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Le piège afghan

Jean-Michel Vernochet

dimanche 15 novembre 2009

Alors que la corruption du gouvernement Karzaï s’étale sur la place publique et que la communauté occidentaliste avalise des élections qui sont une honte pour la Communauté internationale, l’Afghanistan s’enfonce sans complexe, dans son rôle de premier narco-état planétaire. Une chose est certaine : si l’Otan semble découvrir aujourd’hui – et bien tardivement – le “problème”, la prodigieuse production d’opiacé et de ses “produits dérivés” tels l’héroïne ne servent pas seulement à enrichir la clique mafieuse au pouvoir à Kaboul, ni à financer les “covert actions” de la CIA à travers le monde. Non, en sous-main c’est à une nouvelle Guerre de l’opium à laquelle nous assistons dirigée principalement contre l‘lIran qui doit faire face à ce double fléau que sont d’une part la criminalité liée à un trafic intensif de la drogue à travers son territoire, de l’autre à la surconsommation des drogues afghanes par des populations iraniennes fragilisées par la crise sociale et économique... Celle-ci étant largement accentuée par le blocus financier et économique auquel l’Iran est soumis de la part des États-Unis. Enfin, last but not least, la diffusion extensive de la drogue afghane vise également certaines couches particulièrement vulnérables de la population russe. Une guerre qui ne dit pas son nom et pourtant une guerre bien réelle.

Au moment même où le pays se ré-embrase et qu’éclatent de dures émeutes à Kaboul, les Américains se désengagent du piège afghan. Les Européens en alliés fidèles prennent le relais sous couvert de l’Otan.

Pour les États-Unis rien ne va plus. Chaque jour qui passe en Irak, mais aussi maintenant en Afghanistan, les rebelles ou insurgés, termes politiquement corrects désignant les résistances nationalistes et islamistes, font de la vie quotidienne des GI’s un enfer. Tout comme pour les Français des forces spéciales sous commandement américain, qui viennent de perdre deux des leurs. Cinq ans après la conquête afghane, les armes ne se sont pas encore tues. Au contraire le pays s’embrase et le piège afghan se referme sur un Occident qui n’a pas su tirer les enseignements de la défaite soviétique de 1989.

À telle enseigne que les grands médias semblent oublier un conflit qui tourne au cauchemar en Irak et une coalition qui se délite. L’Italie de Romano Prodi retire ses troupes et un Tony Blair en fin de parcours se prépare à faire de même. Quant au Pentagone, il ne cache plus sa hâte de remettre les clefs de Bagdad aux seules forces irakiennes.

En Afghanistan, les Américains, qui subissent certes moins de pertes mais n’en connaissent pas moins de cuisants revers, allègent de 3500 hommes les troupes de « Liberté immuable », Enduring Freedom, qui en comptaient jusqu’ici 19000.

Reflux ou redéploiement en prévision d’une prochaine échéance iranienne ? En tout cas, Washington se déleste du fardeau afghan sur les bras de ses alliés. Ceux-ci accroissent en conséquence leurs contingents afin de boucher les trous et de renforcer un dispositif qui peine à maintenir un semblant de stabilité dans un pays où les combats s’intensifiant, la vraie guerre refait surface.

Cinq ans après la victoire écrasante des forces américaines sur les Talibans, à coups de bombardements massifs, le bilan de l’occupation s’avère au final désastreux. Non seulement les Talibans, dans lesquels l’Occident voyait une armée de gueux en haillons (des va-nu-pieds cachés dans des trous creusés à flanc de montagne que les stratèges en communication de Washington désignaient comme les super bunkers de Tora Bora), ne se sont pas soumis, mais plus encore, ils montent aujourd’hui dans tout le pays à l’assaut des réduits occidentaux. Plus seulement au Sud, dans la région de Kandahar, siège du pouvoir taleb et de Mollah Omar, mais un peu partout dans un pays revenu au tribalisme d’antan et au règne des petits chefs locaux.

Un bilan lourd et des chiffres accablants qui en disent long sur l’incapacité des forces américaines à reformater les montagnards afghans aux normes de la world society. Les femmes qu’ils étaient venu libérer de leur burka et du joug d’un patriarcat archaïque, sont plus que jamais ensevelies sous leur drap céruléen. Quant aux Talibans, le président Hamid Karzaï, élu en 2004, s’est employé à tenter un rapprochement avec le Mollah Omar en amnistiant 600 dirigeants de l’ex-régime islamique dont quelques-uns siègent à présent au Parlement aux côtés de seigneurs de guerre reconvertis en d’actifs narcotrafiquants.

Rien n’a vraiment changé dans un pays en guerre perpétuelle depuis 1979 qui n’a connu d’accalmie que durant le bref épisode de la dictature islamique, qui avait quelque temps mis fin à l’insécurité générale. Un pouvoir rétrograde certes mais qui était malgré tout parvenu, peu avant sa chute, à faire taire les armes et à réduire, sous la pression internationale, la production annuelle d’opium à seulement 180 tonnes ! A contrario, 2005 a vu la barre des 4600 tonnes être franchie. L’Afghanistan, occupé par l’Amérique et l’Otan, est ainsi devenu le premier narco-État de la planète fournissant 87% de l’héroïne mondiale, soit une valeur d’exportation estimée en 2005 à 2,7 milliards de dollars.

Comment dans ces conditions ne pas parler d’un fiasco général, de Bagdad à Kaboul, de la politique de la Maison-Blanche ? Cinq ans après une victoire qui paraissait décisive, les Talibans dirigés par le borgne Mollah Omar et l’unijambiste Dadullah, l’actuel chef militaire des rebelles dont la coalition annonce périodiquement la capture, défient plus que jamais la toute-puissance américaine.

Des forces américaines qui se trouvent confrontées depuis un an à une contre-offensive de plus en plus calquée sur la guerre irakienne de résistance et de harcèlement du conflit afghan caractérisé. La multiplication des attentats suicides, étranger à la culture afghane, tout comme les primes offertes pour l’assassinat des collaborateurs (250 dollars pour un fonctionnaire afghan et 1700 $ pour un étranger) créent un climat asphyxiant d’insécurité générale.

Les unités occidentales et locales sont exposées comme en Irak aux bombes artisanales déclenchées à distance grâce à tous les gadgets issus de la société de consommation : minuteurs de cuisinière électrique, programmateurs de machine à laver, boîtiers infrarouge pour ouverture de porte, télécommandes de jouets, téléphones portables… Et les dispositifs de brouillages contre les mise à feu à distance restent inopérants face à l’ingéniosité des rebelles qui, via internet et sur CD, se transmettent d’Irak en Afghanistan leurs dernières astuces et tout leur savoir-faire. Dans son dernier rapport, en août 2005, l’Onu recensait de mai 2004 à mai 2005, une augmentation de 50% du nombre des attentats et le doublement de leur efficacité en terme des pertes humaines. Pour qui en douterait encore, l’irakisation du conflit afghan est bien en cours et ce nouveau second front marque peut-être un vrai double enlisement.

Ces derniers jours, la communauté internationale assiste consternée à une recrudescence des combats (300 morts en quelques jours dont de nombreux civils victimes de bombardements coalisés) qui opposent des groupes de plus en plus importants de combattants afghans : au-delà de la centaine contre quelques dizaines auparavant. Attaques dont le nombre progresse régulièrement pour dépasser 200 par mois. L’émeute couve à Kaboul où les forces coalisées tirent sur la foule…

Si en raison même de son insuccès en Irak et en Afghanistan, la Maison-Blanche choisissait une logique de fuite en avant - qui la conduirait vers une possible confrontation militaire avec l’Iran - il faut à présent admettre que volens nolens, l’Europe se trouve elle aussi engagée, à la suite des É-U, dans le piège afghan. Sachant que la continuité linguistique, culturelle de l’Afghanistan à l’Iran sont des données réelles, la question cruciale se pose finalement de savoir quelles pourraient être les conséquences d’une extension à l’Iran de deux conflits qui sont aujourd’hui deux ratages et surtout, à tout point de vue, deux coûteux enlisements.

Afghanistan : chassé-croisé Europe-Amérique

Les 8300 soldats originaires de 37 pays de la Force internationale d’assistance à la sécurité, FIAS, sous commandement Otan, doivent être doublés dans les mois à venir afin de suppléer aux retraits progressif de contingents américains. 900 français dont 200 commandos des Forces spéciales, cantonnées à Spin Boldak. ne sont équipés que de moyens légers : pas d’hélicoptères et une faible puissance de feu. Intégrées au dispositif américain, les forces spéciales françaises bénéficient toutefois de son soutien logistique. Les Français disposent de l’appui aérien de trois Mirage 2000D basés à Douchambé au Tadjikistan.

La FIAS est créée le 20 décembre 2001 par la Résolution 1386 du Conseil de Sécurité des NU. Le 11 août 2003, elle passe sous commandement de l’Otan, laquelle décide le 8 décembre 2005, de « rehausser le niveau de son soutien en faveur de la paix et de la sécurité en Afghanistan ». Traduit du langage diplomatique, cela signifie que l’Europe et le Canada s’engagent directement, aux côtés des É-U dans un conflit de longue durée dont nul ne peut prévoir l’issue compte tenu de son actuelle évolution.
L’opération Liberté Immuable implique 22 000 GI’s (moins 3 500 dans les prochaines semaines), 3 500 Anglais et 2300 Canadiens. Officiellement 25 soldats américains ont trouvé la mort depuis janvier 2006, qui sera l’année du désengagement américain d’Afghanistan, l’Otan devant prendre la relève : autant dire que les Européens reprennent à leur compte cette guerre américaine.

La Fias/Otan, chacun des 26 pays de l’Otan sont représentés : Allemagne : 2 200 ; Italie : 1 200 ; Pays-Bas : 1 400 ; France : 900 ; Royaume-Uni : 700 ; Espagne : 600.
France, Australie et É-U, entretiennent également des forces spéciales.
La fusion prochaine de l’opération Liberté Immuable et de la Fias/Otan est désormais à l’ordre du jour.

Voir aussi :
AFGHANISTAN, LA NOUVELLE GUERRE DE L’OPIUM
L’AIDE À L’AFGHANISTAN, CONFÉRENCE DE PARIS DES DONATEURS

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