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L’exportation de la démocratie de Marché en Iran

L’auto affirmation du jeune Iran

mercredi 30 décembre 2009

Comment exprimer au mieux l’état d’esprit de l’Iran des Lumières, au sens de celles dont les Français aiment se réclamer ?
Sur quelles complaisances et quelles données psychologiques et matérielles repose la politique iranienne des Etats-unis ? Quels sont les pièges tendus par cette administration, mais aussi par les entreprises privées états-uniennes mobilisées, qui vampirisent ce que l’éditorialiste Roger Cohen, qualifie d’ « Amérique interne de l’Iran » ?
 [1]

Comment le candidat favori de la gauche, Dominique Strauss-Kahn, entend-il maintenir son avertissement belliciste que « l’on mesure à quel point les Américains se sont trompés de cible, la menace ne venait pas de l’Irak, mais de son voisin perse. » ? On notera sa volonté à ne pas employer immédiatement le terme de « perse », trace d’une imprégnation que la mythologie républicaine ne peut effacer dans le temple de la finance internationale !

Les chats persans, film underground présenté en Europe et contant l’histoire d’un groupe de rock désireux d’émigrer, les acteurs jouent leur propre rôle.

La bourgeoise iranienne, comme le clergé chi’ite avant l’Imam Khomeiny, souffle la révolte, pour affermir son quiétisme, à savoir la doctrine que le repos (quies-quietis en latin) est la moindre des vanités dans un monde périssable. Et, dans le but de conserver ses aises au détriment de la nation même, fait feu de tout bois contre la tyrannie, non d’un homme, mais d’un système. C’est l’Islam positif qui est refusé par ceux que l’époque salue comme les « nouveaux Iraniens », tout comme ils veulent voir dans tel ou tel candidat de l’opposition un autre La Fayette capable de figurer dans le tableau d’un 14 juillet téhéranais, et de sacrifier sur l’autel de la patrie de toutes les fraternités occultes, dont l’Occident est rempli depuis trois siècles !
Le choix, pour la jeune génération, est en effet entre l’Iran des assemblées et un Iran cyclopéen, comme Homère décrit ces cyclopes bâtisseurs de murailles et « qui sont indifférents les uns aux autres ». [2] Notre poète et critique d’Art Baudelaire l’a suffisamment bien exposé, dans le cadre de l’exposition universelle de 1855 : « le pauvre homme est tellement américanisé… qu’il a perdu la notion des différences qui caractérisent les phénomènes du monde physique et du monde moral, du naturel et du surnaturel » [3]

« Un monde spirituel garantit seul au peuple la grandeur »

Martin Heidegger (1889-1976), fils de sacristain du village de Messkirch, a discerné l’Américanisation comme signe de la cessation du pouvoir de l’esprit

Touchant l’ordre islamique, la question est de savoir s’il est bon ou mauvais, ou si ce n’est, comme le déduisent avec conséquence les anarchistes, l’ordre même qui serait un mal de la liberté humaine, sa négation, et la rongerait jusqu’à son dernier soupir. En Europe nombreux sont les intellectuels qui paraissent sur les plateaux télévisés ou aux tribunes qui ont ce fonds d’idée. Il n’est pas nouveau ; il a fait la Révolution, il a aussi défait ses chefs, et c’est de lui que le prix Nobel de Littérature Anatole France, dans son roman édité en 1912, a pu dire que « les Dieux ont soifs » de son sang.

A l’opposé, en Europe, nous avons le chancelier de Cour et d’Etat autrichien Metternich et toute la galerie allemande des penseurs idéalistes ou leurs échotiers des pays voisins, jusqu’en Angleterre, Thomas Carlyle, etc, qui assurent que la religion est le premier devoir de la société, et qu’il s’agit non pas de dissoudre la religion dans une philosophie, ou l’inverse, mais de renforcer « une philosophie de la religion », c’est-à-dire qui reconnaît la vérité de la religion, tout comme il existe une philosophie de l’art ou de la nature.
C’est du fascisme, diront nos plus vieux lecteurs qui n’ont connu que Franco ou son voisin portugais. Les plus jeunes exposés au chômage ou les gens mûrs qui pressentent une catastrophe d’après le sol mouvant de l’économie et le paupérisme évident, ont une vue plus instinctive ou directe : ils sont, de la France à l’Iran, comme l’animal que Platon dit, à cet égard, le plus philosophe de l’espèce non humaine, le chien insensible aux caresses des inconnus et qui aboie à toute senteur suspecte. Heidegger, s’il leur est présenté, ce dont on se garde, leur est plus compréhensible qu’aux vieilles barbes avinées de 1968 qui ont tué de Gaulle, sans jamais savoir qu’ils jouaient dans une tragédie.
« Un monde spirituel garantit (verbürgt) seul au peuple la grandeur » [4]

Notez bien que le philosophe ne dit pas : donne ou accorde, procure, comme l’eût écrit un théologien religieux ou un prophète laïque, mais en ami de la terre, écrit qu’il « garantit », parce qu’il suppose tout peuple, comme un champ, exposé au danger du laisser-aller, aux incertitudes et aux lourdeurs du complais-toi toi-même, caricature cynique de Socrate que la psychanalyse et les prétendues sciences humaines, pour lesquelles la langue n’est qu’un fantôme de formes vides et non un nid, affectionnent, mais aucunement les sciences exactes contraintes aux hypothèses, alors que les premières s’embourbent dans des dogmes futiles.

Choisir l’Iran

On exalte dans le monde, par des expositions, le passé plurimillénaire de l’Iran avant de l’étrangler, et l’on converse avec lui comme le loup déguisé en sa Mère-grand dans le conte du « Petit-Chaperon rouge » de Charles Perrault.
Le jeune Iran regarde-t-il les grandes oreilles et les dents nucléaires de la marine américaine sans méfiance, comme fit la petite fille qui paya de sa vie pareille naïveté ? « Mère-grand pourquoi avez-vous de grandes dents ? »

Mais notre langue est plus déliée, et nous reprenons, à l’adresse des jeunes iraniens subjugués, cette parole du réveil, qui, dans le texte original semble projeter les graves accents de la plus haute musicalité que sa patrie produira jamais, car elle a un ressort de grandeur :
« Le commencement est encore. Il ne gît pas derrière nous, comme ce qui a été depuis très longtemps, mais il se dresse devant nous. Le commencement est, comme le plus grand, dans ce qui, d’avance, est passé par-dessus tout ce qui arrive, et donc aussi déjà par-dessus nous-mêmes. Le commencement est tombé dans notre futur, il s’y tient comme la plus lointaine disposition par-dessus nous-mêmes d’atteindre la grandeur. » [5]

Sur les ruines de la démocratie apparente se dessine le trait majestueux, l’idéal esthétique même de la démocratie réelle qui est de vouloir devenir un grand peuple. Nous la disons esthétique, car elle repose comme la beauté sur une sensation, une perception directe, qui a toujours fait que les philosophes préféraient que l’âme soit première dans son village matériel, pour approcher de l’unicité de Dieu, que la seconde dans la caricature de Rome que nous présente le cyberespace des idoles se substituant à la Vénus génitrice qui enfanta seule la Ville éternelle. C’est dans cette perspective de grandeur que nous reconnaîtrons l’auto affirmation du jeune Iran !

Identité ou unité de l’Iran ?

Lord Curzon (1859 -1925)

Sinon que fera le fantôme de l’iran, dans 20 ou 30 ans ? Il tendra la main aux Occidentaux pour son équipement énergétique, cependant que le territoire, par le soin de ceux qui auraient alors brisé partout révolutionnairement l’unité ou l’autonomie des nations, pourra bien oisivement disserter sur son identité, mais plus sur son unité évanouie ; cette unité est l’Iran. Pareil fondement repose sur une moralité affermie qui abandonne des traits dont l’un des bons connaisseurs du pays, Lord Curzon fait état : « Je fais allusion à leur faculté qu’un puritain pourrait appeler mensongère, mais que je préfère nommer imaginative, outrancière. Celle-ci est inconcevable et énorme. ». [6]

Que l’instinct juvénile choisisse le contraire du retour à la Perse qui a la faveur du Boulevard Saint-Germain [7] et que l’Iran lui garantisse la grandeur, car il est le commencement.

Pierre Dortiguier pour Geopolintel

Le 16 décembre 2009

Notes

[1« Iran’s inner America », New York Times, 11 février 2009

[2Odyssée, chant 11, vers 115

[3Ecrits sur l’Art

[4L’auto-affirmation de l’Université, discours tenu pour la prise en charge solennelle du rectorat de Fribourg en Brisgau, traduit par feu Gérard Granel, professeur de philosophie à l’université de Toulouse-Le Mirail, Editions Trans-Europ-Repress (T.E.R.), 1987, p.25

[5ouvrage cité, p.19-20

[6Persia and the persian question, London, 1892, volume 2, chapter XXX, British and Russian policy in Persia, p. 632

[7L’Iran : le retour de la Perse, Me Ardavan-Amir-Aslani, 2009, chez Jean Piccollec

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