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La stratégie du chaos en Syrie et en Irak

Un monde de plus en plus illisible

jeudi 25 septembre 2014

La France bombarde au Nord de l’Irak des « dépôts logistiques » de l’État islamique. Comprenez que nos forces aériennes ont détruit des hangars certainement vides [1]. Cela s’appelle de la « gesticulation », il s’agit de faire rouler ses muscles pour impressionner non l’ennemi mais l’opinion. Malgré tout cela ne fera pas remonter d’un iota le sieur Hollande dans les sondages où le compteur s’est bloqué sur le plus petit minimum syndical possible et admissible [2]. Le 20 septembre, deuxième volet de l’opération poudre aux yeux, M. Fabius, aussi gélatineux que d’ordinaire, accueillait à Roissy un contingent de Chrétiens d’Erbil et de Mossoul, des familles visiblement aisées et sans doute soigneusement triées. Deux jours auparavant le 18, Monsieur 13%, au cours d’une conférence de presse à la limite du bredouillis, avait tenu, prêchi-prêcha, à réaffirmer qu’au contraire des Yanks nous n’irions pas frapper les combattants salafo-wahhabites en Syrie… Il faudrait ajouter « au risque de faire descendre nos appareils par les missiles anti-aériens de Damas ». Une façon également de dégager sa responsabilité au cas où les frappes épuratrices et vengeresses de la coalition se tromperaient de cible et toucheraient « accidentellement » des positions gouvernementales de la République arabe de Syrie.

Opinions retournées et bouleversées

L’ÉI [Daech en langue vernaculaire journalistique] constitue en effet pour Washington un formidable prétexte à intervention en Syrie assadienne. Mobile qui eut mérité d’être inventé s’il n’avait existé en germe depuis janvier 2006 afin de trouver à présent le moyen de porter subrepticement la guerre dans l’un des derniers pays laïcs, c’est-à-dire multiconfessionnel, du Levant… avec son voisin immédiat le Liban. En substance, le président américain s’adressant aux dirigeants syriens leur a dit ceci : « Nous allons tirer sur les positions de l’ÉI, mais si d’aventure, par un malheureux hasard, vous morflez, il est formellement interdit de vous plaindre et encore moins de répliquer, sinon gare » ! Il est clair que le Pentagone n’attend que le premier prétexte venu pour élargir son champ d’action et engager les forces syriennes, seul véritable objectif de ce cirque diplomatico-médiatique. Ce que les faucons du Département d’État n’ont pu accomplir il y a un an passera maintenant comme une lettre à la poste auprès d’une opinion publique américaine chauffée à blanc par d’honnêtes médias relatant fidèlement des exécutions crapoteuses… et au Congrès, hier encore très réticent voire carrément hostile à toute nouvelle intervention extérieure, spécifiquement en Syrie. Car opinion et élus de l’Union fédérale sont aujourd’hui « retournés » comme des crêpes et majoritairement favorables [3].

Bien que Barack Obama apparaisse comme faible et indécis, il poursuit en réalité les mêmes objectifs que son prédécesseur GW Bush qui visait à semer le chaos dans sur les marches eurasiennes de l’empire euraméricain… mais avec plus de subtilité. Tandis que les Républicain Bush et le Démocrate Clinton envoyaient des troupes au sol, les mécomptes accumulés, le coût prohibitif de ce type d’opérations - au demeurant désastreuses pour l’image de marque des pouvoirs visibles - ont accéléré les mutations de la guerre [revolution in military affairs] avantageusement prônées par l’ancien Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld [2001/2006]. La guerre des robots volants, celle des drones tueurs, a donc pris le relais du Gi’s drogué au Coca et à la cocaïne, adepte de musique techno et parfois de viol en réunion, stressé post-traumatique qui, de retour au pays, devient fréquemment un boulet social et parfois même une épave.

Apparition providentielle de l’État islamique

À partir de juin 2014, l’ÉIIL [État islamique en Irak et au Levant] fait une apparition fracassante sur la scène médiatique. Auparavant les exactions d’al-Nosra en Syrie, devenues vite intempestives et brouillant les cartes, n’avaient pas profité de la même couverture publicitaire. La déclaration de fondation du califat le 29 juin 2014, à Mossoul - alors que l’État islamique d’Irak existe depuis octobre 2006 - entraîne ex abrupto dans les grands médias et sur la Toile, un déferlement d’images plus atroces les unes que les autres : « marche à la mort, fosses communes, exécutions de soldats irakiens par dizaines couchés et exécutés en rafales ou d’une balle dans la nuque, têtes plantées sur des grilles, barbus l’air farouche de bouchers halal, cadavres décomposés, mares de sang »… Ce sur quoi la grande presse reste muette comme carpe, c’est la « masse de matériel militaire américain saisi [par les salafo-wahhabites]… Humvees, hélicoptères, chars, artillerie… [Ni surtout] que Washington ne fit absolument rien pour les en empêcher. Or la doctrine militaire américaine prévoit impérativement la destruction des matériels pris par l’ennemi. Mais là rien ne se passa ! L’ISIS put exporter ce matériel en Syrie, alors que les Américains avaient la possibilité de détruire ces convois, ils ne bougèrent pas le petit doigt et que leurs drones continuaient de détruire imperturbablement, cibles après cible en Afghanistan et au Pakistan. Pourquoi ?]]. Bonne question en effet. Pourquoi ? [forbiddenknowledgetv.com6sept14].

Répétons-le inlassablement « sans le vacuum créé par l’exécution de Saddam Hussein, Al-Qaïda en Irak, l’ÉI, n’existerait pas. Et sans l’affaire de Syrie, jamais l’ÉIIL n’eût été capable de prendre d’assaut l’Irak en juin 2014 » [Ibid.]. Conclusion : de quelque que manière que l’on retourne la question, une seule et unique réponse s’impose, l’ÉI est un monstre créé de toutes pièces par de pervers stratèges [4] qui parasitent le monde occidental décadent et dont les scenarii dépassent de loin ceux - plus ou moins décalqués de la réalité - des pires productions hollywoodiennes… quand ces derniers ne servent pas aux états-majors et autres think tanks de sources d’inspiration.

Alliance avec le diable

Le président Obama a choisi la date extrêmement symbolique du 11 septembre pour annoncer son intention de combattre l’État Islamique en Irak tout en incluant la Syrie dans les bases de données des systèmes de guidage de son aviation et de ses drones. Son grand allié séoudien a quant à lui ouvert des camps d’entraînement au nord de son territoire, camps destinés en principe à l’Armée syrienne libre [ASL]. Une faction rebelle adoubée de l’Occident et presque totalement éliminée du champ de bataille syrien… en raison de la poussée de l’Armée régulière syrienne et des assauts d’Al-Qaïda/État Islamique en Irak et au Levant. Une situation que Laurent Fabius interprète grotesquement en répétant à l’envi que l’ÉI est « une création de Bachar el-Assad » [Roissy-en-France20spt14]… raison pour laquelle la France ne participera pas aux frappes sur le territoire Syrien… afin de ne pas aider le pouvoir central. Bref, il faudrait savoir si oui ou non ÉI/Al-Qaïda est l’allié de facto du régime de Damas ? Parce qu’enfin, si les djihadistes sont les créatures et les alliés – ne seraient-ce qu’objectifs – du président el-Assad, il faudrait dans cette hypothèse les attraire [attrition] pour donner un peu d’oxygène à cette Armée dite libre qui occupe une place si importante dans les cénacles internationaux… mais dont les succès sur le terrain sont particulièrement dérisoires ! Troublante coïncidence, des factions de l’Armée syrienne libre viennent d’annoncer une alliance avec l’État Islamique et ont dépêché l’un de ses représentants en Israël pour y solliciter aide militaire et intervention armée [strategika51.wordpress.com12sept14]. Observons qu’ici, les causes arabe et palestinienne sont loin et que les dévorantes ambitions politiques ne sont guère regardantes au tarif de l’éventuel prêteur… Conséquence immédiate, le 23 septembre l’armée israélienne abattait un MIG-21 syrien qui soi-disant se serait approché de la ligne de démarcation sur le plateau du Golan… ligne occupée par les djihadistes. Un incident qui coïncide opportunément avec le début des bombardements américains sur le nord de la Syrie !

Un étau possédant deux mâchoires, l’une mobile et l’autre fixe, le dispositif occidentaliste dispose par conséquent avec Israël d’une toujours relativement discrète pièce maîtresse statique sur sa frontière nord-est, celle du pays Druze, au pied des collines du Golan, désormais occupée par les combattants d’al-Nosra… djihadistes parfois rivaux et frères ennemis d’Al-Qaïda/ÉIIL quand la situation tactique n’exige pas l’unité sacrée contre les mécréants, sunnites modérés et apostats chiites. Notons que si l’État Islamique se trouve désigné depuis peu par Washington comme le nouvel épouvantail global, il n’est pas du tout considéré comme tel à Tel-Aviv !

Épouvantail global

Donnons à ce sujet, une fois n’est pas coutume, la parole au représentant permanent de la Syrie auprès des Nations Unies, Bachar al-Jaafari. Nous écoutons bien par ailleurs « La Voix de son Maître », laquelle sort pure et infalsifiée dans le mensonge de la bouche des marionnettes dirigeantes de la sphère occidentaliste… à notre tour rétablissons un tant soit peu l’équilibre… « Comme vous le savez, les combattants terroristes de Jabhat al-Nosra, une organisation affiliée à Al-Qaïda et reconnue comme une organisation terroriste par une résolution du Conseil de Sécurité, ont réussi, avec l’aide d’Israël et l’intervention, l’assistance, et l’implication du Qatar, à occuper presque la totalité de la ligne de démarcation, du côté syrien [Golan]. Autrement dit, les terroristes ont actuellement remplacé les forces de l’UNDOF [éléments d’interposition des Nations Unies sur la ligne du cessez-le-feu de 1967] déployées sur le côté syrien de la ligne de démarcation ! Pratiquement toutes les forces de l’UNDOF qui étaient déployées du côté syrien se sont maintenant regroupées du côté israélien, réduisant le mandat qui leur a été confié par le Conseil de sécurité, en 1974, à la simple observation de ce qui se passe du côté syrien de la ligne de démarcation, à partir du côté israélien. Ce comportement a offert aux terroristes la possibilité de se saisir du matériel et des équipements des forces de l’UNDOF et leur a permis de créer une sorte de “zone de sécurité” [Safe zone], dans la zone réservée à l’UNDOF, à partir de laquelle ils lancent des opérations contre l’Armée nationale syrienne. Les Israéliens sont à ce titre en train de jouer avec le feu et de pousser à l’escalade… [une situation qui] offrira aux Israéliens l’occasion de s’infiltrer encore plus loin à l’intérieur du territoire syrien et soutenir un plus grand nombre de groupes terroristes dans le but… d’enclencher une guerre d’usure contre l’Armée syrienne [gouvernementale] en l’absence de tout témoin international. L’UNDOF n’étant plus présente, théoriquement, personne ne pourra plus renseigner le Conseil de sécurité et sur ce qui se passe réellement dans le Golan » ! Ce qui en terme diplomatique signifie qu’Israël est ouvertement entré dans la danse macabre et dans le feu de la guerre. Qui le dit ? Où l’avez-vous lu ou vu ? Certainement nulle part !

 N’importe qui, sauf à posséder les moyens de circuler dans le labyrinthe obscur des guerres du Levant et d’Asie mineure, est condamné à s’y perdre irrémédiablement. Gardons en tête cette idée archi simple, mais qui résume tout, qu’à tout bien considérer, ne reste au sol qu’une cible vraiment identifiable pour les frappes américaines : l’armée régulière syrienne et l’État syrien. Ce qui n’avait pu s’accomplir il y a un an est ainsi en train d’être relancé aujourd’hui. Reste à savoir si le 24 septembre le Conseil de Sécurité donnera un aval sans conditions restrictives aux opérations de la coalition conduite par Washington, projetées contre l’ÉI [5] … cela en dépit du grandiose conditionnement des opinions occidentales grâce à l’exécution d’une série de trois décapitation au coutelas, spectacle formidablement orchestré et échelonné en un parfait tempo, sur un court laps de temps. Or çà, même la grande presse américaine – en l’occurrence la chaîne CBS 4 - nous dit à présent que ces mises en scènes sordides auraient été « réalisées en studio » [oumma.com20sept14] ! Notons que pour avoir tout à fait un détestable mauvais esprit, que les bombes démocratiques lorsqu’elles tuent et déchiquettent font infiniment de tapage et ne suscite aucune déferlante d’émotion et d’indignation surtout si ces « human casualties » ne touchent que des aborigènes que ce soit au Waziristân ou au Donbass. Il va de soit que les émotions et la compassion sont sélectives et le traitement de l’information, à géométrie très variable [6].

Léon Camus 21 septembre 2014

Notes

[1Après l’attentat contre le « Poste Drakkar » à Beyrouth le 23 octobre 1983 qui fait 58 morts parmi nos troupes parachutistes, Paris lance l’Opération Brochet le 17 novembre suivant : huit super étendards du porte-avions Clémenceau effectuent un raid une position des Gardiens de la Révolution et du Hezbollah dans la plaine de la Bekaa… hélas le renseignement était foireux et les chasseurs larguent leurs bombes sur une caserne vide. Une illustration de la capacité de la France à se ridiculiser au Levant. En Irak ce sont six Rafale basés à Dubaï qui sont allés à l’exercice.

[2La présidente de la Réserve fédérale [Fed] l’oligarque Janet Yellen [la Fed est un consortium de banques privées] n’a pas barguigné pour déclarer que l’Europe est un « risque » pour l’économie mondiale. [AFP19sept14]. Complétant ce propos peu amène, le président de la Réserve fédérale de Dallas, Richard Fisher, a précisé à l’emporte pièce sur la chaîne Fox Business : « Il y a [en Europe] des gouvernements aux abois. Il y a bien sûr la France qui est extrêmement faible avec un président qui est encore plus bas dans les sondages que le nôtre »…la cote de popularité du président américain étant de quelque 40%.

[3Selon les déclarations du ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, à l’occasion d’une conférence de presse à Moscou en présence de son homologue malien, répondant à une question de Russia today, celui-ci s’est exprimé sur les perspectives d’action américaine en Syrie : «  Il y a des raisons de soupçonner que les frappes aériennes sur le territoire syrien puissent cibler non seulement les zones contrôlées par les militants de l’État islamique, mais aussi les troupes gouvernementales qui pourraient également être attaquées afin d’affaiblir les positions de l’armée de Bachar al-Assad… une telle évolution conduirait inéluctablement à une énorme escalade du conflit au Moyen-Orient et en Afrique du Nord » [rt.com9sept14].

[4Cf. « Les Machiavéliens » [1943] de James Burnham, ex trotskiste, néoconservateur et penseur visionnaire hors normes de l’Empire du monde.

[5En toute logique le 24 septembre deux membres permanents du Conseil de Sécurité, la Russie et la Chine, ne devraient pas accéder aux demandes occidentalistes d’intervention sans les assortir de conditions draconiennes. Ou peut-être opposer une fois de plus leur veto à un blanc-seing aux humanitariens mus par des arrières pensées de moins en moins impénétrables. Il est peu vraisemblable que la manipulation de la R.1793 [17mars11] se répète à l’identique. Cette Résolution prévoyait en Libye, au prétexte d’ingérence humanitaire, l’instauration d’une zone d’interdiction aérienne afin de protéger les populations de Benghazi contre des bombardements de Tripoli. Licéité qui s’est aussitôt transformée en guerre aérienne contres forces au sol de la Jamahiriya. Nous connaissons la suite.

[6Qui se souvient, un exemple parmi mille autres, du massacre de l’abri d’Al-Amiria à Bagdad ? Une bombe anglaise anti bunker fit 408 victimes presque exclusivement des femmes et leurs enfants le 13 février 1991. Rappelons qu’entre le 17 janvier et le 28 février 1991, les forces aériennes coalisées auront effectué plus de 100 000 sorties, sans compter les centaines de missiles lancées depuis les porte-avions croisant dans l’océan Indien, cela afin de détruire les infrastructures industrielles, agro-alimentaires et les usines d’épuration de l’eau, dans le but - non officiellement avoué - de terroriser les populations civiles et de susciter un soulèvement général, en particulier dans le sud chiite.

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