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Le feu aux poudres : Ankara et Berlin une seule et même menace

mercredi 21 décembre 2016

Pour le nouveau président américain D. Trump dont l’élection a été confirmée le 19 décembre par les Grands électeurs en dépit des tentatives sournoises du camp Démocrate pour renverser le vote de la Nation américaine, les derniers attentats d’Ankara et de Berlin constituent une « seule et même menace  ». Appréciation qui fait écho au discours récurrent du candidat à la présidence française, F. Fillon, lequel fait un argument de campagne de dénoncer la menace de l’islam radical porteur d’un authentique risque de guerre mondiale [1]. Des événements qui n’ont en soi rien d’extraordinaires sauf en ce qu’ils frappent maintenant l’Occident et non plus seulement dans la marmite du diable qu’est devenu le Proche Orient en ébullition… Pour n’évoquer que les ultimes épisodes de la guerre terroriste en cours, mentionnons l’attentat suicide qui aura causé 40 morts le 18 décembre à Aden au Yémen  ; le 10 décembre les Faucons de la liberté du Kurdistan lançaient deux attaques à Istamboul, avec pour bilan 44 morts dont 36 policiers et 155 blessés. Le 17 à Kayseri, dans le centre de la Turquie, une voiture piégée explosait au passage d’un transport de militaire, 14 morts et 56 blessés.

La liste est longue et elle ne s’arrêtera certainement pas là. La trêve des confiseurs n’est pas celle des terroristes de tous bords et nos responsables politiques ne l’ignorent pas en dépit de leur débilité, ce pourquoi l’état d’urgence a été prorogé jusqu’en juillet 2017. Or n’ayons aucune illusion, de l’état d’urgence à l’état d’exception il n’y a qu’un pas et en dernier recours, tout sera bon pour éventuellement bloquer le processus électoral afin de barrer la route à un gouvernement teinté de souverainisme et potentiellement démissionnaire de l’Union européenne à l’imitation du Royaume-Uni.

Maintenant quoi qu’en disent les super experts qui prolifèrent dans les médias, l’attentat d’Ankara, dans le présent contexte de surtension internationale, au Levant comme en Mer du Japon, présente d’inquiétantes similitudes avec l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand et son épouse la duchesse de Hohenberg, le 28 juin 1914 à Sarajevo par le soi-disant nationaliste serbe de Bosnie, Gavrilo Princip, personnage éminemment ambigu. Les grands embasements commencent généralement à cause d’une étincelle, or d’aucuns s’emploient en ce moment, de toute évidence, à battre furieusement le briquet - fer sur silex et amadou - craignons donc qu’un vent propice ne propage les flammes des focos [2] qu’ils tentent d’allumer çà et là.

Berlin vraie capitale de l’Europe

Berlin le lundi 19 décembre, un camion immatriculé en Pologne fonce sur le marché de Noël de la Breitscheidplatz au pied de l’église du Souvenir  ! Douze morts, 48 blessés. Attentat perpétré par un réfugié syrien entré en Allemagne en février. Les forces anti-terroristes encercleraient en ce moment même un centre d’accueil pour migrants. Mme Merkel, réélue le 6 déc. à la présidence de la CDU avec 89,5 % des voix, et qui apprécie tant ces “chances pour l’Allemagne”, ces hordes de jeunes hommes entreprenants appelés à revivifier le sang allemand et à combler les déficits démographiques d’une population vieillissante et décadente, doit se désoler car sa réélection en septembre 2017, aux fonctions de chancelier pour un quatrième mandat, pourrait s’en trouver compromise. La pauvre  !

L’attaque rappelle évidemment l’attentat de Nice, qui a fait 86 morts le 14 juillet dernier lorsqu’un poids lourd conduit par Mohamed Lahouaiej Bouhlel a balayé la foule présente sur la Promenade des Anglais pour y assister au traditionnel feu d’artifice. L’État islamique avait revendiqué paraît-il le carnage. Notons qu’en France, le 20 novembre, sept interpellations opérées à Strasbourg et Marseille, avaient peut-être permis de déjouer un attentat de grande ampleur qui devait déjà avoir pour théâtre le marché de Noël de la capitale alsacienne. Or depuis le meurtre rituel du prêtre de l’église de St Étienne du Rouvray, les stratèges de la terreur savent combien il est payant de viser les symboles chrétiens, cela en termes de communication et de sidération des opinions européennes. Populations à la fois tétanisées de culpabilité à l’égard des réfugiés et des populations civiles réputées martyres d’Alep – des Syriens en réalité otages des takfiristes, mais présentées comme des victimes de l’ogre russe et du boucher de Damas – et en même temps révulsées par le monstre islamiste. De quoi rendre les malheureux européens totalement schizoïdes s’ils ne l’étaient déjà quelque peu, en plus d’être amnésiques et quotidiennement décérébrés par des médias ayant perdu toute décence ou toute mesure dans le mensonge et la propagande meurtrière préparant les esprits à la guerre intercommunautaire. Soyons indulgents, entre l’ignorance, la paresse et la bêtise, beaucoup de gens de presse sont des autosurintoxiqués aigus qui ne s’ébroueront que quant le réveil matin de leur opportunisme carriériste se mettra à sonner urgemment.

Ankara

Mevlut Mert Altıntaş
Le policier turc âgé de vingt-deux ans qui a putativement
«  vengé les victimes des atrocités russes en Syrie  ».

L’assassinat très spectacularisé de l’ambassadeur russe, Andreï Karlov, à Ankara [3] par un jeune policier d’une brigade anti-émeutes avant d’être promptement exfiltré – ainsi ne parlera-t-il qu’à qui-de-droit  ! – pour, à ses dires, «  venger le drame d’Alep  »… Une tragédie parmi beaucoup d’autres à l’heure actuelle… et sur laquelle il y aurait beaucoup à dire  ! Notons que cet assassinat est intervenu la veille d’une rencontre de concertation, le 20 décembre 2016 à Moscou, entre les trois ministres des Affaires étrangères de Turquie, d’Iran et de Russie afin de débattre du sort d’Alep et du dossier syrien de manière générale… et alors que Moscou venait - at last - de voter une Résolution du Conseil de Sécurité présentée par la France en faveur d’un contrôle de l’Organisation des Nations unies sur l’évacuation des civils du secteur Est d’Alep. Un vote de bonne volonté intervenant après six vétos successifs sur des Résolutions occidentales relatives au règlement du conflit syrien. Y a-t-il ici une pure coïncidence ou faudrait-il supposer que certaines mains invisibles aient eu tout intérêt à refroidir les relations russo-turques à nouveau distendues par la volonté affichée de l’autocrate Erdogan de n’avoir d’autres buts de guerre en Syrie que d’abattre le régime de Damas… n’ayant au fond cure d’un État islamique, fort utile à l’occasion pour servir la stratégie pantouranienne d’Ankara dans la Région et au Caucase.

La désignation immédiate par les autorités turques – comme responsable de l’attentat - d’un séide du maître soufi Fethullah Gülen réfugié aux États-Unis, ne trompe en fait personne, tous les yeux avertis voyant là une dénonciation à peine déguisée des Services spéciaux américains. De ce point de vue, loin de fâcher Moscou et Ankara, ce meurtre pourrait en réalité et paradoxalement, les rapprocher. Surtout si l’on se place dans l’hypothèse d’une possible sortie de la Turquie du commandement intégré de l’Otan au printemps prochain lors du prochain sommet du Pacte atlantique… Mais à ce stade nous en sommes réduits à des spéculations que nous ne saurions pousser trop loin  !

Des rappels historiques intéressants

L’assassinat d’Andreï Karlov qualifié à juste titre de «  provocation  » par le président Poutine, n’a eu comme précédent que celui d’Alexandre Sergueïevitch Griboïedov en Perse, le 11 février (30 janvier) 1829. À peine installé à Téhéran, l’ambassade russe est assaillie par une foule en furie, Griboïedov est tué et avec lui ainsi tout son personnel diplomatique. Pendant trois jours les émeutiers s’acharnent sur la représentation russe et c’est par miracle que son corps soit identifié grâce à la cicatrice de l’une de ses mains, souvenir d’un duel. L’histoire à retenu que ce saccage aurait été perpétré à l’instigation du docteur McNeill, diplomate et agent de la Couronne britannique en Perse… laquelle voulait évincer la Russie de ce qui allait devenir l’une des chasses gardées de l’Empire insulaire. Nihil novi sub sole.

L’Orient proche n’est guère tendre avec les diplomates anglo-américains pratiquant leurs missions dans le cadre d’un “soft mâtiné de hard power”, une diplomatie discrètement mais fermement subversive qui ne leur réussit qu’à moitié [4]. Ainsi dans la nuit du 11 au 12 septembre 2012, l’ambassadeur américain en Libye Christopher Stevens et trois autres fonctionnaires yankees étaient trucidés et leurs dépouilles brûlées dans une attaque lancée contre leur consulat de Benghazi, à l’est de la Libye. Embarrassé, le Secrétaire d’État Hillary Clinton expliqua qu’il s’agissait de représailles pour la diffusion d’un film blasphématoire par Hollywood. En réalité Chris Stevens se serait principalement préoccupé d’envoi d’armes lourdes, tirées des arsenaux de la défunte Jamahiriya libyenne aux djihadistes syriens, ces terroristes modérés, si chers à M. Fabius, et qui tenaient jusqu’à ces derniers jours Alep Est en otage en en affamant les civils. Bref Benghazi fut vraisemblablement une vaste opération de “cover-up” - dit en jargon du métier - dénoncée à l’époque par le Sénateur John McCain, le même qui deux ans plus tard devait rencontrer ses nouveaux bons amis d’Al Nosra.

Pour mémoire rappelons la fin tragique le 4 septembre 1981de Louis Delamarre, représentant français au Liban, assassiné à bord de sa voiture de onze balles tirées à bout portant. À l’époque, La Voix du Liban avait cru pouvoir affirmer que l’attentat était le fait des Pasdaran, les Gardiens de la révolution iranienne. Leur but aurait été d’enlever le diplomate français en vue de faire pression sur Paris afin d’obtenir que leur soit livré l’ancien président iranien Banisadr et le chef des Moujahidines du Peuple, Massoud Rajawi, résidant en France l’un et l’autre où ils avaient obtenu l’asile politique. Le 23 octobre 1983, le Drakkar, un immeuble abritant le contingent français de la « Force internationale d’interposition » sautait faisant 58 morts parmi nos soldats. L’affaire Delamarre ne fut évidemment jamais élucidé et depuis 1948 et la création d’un État artificiel au Levant, la région reste plus que jamais une poudrière à ciel ouvert qu’un rien pourrait définitivement embraser et nous avec.

LC 20 décembre 2016

Notes

[1Voir entretien «  Le totalitarisme islamique vise à créer les conditions d’une troisième guerre mondiale  » in [atlantico.fr2oct16] et discours du 22 novembre à Chassieu près de Lyon. F. Fillon compare d’ailleurs assez stupidement le wahhabo-salafisme à la menace nationale-socialiste, alors que l’idéologie islamiste est de toute évidence la version orientale du messianisme marxiste-léniniste dont l’objectif était identiquement internationaliste et planétaire. On lira d’urgence sur cette question un texte fondamental «  les Égarés – Le wahhabisme est-il un contre islam  ?  » de l’orientaliste JM Vernochet.

[2Dans la guerre révolutionnaire, les focos sont des foyers de guérilla et de subversion, technique mise en œuvre en Colombie par Che Guevara avec l’insuccès que l’on sait.

[3Andreï Karlov inaugurait une exposition photographique à Ankara dévolue à «  La Russie vue par les Turcs  ». L’ambassadeur en poste depuis 2013prononçait un discours devant les caméras lorsque le tueur lui a tiré dans le dos à plusieurs reprises. Karlov âgé de 62 ans a succombé à ses blessures dans le véhicule qui l’acheminait vers un l’hôpital.

[4Outre Chris Stevens, cinq autres ambassadeurs américains ont été tués dans le cadre de leurs fonctions. En Afghanistan, en février 1979, Adolph Dubs est tué dans l’assaut donné par les forces gouvernementales pour le récupérer après son enlèvement à Kaboul par des islamistes radicaux. En juin 1976 au Liban, l’ambassadeur Francis Melloy est enlevé à Beyrouth avec son attaché économique. Ils sont rapidement tués par un groupuscule libanais désigné comme pro palestinien. Chypre, août 1974, Rodger Davies est tué par balles dans les locaux de l’ambassade à Nicosie pendant une manifestation de Chypriotes grecs qui accusent les États-Unis d’avoir soutenu ou favorisé l’invasion turque de la partie nord de l’île. Mars 1973 à Khartoum l’ambassadeur Cleo Noel, ainsi que son conseiller et le chargé d’Affaires belge, sont pris en otage par un commando palestinien et exécutés deux jours plus tard. Enfin au Guatemala, John Gordon Mein est enlevé en août 1968 puis exécuté par des membres des forces armées rebelles.

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