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La curiosité du capitalisme

Commentaire de Rana Foroohar

lundi 5 mai 2014

La rétro-mondialisation - ce que le ralentissement du commerce mondial signifie pour la croissance aux Etats-Unis et pour le monde.

Partout dans le monde, les conflits en Ukraine, au Proche-Orient ou dans le sud de la mer de Chine, nous rappellent que la géographie compte, même dans un monde mondialisé.
Politiquement le monde n’est certainement pas plat. Les récentes données économiques démontrent de plus en plus que le monde reprend du relief. La mondialisation est souvent définie comme un mouvement de libre circulation des biens, des personnes et des capitaux au travers des frontières. Récemment toutes ces choses sont devenues menacées - et ce n’est pas dû uniquement aux sanctions contre la Russie.

Depuis deux années le taux de croissance du commerce mondial a été plus faible que celui du PIB mondial. C’est la première fois que cela arrive depuis la seconde guerre mondiale, et cela marque un virage dans l’économie mondiale avec des conséquences envisageables telles que des balayages de pays, d’entreprises et de consommateurs.

Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles le commerce mondial est en train de ralentir. L’Europe est encore en train de se battre contre sa crise de la dette, les marchés émergeants ne croissent plus autant qu’avant.
Mais le facteur prépondérant est que les Etats-Unis traversent un changement profond : les américains ne sont plus les consommateurs du dernier recours.
Comme le soulignait l’économiste en chef de HSBC, Stephen King, dans une de ces dernières notes de recherche : sur les périodes de restructuration d’après guerre « l’économie américaine a agit comme une éponge géante », en absorbant les excès de biens et de services produits par le reste du monde.

Les bulles spéculatives éclataient et se reformaient d’une autre façon ; le marché s’effondrait et se restructurait. Et lorsque cela arrivait, vous pouviez être sûr que les américains re-consommeraient en dépensant, et qu’in fine le déficit de la balance extérieure s’agrandissait (c’est à dire que les importations excédaient les exportations).

Après pratiquement 5 années de restructuration (ndlr : l’arrivée sur la scène mondiale de la météo des économies nationales par les agences de notations ont en partie desservie la volonté d’accompagner la baisse du dollar en plaçant l’œil du cyclone médiatique sur l’Union européenne pour que cette dernière se restructure en libérant des capitaux nécessaires à l’actuel changement de paradigme du marché : la rétro mondialisation)
le déficit commercial américain ne croît plus, au contraire il diminue. En effet entre 2012 et 2013 la diminution est même de 12%.

Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Une raison expliquant la diminution du déficit commercial est le boom du gaz de schiste, cela signifie que les américains importent moins de pétrole étranger et que le secteur industriel est en croissance.
Néanmoins les salaires n’ont pas augmenté depuis la crise, et la consommation est encore faiblarde. Pour que les économies américaine et mondiale continuent à grossir, quelqu’un doit acheter les produits électroniques, les voitures et les autres biens que les américains avaient l’habitude de consommer. Malheureusement personne ne le fait. Les européens sont encore enlisés dans la crise de la dette, ils ne devraient pas en sortir d’ici les 5 prochaines années. A cause de diverses tourmentes, les économies des pays émergents ne croissent seulement que de la moitié de leur taux d’avant crise. Les chinois se sont placés d’eux mêmes dans une crise financière en ayant pris part trop fortement à des dépenses excessives après la crise financière de 2008. Le Japon et son plan gouvernemental d’encouragement à la dépense - Abenomique du nom du premier ministre Shinzo Abe - est en bout de course.

Mohamed El-Erian, conseiller économique en chef de l’assureur Allianz, dit que partout « il y a un écart entre le souhait de dépenser et le contenu du porte monnaie ». Avec une intégration économique mondiale en mode rétro-planification, de nombreux économistes et experts commerciaux commencent à parler d’une nouvelle ère de démondialisation, dans laquelle les pays se ré-orientent vers leur intérieur.

Certaines implications sont inquiétantes. A l’Organisation mondiale du commerce les plaintes liées au protectionnisme, au vol de la propriété intellectuelle, aux nouvelles taxes douanières sont en augmentation.
Les discussions commerciales ne sont plus mondiales, mais régionales et locales, elles menacent de créer un désastreux « bol de spaghetti » fait d’alliances économiques.

Cependant la démondialisation n’est pas forcément une mauvaise chose en soi. Comme le disait le représentant du commerce américain Michael Froman à un sommet économique à Washington cela veut dire que les entreprises vont regarder dorénavant si leurs chaînes d’approvisionnement ou leurs productions ne sont pas plus rentables à la maison qu’à l’étranger.

Cela se déroule déjà aux Etats-Unis actuellement. Une étude du Boston Consulting Group annonce que 21% des industriels aux Etats-Unis sont en train de ré-industrialiser le pays, et 54% disent l’étudier. A savoir si ce changement va favoriser l’augmentation des salaires est ce que la Réserve Fédérale regarde attentivement.

Les 30 dernières années de mondialisation ont été cautionnées dans un cadre d’argent bon marché. Comme l’a indiqué la présidente de la Fed Janet Yellen lors de sa dernière conférence de presse, nous sommes arrivés au bout de cette époque. Pour ce nouvel âge économique en devenir tous les bateaux ne flotteront pas de façons similaires, les vagues ne seront pas sans à-coups. Les marchés qui ont plus ou moins convergés sur les dernières 30 années vont commencer à diverger le long de lignes nationales et sectorielles. Notre paysage économique et politique deviendra plus volatile et moins prévisible. Soyez prêts pour une chevauchée agitée.

Les nouvelles règles de l’économie mondiale :

  • penser plus petit que trop grand, le régionalisme remplace la mondialisation sans limite
  • se rappeler : agité mais non plat, les nations, les secteurs, et les marchés croissent dans des directions différentes
  • oublier l’argent bon marché, la dette deviendra de plus en plus chère, et le coût du capital va augmenter.

Source : Time magazine du 4 avril 2014

Traduit de l’anglais par Louis Hugo

 
Voir également : l’OMC et les accords régionaux

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