Brouillard des alliances et des contre-alliances
Cependant dans l’épais brouillard des alliances et des contre-alliances, se dessinent malgré tout des saillants reliefs ineffaçables : Ankara frappe ceux qu’elle qualifie elle-même de terroristes, en vérité parce qu’ils coupent les lignes de ravitaillement de Daech (rebaptisées « corridor humanitaire » à Kiev ce 15 février par Davutoglou, le Premier ministre turc qui ne manque décidément pas d’air) révélant du même coup – pour ceux qui l’ignoreraient encore – où sont ses véritables intérêts… anti-occidentaux et contra-civilisationnels. Washington s’affole et « exhorte la Russie et la Turquie à éviter toute « escalade » [2]. Certes éjecter la Turquie, État foncièrement perturbateur, de l’Alliance atlantique ne serait pas aisé, quoique… Et pourtant si Paris, Bruxelles, Londres, Berlin et Washington ne sont pas capables de rappeler à l’ordre leur allié Turc, et s’ils se montrent à ce point impuissants à le neutraliser par une élémentaire mesure de prévention et de salubrité géostratégique, et bien les dirigeants occidentaux doivent s’attendre à ce que l’association des fanatismes, celui de Ryad et celui d’Ankara, ne conduise directement aux pires catastrophes.
À ce jour la décision des Séoudiens de lancer une opération terrestre contre l’ÉI aux côtés de l’armée turque est annoncée comme « définitive et irrévocable ». Déjà des avions de guerre séoudiens sont arrivés à pied d’œuvre sur la base d’Incirlik où ils côtoient les appareils de l’US Air force [3]. Dans un entretien publié dans le quotidien allemand Handelsblatt, le Premier ministre russe, Dimitri Medvedev, a pour sa part menacé l’Arabie Saoudite et les ÉUA d’une « guerre mondiale » eu égard à l’intention arrêtée de Riyad d’expédier des troupes en Syrie [ibid.]… « Toutes les opérations terrestres, en règle générale, mènent à des guerres permanentes. Considérez l’Afghanistan et nombre d’autres pays. Je ne parle même pas la malheureuse Libye. Les Américains doivent savoir s’ils veulent une guerre permanente ou non »… « Nous devons faire asseoir [au besoin par la contrainte la plus forte] tout le monde à la table des négociations… plutôt que de commencer une autre guerre mondiale » [4].
C’est on ne peut plus clair. Autant dire que nous nous trouvons à une croisée des chemins et que nous devrions tous mettre nos gouvernants au pied du mur de leurs responsabilités. Qu’ils ne viennent pas nous chanter ensuite qu’ils ne savaient pas, que rien n’était prévisible ! En ce qui concerne l’Iran, l’entrée en lice des troupes turco-séoudiennes constituerait sans la moindre équivoque un casus belli. L’on sait que les Gardiens de la Révolution combattent aux côtés des forces loyalistes de l’Armée arabe syrienne, non seulement pour soutenir le régime bassiste mais également parce que la guerre de Syrie est indirectement dirigée sans la moindre équivoque, contre l’Iran. Autant dire que l’embrasement de la région ne tient plus qu’à une étincelle [5].
Dégâts collatéraux
Un langage, celui de Medvedev, que les occidentalistes n’aiment guère entendre. En réalité la guerre, celle de la communication et de l’intoxication fait déjà rage, surtout à l’encontre de ces misérables Russes dont l’action a jeté une lumière crue sur la duplicité des coalisés turco-occidentalo-arabes et sur leur complicité objective avec les organisations terroristes combattantes de l’ÉI, d’al-Nosra/al-Qaïda et de l’Armée syrienne libre, faux-nez des Frères musulmans. Ainsi, jusqu’à présent, chaque fois que des civils périssent sous des bombes, celles-ci sont automatiquement supposées ou décrétées de nationalité russe et nécessairement des crimes de guerre [6]. A contrario que le Pentagone détruise avec ses drones un hôpital en Afghanistan ou en Somalie, ce ne sont dans ce cas que de regrettables dégâts collatéraux. Ce serait d’ailleurs ces mêmes bombes russes, et elles seules, qui à Alep jetteraient sur les routes de dizaines de milliers de malheureux que la chancelière Merkel nous enjoint d’accueillir.
Difficile à ce propos de ne pas évoquer la mésaventure de M. Pujadas qui - lors de son Journal télévisé du 4 février sur la chaîne nationale Antenne2 - pour illustrer la précision chirurgicale des bombes intelligentes américains, laissa diffuser une séquence de frappes russes… des images détournées, mensongères, grossièrement maquillées, dont l’origine avait été falsifiée [7]. Un énième trucage montrant que trop souvent nos grands médias, aussi bien du Service public, sont devenus de tristes organes de propagande, et rarement au bénéfice des meilleures causes.
Nous le voyons encore aujourd’hui avec le déferlement médiatique relatif aux roquettes ayant touché un hôpital. Une exploitation qui n’est pas sans rappeler l’attaque chimique de la Ghouta de Damas le 21 août 2013 immédiatement imputé au régime. Fait infirmé depuis mais dont l’empreinte douloureuse est restée imprimée dans l’inconscient collectif. [8] Ne parlons pas enfin – un comble - de ceux qui colportent que Moscou est la meilleure amie de Daech… comme il y a peu encore, l’on pouvait passer à bon compte pour avisé lorsqu’on affirmait avec le regard appuyé de l’initié, que le président el-Assad était le véritable créateur et parrain de l’ÉI ! L’inversion accusatoire constituant une argumentation à ce point monumentale qu’elle laisse ordinairement pantois, sans voix et sans réplique.
La réalité vraie derrière la réalité virtuelle
Si l’on nous montre surabondamment les flots de réfugiés fuyant Alep – des gens qui auparavant semblaient pourtant s’accommoder assez bien de la présence des islamistes radicaux et/ou de l’État islamique – nous continuerons d’ignorer qu’en contrepartie, des quartiers entiers accueillirent les forces gouvernementales en libératrices ! Qu’à l’occasion les vaincus vomissaient dans les micros de reporters distraits ou inattentifs, leur haine des chiites. C’est dire assez que la dimension fondamentalement confessionnelle d’une soi-disant lutte pour la démocratie et les Droits de l’Homme, est largement gommée, occultée, escamotée, parce que non politiquement et non médiatiquement correcte.
Martelons pour ceux qui n’auraient pas encore vraiment tout à fait compris, qu’il ne s’agit pas en Syrie d’une banale et cruelle guerre civile sous couvert d’une rébellion armée contre un régime ayant confisqué le pouvoir au seul profit de la minorité chiito-alaouite. Il n’est donc pas ici question d’une simple lutte idéologique, démocratie contre fascisme, comme voudraient nous le faire croire tous les savants exégètes qui se succèdent sur les plateaux des étranges lucarnes. Sans doute vaudrait-il mieux parler à ce titre d’affrontements interconfessionnels et idéologiques sachant que les rebelles sont essentiellement des sunnites radicaux en guerre - même s’ils ne le crient pas sur les toits - contre les chiites honnis jusqu’à les regarder comme des mécréants à détruire pour les takfiristes d’al-Nosra et de Daech.
Une guerre confessionnelle et idéologique
C’est aussi une guerre idéologique parce qu’in fine le sunnisme dont les rebelles « modérés » se réclament est celui des Frères musulmans, vecteur d’un islam politique dont la nature est d’abord idéologique en tant que moyen de conquête et instrument de pouvoir temporel. À l’instar du wahhabisme de l’ÉI (et de nos banlieues) qui est un sunnisme schismatique, nihiliste et messianique, plus proche en son essence du bolchevisme que de la prédication coranique Martelons pour ceux qui n’auraient pas encore vraiment tout à fait compris, qu’il ne s’agit pas en Syrie d’une banale et cruelle guerre civile sous couvert d’une rébellion armée contre un régime ayant confisqué le pouvoir au seul profit de la minorité chiito-alaouite. Il n’est donc pas ici question d’une simple lutte idéologique, démocratie contre fascisme, comme voudraient nous le faire croire tous les savants exégètes qui se succèdent sur les plateaux des étranges lucarnes. Sans doute vaudrait-il mieux parler à ce titre d’affrontements interconfessionnels et idéologiques sachant que les rebelles sont essentiellement des sunnites radicaux en guerre - même s’ils ne le crient pas sur les toits - contre les chiites honnis jusqu’à les regarder comme des mécréants à détruire pour les takfiristes d’al-Nosra et de Daech.
Par exemple, la Tchéka, l’organe du terrorisme d’État mis en place par Lénine, avait à peu près un programme analogue à celui de l’ÉI : « La Commission extraordinaire… ne juge pas l’ennemi : il le frappe. Nous exterminons la bourgeoisie comme classe... La première question que vous devez poser [à l’accusé], c’est à quelle classe il appartient, quelle est son origine, son éducation, son instruction et sa profession. Ce sont ces questions qui doivent décider de son sort. Voilà la signification et l’essence de Terreur rouge » [9]. Remplacer le mot bourgeois par celui de mécréant (sunnite non wahhabite, alaouite, chrétien, druze, yézidi) et vous aurez un copié/collé du programme takfiriste.
Ajoutons à cela la dimension tricontinentale d’un conflit qui s’étend du Turkestan chinois au Golfe de Guinée via Paris où se mêlent tous les peuples du Vieux Monde et de l’Afrique. Non seulement des focos, des foyers insurrectionnels, sont actifs au Xinjiang et au Nigeria, mais des Brigades internationales sont à l’œuvre en Syrie regroupant quelque cent nationalités, principalement encadrées par des officiers issus de l’ancien empire soviétique tels les Tchétchènes et autres Caucasiens, ou de la Chine populaire marxiste-léniniste avec les Ouïgours. Tous mus, il va sans dire, par un violent amour de la démocratie. Or si le monde s’embrase en conséquence de l’intervention projetée par Riyad et Ankara, à contre-courant des efforts de paix russo-américain, les vœux de M. Attali, cet immense philanthrope, en faveur une Gouvernance mondiale post apocalyptique, se verront peut-être enfin prochainement réalisés. Ce qu’à Dieu ne plaise !