’une « OTAN arabe » a échoué à plusieurs reprises en raison des divergences idéologiques, des rivalités entre dirigeants et des perceptions incompatibles des menaces entre les États arabes. L’accord stratégique de défense mutuelle (SMDA) conclu entre l’Arabie saoudite et le Pakistan en 2025 offre toutefois une voie plus subtile et plus souple vers cette aspiration, non pas par le biais d’une alliance formelle, mais par le biais d’accords bilatéraux modulaires qui pourraient former collectivement une mosaïque de sécurité à travers le monde islamique. [4] Si le pacte saoudo-pakistanais ne dispose pas de la structure de commandement permanente, du multilatéralisme codifié et de la profondeur institutionnelle qui caractérisent l’OTAN, il n’en constitue pas moins un projet pilote pragmatique pour la formation d’une coalition. Sa nature bilatérale permet aux États méfiants à l’égard des traités rigides de s’engager dans une coopération progressive en matière de défense, créant ainsi une « coalition de volontaires » adaptée aux réalités régionales plutôt que de reproduire les modèles occidentaux. La continuité historique renforce sa plausibilité : la coopération en matière de sécurité entre l’Arabie saoudite et le Pakistan remonte à 1967 et s’est intensifiée après le siège de la Grande Mosquée en 1979, lorsque les forces pakistanaises ont aidé les troupes saoudiennes. L’accord bilatéral de coopération en matière de sécurité de 1982 a institutionnalisé cette relation par le biais de formations, de conseils et de déploiements de troupes impliquant parfois plus de 20 000 soldats pakistanais, ainsi que par l’achat massif par l’Arabie saoudite d’équipements de défense pakistanais. Ainsi, bien qu’il ne s’agisse pas d’une « OTAN arabe » dans sa structure, le SMDA marque une étape embryonnaire dans une approche adaptative et fondée sur l’expérience de la construction d’une coalition islamique dans un ordre géopolitique en pleine fragmentation.
Remettre en cause l’hégémonie américaine en Asie occidentale
L’aspect le plus audacieux de l’accord de défense mutuelle stratégique (SMDA) est peut-être qu’il remet implicitement en cause la domination américaine en Asie occidentale. Ce pacte reflète la stratégie de couverture de l’Arabie saoudite face au manque de fiabilité perçu des États-Unis, un sentiment qui s’est accru à la suite d’événements récents où l’engagement de Washington envers la sécurité du Golfe est apparu incertain. La recherche par Riyad de partenariats de sécurité diversifiés, notamment avec le Pakistan et, indirectement, la République populaire de Chine, annonce l’émergence d’une architecture multipolaire moins dépendante de la primauté militaire américaine. [5] La dimension nucléaire, bien que non reconnue officiellement, ajoute à la complexité de la dynamique régionale de dissuasion : toute extension perçue des capacités de dissuasion du Pakistan à l’Arabie saoudite, même implicite, pourrait affaiblir l’avantage qualitatif d’Israël et compliquer la diplomatie américaine en matière de contrôle des armements.[6] Cependant, il n’existe aucune preuve vérifiable que le Pakistan ait étendu son parapluie nucléaire à Riyad ; les deux États ont évité de confirmer un tel accord. Les allégations de « chantage nucléaire » ou de transferts nucléaires tactiques restent spéculatives et ne sont pas corroborées par des sources officielles. Interrogé sur l’implication des États-Unis, le ministre pakistanais de la Défense a précisé qu’aucune consultation avec des tiers n’était nécessaire, soulignant que le SMDA est un pacte défensif et non hégémonique.
La déclaration commune soulignait[7] « l’engagement commun à renforcer la paix et la sécurité régionales et mondiales » et invoquait le « devoir sacré » de protéger les lieux saints en Arabie saoudite[8]. Ainsi, bien que le SMDA remette en cause le monopole stratégique de Washington, il reste dans les limites d’une coopération défensive plutôt que d’un réalignement explicite de la dissuasion nucléaire.
Conséquences pour Israël et l’Inde
Pour Israël, l’accord stratégique de défense mutuelle (SMDA) entre l’Arabie saoudite et le Pakistan remet en cause son hypothèse de longue date selon laquelle il jouit d’une supériorité nucléaire incontestée dans la région, même s’il n’existe aucune preuve que cet accord comporte une dimension nucléaire. Si les stratèges de Tel-Aviv vont probablement réévaluer l’équilibre régional des pouvoirs, le scénario d’une menace nucléaire directe du Pakistan envers Israël reste hautement improbable, car la crédibilité de la dissuasion repose sur des capacités et des intentions vérifiables[9]. Néanmoins, Israël pourrait intensifier sa coopération en matière de renseignement et sa planification d’urgence, compte tenu des capacités militaires avancées du Pakistan et de l’assurance croissante de l’Arabie saoudite.
Si les stratèges de Tel-Aviv vont probablement réévaluer l’équilibre régional des pouvoirs, le scénario d’une menace nucléaire pakistanaise directe contre Israël reste hautement improbable, car la crédibilité de la dissuasion repose sur des capacités et des intentions vérifiables.
Pour l’Inde, le SMDA représente davantage une préoccupation stratégique mesurée qu’une crise immédiate. La clause de défense mutuelle du pacte introduit de nouvelles variables dans la gestion des crises régionales, mais ne modifie pas encore la posture de dissuasion de l’Inde. La réponse de New Delhi a été prudente et institutionnelle : le ministère des Affaires étrangères a affirmé qu’il examinerait les implications du pacte pour la sécurité nationale et régionale tout en préservant les intérêts de l’Inde[10]. En tant que démocratie dynamique dotée de forces armées professionnelles sous contrôle civil, les délibérations de l’Inde en matière de sécurité nationale sont fondées sur le consensus et accordent la priorité à l’autonomie stratégique, à la sécurité énergétique et à la stabilité dans la région du Golfe[11].
Impact sur l’Asie du Sud
L’accord stratégique de défense mutuelle (SMDA) a des répercussions sur le fragile équilibre sécuritaire de l’Asie du Sud. La confiance renforcée du Pakistan en matière de sécurité, soutenue par la coopération saoudienne, pousse l’Inde à réajuster certains aspects de son autonomie stratégique et de sa préparation à la défense[12]. Si les inquiétudes concernant une éventuelle course aux armements et la prolifération persistent, rien ne prouve concrètement qu’une course aux armements soit sur le point de voir le jour. Au contraire, les acteurs régionaux surveillent de près l’évolution de l’équilibre afin d’évaluer les implications à long terme pour la dissuasion et la diplomatie. Le pacte met également en évidence la tendance croissante vers des partenariats de sécurité flexibles et axés sur des questions spécifiques, une approche de plus en plus évidente dans le paysage multipolaire de l’Asie. Si de tels accords peuvent fragmenter les cadres de sécurité existants, ils offrent également aux petits États une plus grande marge de manœuvre et une résilience coopérative sans les contraintes d’alliances rigides, marquant une adaptation progressive aux réalités géopolitiques contemporaines.
Implications régionales et mondiales élargies
Le pacte de défense entre le Pakistan et l’Arabie saoudite ne se contente pas de redéfinir les alliances locales, il a également des répercussions diplomatiques complexes à l’échelle mondiale. Pour le Pakistan, cet accord apporte un soutien financier et stratégique indispensable, tirant parti de la puissance économique et de l’influence politique de l’Arabie saoudite pour renforcer ses capacités militaires et sa position régionale. Du point de vue d’Islamabad, il ne s’agit pas seulement d’un accord de sécurité, mais d’un coup de pouce stratégique qui renforce également le soft power de l’Arabie saoudite, lui conférant un soutien politique plus large dans les forums à majorité musulmane et mondiaux, intensifiant ainsi le poids diplomatique et la posture dissuasive d’Islamabad, en particulier vis-à-vis de l’Inde[13].
À l’inverse, la motivation de l’Arabie saoudite transcende la simple assurance militaire. Le pacte constitue une couverture stratégique face au retrait perçu des États-Unis d’Asie occidentale et à la fluctuation des politiques américaines à l’égard du Golfe, en particulier après les frappes aériennes israéliennes sur le Qatar et le conflit actuel à Gaza[14]. Les dirigeants saoudiens considèrent l’accord de défense mutuelle comme un signe que Riyad trace une voie indépendante en matière de sécurité et diversifie ses partenariats, réduisant ainsi les risques d’une dépendance excessive à l’égard de Washington. En outre, le ministre pakistanais de la Défense a qualifié l’Afghanistan de pays hostile apportant un soutien secret et ouvert à des entités telles que Tehrik e Taliban Pakistan (TTP) et l’Armée de libération du Baloutchistan (BLA) afin de déstabiliser le Pakistan. La coopération en matière de sécurité entre les deux pays remonte à 1967 et s’est intensifiée après le siège de la Grande Mosquée en 1979, lorsque les forces spéciales pakistanaises ont aidé les troupes saoudiennes à reprendre Masjid al-Haram. En 1982, cette relation a été officialisée par un accord bilatéral de coopération en matière de sécurité, qui a facilité la formation, le rôle de conseil et le déploiement de troupes pakistanaises en Arabie saoudite[15]. À certains moments, jusqu’à 20 000 soldats pakistanais étaient stationnés dans le royaume, tandis que l’Arabie saoudite est également devenue un acheteur important d’équipements de défense pakistanais.
Ces dernières années, ce partenariat a pris une importance accrue dans un contexte régional troublé. Tout récemment, lors de la réunion du Comité mixte de coopération militaire qui s’est tenue à Riyad en février 2025, le comité s’est engagé à élargir les programmes de formation et les échanges militaires. Ce pacte institutionnalise donc une coordination militaire permanente par le biais de comités mixtes, de partage de renseignements et de programmes de formation, officialisant ainsi le rôle du Pakistan en tant qu’acteur de la sécurité dans le Golfe, avec une influence qui s’étend au-delà de sa sphère traditionnelle en Asie du Sud[16].
L’aspect nucléaire de l’accord stratégique de défense mutuelle (SMDA) entre l’Arabie saoudite et le Pakistan reste ambigu. Si certains commentaires, notamment l’analyse d’Ahmed Rashid dans le Washington Post (2025), spéculent sur un éventuel parapluie nucléaire pakistanais pour Riyad, le texte du traité lui-même ne fait aucune référence à la coopération nucléaire[17]. L’absence de dispositions explicites signifie que ces affirmations restent sans fondement. Néanmoins, même la perception d’une collaboration nucléaire potentielle introduit une sensibilité dans les équations régionales de dissuasion, obligeant Israël, l’Iran et l’Inde à réévaluer leurs positions en matière de sécurité. Par conséquent, les discussions sur un « parapluie nucléaire » restent spéculatives, soulignant la nécessité d’une transparence pour éviter les erreurs d’appréciation et l’escalade[18].
Du point de vue de l’Inde, ce pacte nécessite une réévaluation stratégique. Le commerce bilatéral entre l’Inde et l’Arabie saoudite a atteint environ 41,88 milliards de dollars au cours de l’exercice 2024-2025, les exportations indiennes s’élevant à 11,76 milliards de dollars et les importations à 30,12 milliards de dollars. L’Arabie saoudite accueille environ 2,5 millions d’expatriés indiens, qui envoient d’importantes sommes d’argent, ce qui la place parmi les principales sources des 135 milliards de dollars de transferts de fonds de la diaspora indienne dans le monde pour l’exercice 2025[19]. Par conséquent, si les relations commerciales et énergétiques avec l’Arabie saoudite restent solides, celle-ci étant l’un des principaux fournisseurs de pétrole brut de l’Inde, l’alignement bilatéral en matière de sécurité avec le Pakistan exacerbe les défis stratégiques de l’Inde. [20] New Delhi est confrontée au double défi de gérer des relations diplomatiques complexes avec Riyad et Islamabad, ce qui nécessite une coopération renforcée avec des alliés clés tels que les États-Unis, Israël et la Russie. La possibilité d’une intervention saoudienne ou de coalitions régionales plus larges dans tout conflit indo-pakistanais accroît l’incertitude dans la dynamique de sécurité et la gestion des crises en Asie du Sud.
Conclusion
Le pacte de défense entre le Pakistan et l’Arabie saoudite représente un cadre naissant plutôt qu’une alliance pleinement constituée. S’il témoigne d’une convergence stratégique croissante et pourrait servir de noyau à une future structure de défense collective arabe ou islamique, il reste loin d’être une « OTAN arabe » tant par son essence que par son ampleur. Son importance réside dans le fait qu’il initie un réalignement progressif qui étend subtilement l’influence régionale de la Chine, réduit l’exclusivité des États-Unis et oblige Israël et l’Inde à se réajuster. Bien qu’embryonnaire, ce partenariat en évolution pourrait, à terme, façonner l’architecture de sécurité multipolaire émergente de l’Asie occidentale et méridionale.













