Panique chez les eurocrates
Maintenant c’est la panique à bord. À l’antenne de RTL, un commentateur n’hésite pas à parler de « vote nauséabond » ! Qui dit mieux ? Panique donc, parce que d’abord nul ne s’attendait à ce que cette demande passe, peut-être pas même ses promoteurs dont la figure charismatique a été longtemps Christoph Blocher, ancien Conseiller Fédéral et ex patron de l’Udc. Celui-ci est d’ailleurs déjà présenté – histoire de brouiller les cartes et de jeter la suspicion - comme un habitué des conférences « mondialistes » dites de Bilderberg [2]. Attaque qui entend jeter une ombre sur la nature des intentions réelles de l’Udc et donne, par contrecoup la mesure du danger que fait courir le résultat spectaculaire de l’initiative « populiste ».
Panique aussi et surtout à Bruxelles parce que la Suisse bien que non adhérente à l’Union - membre au demeurant de l’espace Schengen - lui est étroitement associée. Or, dans une conjoncture de crise permanente, alors qu’il est plus ou moins question tous azimuts de sortie de l’€uro, ce référendum intempestif constitue désormais un méchant précédent et un exemple détestable. Que va devenir l’Union si les nations qui la composent se mettent à exprimer leur avis et leurs désaccords avec l’exercice de la tyrannie libéraliste ? Une dictature cachée qui tend à briser la matrice des peuples, à les fondre en un magma anonyme et bigarré, sans homogénéité de culture, de passé, sans vision d’avenir… pour en faire une pâte malléable, un troupeau docile, impuissant à penser et vouloir une quelconque commune destinée. Pour le reste, il importe que les « riches » nations de l’Ouest restent condamnées à perpétuité à éponger tous les déficits et les arriérés de développement de l’Est. Ce pourquoi ces nantis égoïstes doivent se voir astreints, au nom des grands principes du libéralisme économique – le fétiche molochien de la Libre circulation – à ce que chacun puisse venir s’installer où il veut, comme et quand il veut. Et si ce grand brassage – cette forme silencieuse de décomposition sociétale – devait s’arrêter, alors ce sera le « chaos » ! Rien que ça. Sans préciser cependant si le trouble et la contagion sont appelés à déborder les frontières helvètes.
Quand le Peuple se mêle de donner son avis
Lié – formellement – depuis douze ans par un Accord bilatéral avec Bruxelles, Berne a ouvert volens nolens son marché du travail aux 500 millions d’actifs de l’Union. En 2002 les autorités fédérales tablaient - avec l’optimiste cécité caractérisant les bureaucraties occidentales - sur 8 000 entrants l’an. En fait, la Suisse, l’un des derniers havres de prospérité et de démocratie authentique - parce que directe - doit absorber annuellement quelque 80 000 nouveaux arrivants. En conséquence les étrangers constituent désormais 23,5% de la population. Une bagatelle ! Mais apparemment ce n’est pas encore assez car « freiner ou donner un coup d’arrêt à cette immigration signifierait la fin de l’actuelle ère d’abondance » [20minutes.fr9fév14] ! Expliquez-nous pourquoi, canaliser, maîtriser, adapter l’immigration à ses besoins devrait s’avérer à l’arrivée économiquement catastrophique ? Où se situe la relation concrète de cause à effet ?
Chacun pressent ici que ce n’est pas la richesse de la Suisse qui serait menacée, mais qu’il s’agit d’un aspect plus fondamental, en vérité idéologique : la remise en cause de principes intransgressibles. En premier lieu il s’agirait d’une atteinte au dogme libéraliste [laisser faire/laisser passer], en second lieu, nous entrerions dans un domaine théologique banni du champ de la connaissance, celui l’impératif eschatologique de destruction des peuples tel qu’ordonné dans et par le Deutéronome. L’on est prié de ne pas sourire et d’admettre que ce sont les idées – les idéologies – qui gouvernent le monde et non les « rapports de production » comme le matérialisme historico-dialectique s’est essayé, pendant un siècle et demi, de le faire croire à des classes laborieuses crédules et converties à l’athéisme scientiste.
Ce pourquoi il est vain de croire que dès demain la Banque suisse va tomber en déshérence ou que la super multinationale Nestlé va entrer en décrépitude… ainsi que l’industrie horlogère ! Il est malgré tout vrai « qu’il n’est de richesse que d’hommes »… un aphorisme dont les limites pratiques sont cependant dans ce cas vite atteintes. Notamment parce qu’On essaye de nous faire avaler que la main d’œuvre surqualifiée, française, allemande, italienne et les transfrontaliers, vont du jour au lendemain être victime de la politique des quotas qui devrait être mise en place. C’est oublier volontairement que le texte de la votation vise l’immigration de masse, européenne et… étrangère. Quand Le Point nous dit que « pour une population de 8,1 millions d’habitants, la Suisse accueille 300 000 Italiens, 290 000 Allemands, 250 000 Portugais et 140 000 Français, sans compter des dizaines de milliers de frontaliers » [lepoint.fr8fév14], l’honnête magazine oublie de nous parler par exemple de certains albanophones dont les activités extralégales – il ne s’agit pas seulement de papiers gras jetés inconsidérément sur la voie publique mais de prostitution, de drogue, de trafic d’armes – perturbent désagréablement la vie des paisibles Helvètes. Quant aux populations migrantes Roms, c’est bien simple, elles n’existent pas.
La Suisse et ses voisins
Le même problème se pose d’ailleurs à peu près dans les mêmes termes pour tous les nantis de la façade ouest de l’Europe. Le Royaume-Uni s’insurge par exemple contre l’ouverture de l’Europe - et de facto de l’Espace Schengen bien qu’on essaye de nous faire admettre le contraire [3] - à la Roumanie et à la Bulgarie dont les trente millions de ressortissants sont désormais libre d’aller et de venir à leur guise [4]… toujours eu égard au sacro saint principe de libre circulation [nouvelobs.com30déc13]. Pays où également un à deux millions de Roms - recensés ou non - ont attendu en piaffant le 1er janvier 2014 et la levée des restrictions avant de tenter l’aventure chez les richous. Des populations effectivement en marge mais que, encore faut-il le souligner, quarante-cinq ans de socialisme dirigiste ne sont pas parvenus à intégrer un tant soit peu.
Au fond, l’on s’émeut et l’on reproche sans ambages aux Suisses de vouloir prendre a posteriori des mesures de contrôle de flux migratoires intra et extra européens auxquelles l’Europe de l’Ouest a recouru a priori vis-à-vis des nouveaux adhérents de 2007. Depuis le 1er janvier 2007 les Vingt-Cinq avaient en effet soigneusement restreints l’accès de leur marché du travail aux Bulgares et aux Roumains. La France avait pour sa part dressé une liste d’activités « en tension » dans des secteurs d’embauche déjà saturés [tels la coiffure, la carrosserie, le déménagement ou l’entretien des espaces verts, etc]. À partir d’octobre 2012 ce sont finalement 291 métiers qui ont été rendus libre d’embauche au profit des Roumains et des Bulgares sans obligation de détention d’un titre de séjour, une simple pièce d’identité suffisant désormais [nouvelobs.com15oct12].
En France donc depuis le 1er janvier cette liste des métiers a disparu mais les Autorités qui ne reculent devant aucune saillie comique, viennent nous chanter que cette libéralisation « ne signifie pas pour autant que Bulgares et Roumains pourront exercer tous les métiers ». Certains devant pourtant leur être barrés [5] : « les emplois de la fonction publique dite régalienne - défense, justice, impôts, police - qui restent totalement fermés aux étrangers, même membres de l’Union européenne » [ibidem].
Un patronat apatride et mondialiste
Le patronat suisse s’était quant à lui catégoriquement prononcé en faveur du Non. Depuis ce fatidique dimanche de votation, il s’est en outre joint au chœur des pleureuses pour dénoncer le retour au statut ante quo, à savoir les lourdeurs et autres tracasseries administratives à l’embauche. On a bien compris que ce patronat-là considère que la main-d’œuvre intra-européenne, dans sa partie exploitable, souvent sous payée mais pas sous qualifiée, constituait une aubaine… laquelle risque de disparaître si la demande devient moins abondante, en raison évidente d’une pression moindre, à la baisse, sur les salaires. Il est vrai qu’avec un taux de chômage de 3,5% et un taux de croissance de 2% la Suisse fait des envieux… Même si ses résultats ne se comparent pas aux taux à deux chiffres des émergents parmi lesquels les BRIC : Brésil, Russie, Inde, Chine ! Au final, il est assuré que si les Européens - et non les syndicats patronaux - ceux qui composent l’Europe réelle, pouvaient voter, ils le feraient massivement contre l’Union bruxelloise. Le ministre allemand Schäuble, le seul interrogé ce dimanche par les mass-médias allemands, a significativement répondu à ce propos que « les pays de l’Union européenne devraient tenir compte de ce vote et y réfléchir gravement ».
Pour prendre la mesure du mini séisme helvète, écoutons in fine et sans rire le Phénix des hôtes de ces bois, le sieur Fabius, lundi 9 février sur RTL : « c’est une mauvaise nouvelle à la fois pour l’Europe et pour les Suisses, parce que la Suisse repliée sur elle-même, ça va les pénaliser ». M. Fabius, énarque, est également agrégé de Lettres modernes, d’où sont élégante syntaxe ! Poursuivons : « ce vote est préoccupant, car la Suisse fait 60 % de son commerce extérieur avec l’Union européenne ». Quel rapport me direz-vous, sauf à y voir l’esquisse d’un chantage ainsi traductible : « Il va falloir sévir ; on ne peut laisser passer cela, la Suisse c’est autre chose que la Hongrie de Viktor Orban… ». Plutôt mettre en péril un équilibre économique européen déjà compromis que d’admettre l’existence de courants souverainistes !
À l’occasion d’un passage en Moselle à Florange, le ministre de l’Intérieur y est allé lui aussi de son couplet : « ’un signe préoccupant de repli sur soi… pour la libre circulation des travailleurs en Europe et la croissance en Suisse d’abord » ! Un conseil amical M. Valls : avant de vous soucier de la « croissance suisse », commencez donc par vous préoccuper, et en priorité, de la sécurité hexagonale laquelle nécessite des soins attentifs et urgents. Enfin, last but not least, Mme Rama Yade [Udi] y est allé de son petit trémolo sur France 2, déclarant que « les Suisses se sont tiré une balle dans le pied » [lefigaro.fr10fév14]. Ces gens de toute évidence sont gravement contrariés. Grand bien leur fasse. Un premier grain de sable s’est glissé dans la mécanique européiste. Souhaitons que ce ne soit ni le seul ni le dernier.
Léon Camus 10 février 2014