Le 21 octobre 2025 a marqué une première historique pour le Japon. La Diète japonaise a élu Takaichi Sanae, chef du Parti libéral démocrate (PLD), à la plus haute fonction du pays. En tant que première femme Premier ministre du Japon, Takaichi apporte un nouveau souffle à un pays qui a connu des difficultés en matière d’égalité des sexes, en particulier dans le domaine politique. Mais en tant que Premier ministre, Takaichi devra s’attaquer à un programme complexe. D’ici la fin de la semaine prochaine, elle rencontrera les dirigeants des États-Unis, de la Chine, de la Corée du Sud et d’autres pays lors d’une série de réunions multilatérales asiatiques.
Mais la tâche la plus difficile reste peut-être la gestion de la politique intérieure. Takaichi dirige un parti qui a fortement perdu en popularité, et de nouveaux partis plus jeunes ont émergé, remettant sérieusement en question l’idée selon laquelle seul le PLD est capable de proposer de bonnes idées pour gouverner le Japon. Les lourdes pertes enregistrées lors des élections à la Chambre basse et à la Chambre haute l’année dernière ont contraint le PLD à former un gouvernement minoritaire. La coalition de longue date avec le Komeitō a été utile, mais elle s’est effondrée lorsque le président du Komeitō, Saitō Tetsuo, n’a pas réussi à obtenir l’accord de Takaichi pour limiter le financement des partis politiques par les entreprises. Takaichi s’est excusée d’avoir perdu le Komeitō, mais elle s’est rapidement attelée à la formation d’une nouvelle coalition avec l’Ishin no Kai (Parti de l’innovation du Japon). Cela lui a assuré le soutien nécessaire pour devenir Premier ministre, mais le document de coalition publié lundi suggère qu’il reste encore du travail à faire pour clarifier les objectifs communs. Les dirigeants d’Ishin, Fujita Fumitake et le gouverneur d’Osaka Yoshimura Hirofumi, ont déclaré dimanche à leurs membres qu’ils attendraient de voir comment le PLD tiendrait ses promesses. Takaichi devra gérer cette nouvelle relation avec prudence afin de garder ce nouveau partenaire à ses côtés.
Au sein de son parti, la nouvelle Première ministre japonaise a également des ponts à construire. Trois des quatre candidats à la direction du PLD font partie de son nouveau cabinet. Le quatrième, Kobayashi Takayuki, est devenu président du très influent Conseil de recherche politique du PLD. Mais la question plus large de l’identité du parti pourrait prendre du temps à se résoudre. Une série de scandales liés à l’argent en politique (seji to kane), des divergences croissantes sur les priorités politiques et des rivalités personnelles persistantes continuent de tourmenter les conservateurs. La demande de nouvelles règles de financement des partis politiques émane des partis d’opposition, mais aussi de son propre parti. Les défis économiques figureront sans aucun doute en tête de sa liste de priorités, compte tenu des préoccupations exprimées par les électeurs japonais concernant le coût de la vie, mais il n’y a pas de consensus au sein du PLD sur la manière de financer l’aide à court terme aux ménages tout en élaborant une stratégie de croissance à plus long terme. Lorsque le PLD gouvernait avec la majorité législative, seul ou en coalition avec le Komeitō, ces divergences pouvaient être gérées en interne. Mais désormais, Takaichi devra conclure des accords avec les partis d’opposition pour faire adopter le budget du gouvernement et légiférer sur de nouvelles initiatives politiques, tout en maintenant l’alignement de son propre parti et de son nouveau partenaire de coalition.
La nouvelle Première ministre japonaise aura également un programme chargé en matière de politique étrangère. Elle devrait accueillir le président Donald J. Trump à Tokyo ce week-end, un cadre confortable pour une nouvelle Première ministre. Mais ce sont ses propres préférences politiques qui garantiront probablement le succès de cette rencontre. Mme Takaichi s’est consacrée à l’amélioration des défenses du Japon et est l’auteure du document du parti LDP qui préconisait la décision du Japon d’augmenter ses dépenses de sécurité à 2 % du PIB. Elle est optimiste quant à l’alliance entre les États-Unis et le Japon et a souligné, après avoir remporté la direction de son parti, son intention de s’appuyer sur les accords de coopération trilatérale en matière de sécurité conclus avec la Corée du Sud, l’Australie et les Philippines. Takaichi et Trump devraient trouver un terrain d’entente dans leur position belliciste à l’égard de la Chine.
Les talents diplomatiques de Takaichi seront mis à l’épreuve à Séoul, où elle devrait rencontrer les dirigeants de deux importants voisins régionaux, la Chine et la Corée du Sud. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a déclaré que la Chine espérait « que le Japon honorerait ses engagements politiques sur des questions importantes telles que l’histoire et la question de Taïwan ». Takaichi est depuis longtemps une fervente défenseuse des relations entre le Japon et Taïwan. Le président taïwanais Lai Ching-te a également félicité Takaichi pour sa nomination au poste de Premier ministre.
Le président Lee Jae-myung, hôte de la réunion de l’APEC, a félicité Mme Takaichi pour sa victoire et a exprimé son espoir qu’elle poursuive la diplomatie itinérante qui s’est récemment avérée efficace pour rapprocher le Japon et la Corée du Sud. Dans le passé, Mme Takaichi a critiqué les revendications de la Corée du Sud à l’encontre du Japon concernant les séquelles non résolues de la guerre.
Mme Takaichi Sanae a passé plus de trente ans dans des fonctions électives avant de devenir la dirigeante du Japon. Elle a occupé à plusieurs reprises des fonctions au sein du gouvernement japonais, notamment celle de ministre d’État chargée de la sécurité économique. Elle est connue pour son sens politique, son style direct et son attachement indéfectible aux valeurs conservatrices traditionnelles. Elle n’est pas issue d’une famille de politiciens ; elle s’est frayé son propre chemin dans le labyrinthe des rivalités entre les partis conservateurs dominés par les hommes. Elle cite Margaret Thatcher comme modèle et Abe Shinzō comme mentor.
En tant que Première ministre du Japon, elle est confrontée à une série de défis politiques et stratégiques que peu de gens lui envient. Elle devra gouverner en minorité, consolider une nouvelle coalition et préparer son parti à faire son retour lors des prochaines élections. Takaichi devra aider les citoyens japonais à se sentir plus en sécurité sur le plan économique tout en restructurant les finances nationales. À l’étranger, Takaichi devra s’associer à Trump pour maintenir intacte l’alliance cruciale du Japon, alors même que l’ordre régional et mondial vacille. Elle devra également faire face à un nouvel axe mondial qui menace les intérêts du Japon : l’alignement stratégique de la Chine, de la Russie et de la Corée du Nord.
Ce n’est pas une tâche pour les âmes sensibles, quel que soit leur sexe.