A la HATVP (Haute autorité pour la transparence de la vie publique), on aime le travail bien fait. Et on sait prendre son temps – celui pour instruire les dossiers déposés par les milliers d’élus, grands et petits, que compte la République. A la page dédiée à Valérie Pécresse sur le site de cette autorité indépendante, aucune déclaration à lire. En revanche, la même mention apparaît depuis des semaines : « Déclaration déposée - publication à venir ». Frustrant pour le citoyen qui veut connaître la réalité du portefeuille de celle qui brigue la fonction suprême, après avoir créé la surprise lors de la primaire LR.
Sollicitée par nos soins, la HATVP n’a pas été en mesure de préciser la date de cette « publication à venir », se contentant de confirmer ce que nous savions déjà par mail : « sa déclaration d’intérêts (1) ne sera rendue publique qu’après vérification, contrôle et examen par le collège de la Haute Autorité, écrit à Blast son directeur de la communication. Ces procédures prennent du temps, justifie le même, compte tenu du volume des déclarations à contrôler et des moyens limités de la Haute Autorité ». Le temps donc, toujours le temps. Résultat, à trois mois du premier tour de la présidentielle, on doit se contenter du « néant » des déclarations antérieures de Valérie Pécresse.
Le retour du néant ?
La championne de la droite doit normalement se fendre de deux déclarations : la première, à l’instruction et dont la « publication [est] à venir », la patronne de Libres ! l’a remplie dans la foulée de sa réélection de juillet 2021 à la tête de la première région de France ; la seconde, comme tous ses concurrents à la présidentielle (2), elle doit la déposer dans les prochains jours. Ces déclarations (de patrimoine, d’intérêts et d’activités) « seront visées par le Conseil constitutionnel et rendues publiques par la Haute Autorité au moins 15 jours avant le 1er tour, indique la HATVP toujours par mail, sans vérification préalable de leur contenu ». Ni contrôle, ni avis donc. Dans ces conditions, la fameuse mention « néant » risque de perdurer.
Une chose est sûre : des actions, Valérie Pécresse en possédait, et même un joli stock. On en trouve la trace dans un document de 2013. A l’époque, la native de Neuilly-sur-Seine est retournée s’asseoir sur les bancs de l’opposition à l’Assemblée nationale. Elle a quitté l’année d’avant le gouvernement dont elle était porte-parole et en charge du Budget, après la défaite de Nicolas Sarkozy face à un François Hollande revenu des limbes. Alors que la députée des Yvelines réapprend la vie d’opposante, celui qui lui a succédé à Bercy au nom de l’alternance, Jérôme Cahuzac, figure montante de la social-démocratie française, va déclencher un séisme à ses dépens. On se souvient de cet incroyable épisode au terme duquel le ministre de l’Economie et des Finances de la France est obligé suite aux révélations de Médiapart de quitter piteusement la scène, débusqué avec ses mensonges et son argent planqué en Suisse. En réaction à ce scandale majeur, le pouvoir socialiste promulgue une loi pour restaurer la confiance des citoyens et empêcher que pareille affaire ne se reproduise. Vendue comme une mesure phare, la création de la HATVP est annoncée en avril 2013. Désormais, la classe politique française devra montrer patte blanche sur ses intérêts et son patrimoine à travers des déclarations vérifiées par la nouvelle autorité administrative indépendante.
Expier Cahuzac...
C’est donc à ce titre – pour oublier en quelque sorte les errances de son successeur au Budget - que Valérie Pécresse, comme ses collègues, dépose sa première déclaration courant 2013. Dans ce document que Blast a retrouvé, deux multinationales sont citées au titre de ses participations financières : Imerys et Alstom. Mines, énergies et transports composent donc ce solide portefeuille. A la main, la déclarante évalue à 1,2 million d’euros la valeur de ses participations dans la première société, créée à l’origine par la famille Rothschild et contrôlée majoritairement par des capitaux belges, mais se déclare incapable d’estimer celle du paquet Alstom détenu avec son mari. Une curiosité validée telle quelle par la toute nouvelle autorité de contrôle. Elle ne se reproduira pas : c’est la première et dernière fois que ces participations apparaissent dans une déclaration produite par l’ancienne conseillère de Jacques Chirac.
Depuis qu’elle a conquis l’Ile-de-France fin 2015, bastion qui lui a servi de base de repli jusqu’en 2019 (quand les vents mauvais à LR lui étaient défavorables, sous la présidence de Laurent Wauquiez) puis de tremplin vers un destin qu’elle espère élyséen, Valérie Pécresse a remis deux autres déclarations à la HATVP : une pour sa première élection à la présidence de la Région, la seconde après sa réélection en juillet dernier.
Si la dernière est en cours d’instruction on l’a vu, celle de 2016 a disparu. Cette situation, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique n’y est pour rien. Elle applique les décisions du législateur : les déclarations sont consultables le temps du mandat, et ne le sont plus après. Sur le site de la HATVP, le document a été retiré cet été. Pour la seconde, et celle qui suivra dans la foulée pour la présidentielle, on peut prendre un pari : on n’y apprendra pas grand-chose, mieux vaut prévenir. La raison est simple : après avoir battu le socialiste Claude Bartolone et fait basculer l’Ile-de-France à droite en 2015, Valérie Pécresse s’est organisée pour « invisibiliser » ce patrimoine. Le résultat tient du tour de magie. En 2013, la députée déclarante est riche grâce à ses actions. Trois plus tard, en 2016, plus rien, « néant » pour la nouvelle présidente de région ! Volatisées, les participations financières...
Alors, que s’est-il passé ? On s’interroge et on émet des hypothèses… Un revers de fortune ? Faut-il en déduire que ces actions ont été vendues ? Valérie Pécresse et son époux, le couple, la famille ont pu faire face à un impératif, comme ça arrive quand on traverse une passe plus difficile… A moins que ces actions aient été monopolisées pour un investissement ? Une maison, peut-être ? Ou une propriété... Autant arrêter là : il n’en est rien. En réalité, Valérie Pécresse a trouvé une astuce pour les faire disparaître des déclarations auxquelles la loi l’oblige depuis 2013.
Une urgence toute personnelle
Quand elle prend pied au siège du conseil régional de rue Barbet-de-Jouy à l’étage réservé à la présidence, une fois désignée le 18 décembre 2015, l’élue de droite est face à un immense chantier. Tous ceux qui ont vécu une alternance politique de l’intérieur savent ce que cela impose. Si elle siégeait déjà à la Région et ne débarque pas totalement en terre inconnue, prendre la main sur un tel paquebot ne se fait pas d’un claquement de doigts. C’est une séquence complexe qui laisse peu de temps à soi. Du temps, dans ce moment singulier, Valérie Pécresse en trouve au moins pour régler une urgence personnelle : en janvier 2016, elle créée une fiducie dans laquelle elle transfère immédiatement ses participations financières. Désormais, selon les règles de la fiducie, ce mécanisme équivalent aux trusts américains, c’est à la banque de gérer ce portefeuille pour et à la place de la future candidate à l’élection présidentielle. Cette priorité réglée, celle-ci peut se consacrer à son destin politique.
Voilà donc comment, au moment où sa carrière prenait un nouveau départ à la région Ile-de-France, envol décisif qui l’amène jusque devant le perron de l’Elysée, Valérie Pécresse a décidé d’organiser la gestion de ses actions. Et comment, par la grâce de ce montage mis en œuvre au même moment, la déclarante peut renseigner en 2016 cette mention « néant » sur les étonnantes déclarations qu’elle produit. C’est encore le cas en 2017 dans celle déposée cette fois auprès de la déontologue de la Région. Nous l’avons retrouvée, celle-là.
Le 4 février 2017, la présidente de la région Ile-de-France signe une seconde déclaration d’intérêts, celle-là déposée auprès de ses services en vertu des règles qu’elle a elle-même édictées, dans laquelle elle écrit « néant » à la ligne (5) réservée aux participations financières « dans le capital d’une société ».
La situation de Valérie Pécresse et sa fiducie posent plusieurs problèmes. Le fait que ce mécanisme soit autorisé par la loi depuis peu en France et que la HATVP valide ce montage nous paraît, eu égard à l’élection présidentielle, déontologiquement insuffisant. Nous avons cherché à savoir si la HATVP était à l’origine de cette gestion ou si les services de Valérie Pécresse à la Région île de France avaient recommandé cette solution à la déclarante pour régler un possible cas de conflit d’intérêts. La HATVP n’a pas souhaité nous éclairer sur ce point particulier, se retranchant derrière la confidentialité des échanges avec les élus/déclarants.
La réponse à cette question nous a été apportée ce lundi par Jean-Marc Zakhia. Ce membre du premier cercle est le conseiller de Valérie Pécresse depuis son passage au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (2007-2011). L’ex-communicant d’Euro RSCG l’a ensuite suivie à Bercy quand elle était en charge du Budget dans le gouvernement de François Fillon. Jean-Marc Zakhia nous a rappelés après un premier échange aussi matinal que rapidement écourté avec la principale intéressée. Ce fidèle l’affirme : « Ça a été fait par elle, spontanément. Et tout ça est déclaré à la HATVP et sous contrôle de l’administration fiscale ».
Selon les informations dont nous disposons, il y a un monde entre la réalité et ce tableau d’une Valérie Pécresse dont l’un des principaux marqueurs de fortune affiche « néant ». Au minimum, en 2016 et 2017, ce sont plusieurs centaines de milliers d’euros détenus par le couple Pécresse qui ont disparu des déclarations de la championne de la droite (et de la droiture) républicaine. Enfin, sur le plan politique et moral, et sur celui du lien et de la relation aux Français, recourir à une technique de type Trust, dispositif dont la principale vertu est de masquer les propriétaires et bénéficiaires réels, paraît incongru au temps de la transparence. Une question lourde de sens pour une candidate : ce secret cache-t-il autre chose ?
(1) Selon les règles définies par le législateur, seules les déclarations d’intérêts sont rendues publiques pour les présidents de collectivités territoriales. Leurs déclarations de patrimoine ne sont en revanche pas accessibles aux citoyens, contrairement à celles des membres du gouvernement et des parlementaires - consultables pour ces derniers uniquement sur demande, en préfecture.
(2) Parmi les acteurs de la bataille présidentielle, seul Emmanuel Macron en a publié une le 9 décembre dernier en tant que président de la République. Une déclaration de patrimoine rendue publique au Journal officiel au titre de la fin de son mandat et non pas en tant que candidat - qu’il n’est officiellement toujours pas, à ce jour.