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Le plan de propagande du Pentagone pour l’outremer soulève la controverse.

samedi 14 décembre 2013

WASHINGTON – Selon des documents et des déclarations de militaires, certains officiers supérieurs du Pentagone sont conseillés en matière de contre-propagande anti-Taliban par un expert en mercatique dont la société a expulsé des reporters qui avaient écrit des articles négatifs en Afghanistan et a aidé les militaires à intoxiquer l’ennemi en Irak.

Des documents du Pentagone montrent que depuis l’an 2000, les militaires ont payé au Rendon Group plus de 100 milions de dollars pour les aider à mettre en forme leur stratégie de communication, analyser la couverture médiatique, conduire leur programme de propagande et mettre au point leur action anti-narcotiques dans le monde entier.

L’un des aspects du travail de cette société vise à faire changer l’attitude des adversaires des États-Unis par la messagerie et la publicité. Certains dirigeants du Pentagone, dont l’amiral à la retraite Michael Mullen ancien chef d’état-major des armées, s’y opposent, préférant donner de l’information et des données sur le contexte des opérations militaires.

John Rendon met l’accent sur le fait que sa société se contente d’aider les militaires à éviter les erreurs dans la diffusion de leurs messages aux opinions publiques étrangères.

Il fournit des conseils aux « gens qui font face à des choix et défis difficiles dans un milieu de l’information mondialisé et complexe ». Un « chien de garde » gouvernemental considère comme troublant que Rendon ait contact avec les autorités décisionnaires du Pentagone.

« Le travail précédent de Rendon qui consistait à contrôler les journalistes, assurer les relations publiques et lancer les campagnes de propagande pose quelques soucis en ce qui concerne les conseils de la société sur les modifications à apporter à la relation des événements en Afghanistan » a déclaré Scott Amey principal conseiller juridique sur le Projet de Surveillance Gouvernemental. « Cependant, à Washington les décideurs pourraient bien s’intéresser moins à l’objectivité ou aux conflits d’intérêts dans l’organisation qu’à entendre ce qu’ils veulent entendre. »

Mullen a refusé d’employer le terme de « communication stratégique » et a déclaré, dans une interview accordée au journal USA Today peu de temps avant de prendre sa retraite qu’il n’en voyait pas l’utilité.

« Je n’aime vraiment pas du tout ce terme. Il sème la confusion chez les gens » dit Mullen. « Aux yeux des gens il veut tout dire. On en abuse et on le surévalue. J’essaie carrément de ne jamais l’utiliser. Nous communiquons au moins autant sinon plus par nos actes. À un moment donné, je me suis inquiété du fait que les moyens sont très précieux. C’est [la communication] devenu une affaire en soi. Cela distrait des moyens affectés au combat, et je n’ai pas de temps à perdre pour cela. »

Le 12 octobre, Rendon est apparu lors d’un forum au Pentagone pour aider les militaires à « synchroniser notre événementiel stratégique et contrer celui des Taliban » d’après l’annonce faite à propos de leur irruption. Il s’agissait d’une activité à diffusion restreinte qui réunissait des dizaines d’officiers supérieurs et des autorités civiles. Ils s’étaient réunis dans une salle de réunion équipée de grands écrans de télévisions qui permettaient la participation d’autorités de Kaboul au Pakistan et de Tampa, siège du Central Command. (NdT : Le CentCom est le commandement interarmées états-unien responsable de la zone de l’Asie du Sud-Ouest – Proche et Moyen-Orient, dont l’Égypte, bien que ce pays soit sur le continent Africain).

Les chefs d’états-majors d’armées ont refusé de désigner l’officier ou le civil responsable de l’invitation de Rendon. Le Lieutenant-Colonel Patrick Seiber, de l’Armée de terre, porte-parole de l’État-Major des Armées a déclaré que la cellule de coordination Pakistan-Afghanistan (CCAP) « a invité Rendon à prendre la parole au forum hebdomadaire de la fédération pour un débat théorique, non classifié, et sans valeur attributive sur ses vues et expériences sur la communication stratégique et la diffusion des messages. Sa présence au forum cadre parfaitement avec le large éventail de sujets et d’opinions qu’aborde toutes les semaines la CCAP. M. Rendon intervient à titre gratuit. »

Cette Cellule est commandée par le Général de Division Stephen Towsend, de l’Armée de terre.

Le Rendon Group a une histoire controversée. Rendon a également aidé le Pentagone à mettre au point sa stratégie de communication, conseillant en 2001 au Bureau Scientifique de la Défense (Defense Science Board) de faire davantage pour modeler l’opinion publique. La société a fait l’objet d’une enquête du Pentagone à propos de doutes soulevés par le Congrès aux termes desquels Rendon a aidé à réunir des soutiens pour l’intervention de 2003 en Irak. Cette enquête conduite par l’Inspecteur général du Pentagone a conclu que les employés de Rendon n’ont rien fait d’inconvenant.
Plus récemment, en 2009, son contrat en Afghanistan sur la communication stratégique a été dénoncé par les militaires lorsqu’ils ont appris que la société expulsait les journalistes qui auraient pu écrire des articles défavorables [sur la situation]. En 2010, la liste des contrats du Pentagone montre que Rendon a agi comme sous-traitant en 2010 en fournissant des services en matière de « déception militaire ». (NdT : déception = ensemble de mesures pour tromper l’ennemi).

Les archives du Pentagone montrent aussi que depuis 2009, Rendon a aussi conseillé la Direction de la Doctrine et de l’Instruction de l’Armée de Terre à l’époque où elle était placée sous le commandement du Général d’Armée Martin Dempsey qui est maintenant Chef d’État-Major des Armées, le Ministre de la Défense et a servi d’expert pour l’exercice de
Communication stratégique Sovereign Challenge [Défi Souverain] conduit par le Commandement des Opérations Spéciales.

D’après le Lieutenant-Colonel James Gregory, porte-parole du Pentagone, des employés du Rendon Group fournissent actuellement un « appui en communication » au Pentagone et aux ambassades états-uniennes pour les programmes de lutte contre la drogue. Cet appui comprend la traque de la presse, des radios et télévisions locales, des reportages en ligne et l’aide à des pays comme le Pakistan et la Colombie en vue de « conduire une communication efficace visant à soutenir les buts de lutte contre la drogue des États-Unis et des pays partenaires. » Les contrats pour cet appui en communication ont atteint plus de 11 millions de dollars en 2001 et 2012.

L’officier d’élite de chez Rendon peut coûter à un service fédéral comme le Pentagone jusqu’à 2.490 dollars par jour, soit 908.000 dollars par an en salaire, indemnités et frais généraux si l’on en croit une liste gouvernementale de coûts pour un contrat récent.

Todd Gitlin, professeur à l’Université de Columbia à New York a critiqué le Pentagone et le Congrès pour avoir manqué à leur devoir d’information du public et des instances de surveillance.

« Il n’est peut-être pas surprenant que le Pentagone externalise ses conseils en relations publiques, vu que ses efforts en interne sont si souvent inefficaces » a déclaré Gitlin. « Je suppose qu’on peut aussi s’attendre à ce qu’il se tourne vers une entreprise qui a parmi ses compétences la déception militaire. Les membres du Congrès se rendent-ils compte de ce qu’ils allouent des fonds à ces buts ? Cela les intéresse-t-il ? »

Traduction : Pierre-Henri BUNEL pour Geopolintel

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