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Une classe politique en perte de repères diplomatiques

Du Côté de l’UMP, le cas Villepin

lundi 7 octobre 2013

En mars 2012 Villepin déclarait sans ambages que « la France doit intervenir en Syrie » ? Citation : « Il faut mettre en place une force militaire avec la Ligue arabe qui a une légitimité et avec une Organisation inexistante, presque immorale, l’Europe… elle est frileuse, elle a peur, elle est minable, elle est misérable. » [1]. Paroles martiales aujourd’hui oubliées. Nous étions alors loin du Villepin qui, au Conseil de sécurité des Nations Unies, le 14 février 2003, disait non à la guerre d’agression - guerre fondée sur les mensonges les plus éhontés - en cours de préparation contre l’Irak baasiste, ancien membre de l’Internationale socialiste. Un “Non” exprimé au nom du Droit et de la légalité internationale qui devait durablement susciter des échos laudateurs et redorer le blason pourtant bien terni de la France, notamment dans le monde arabe… et dans le grand “Sud” ainsi nommé par opposition aux nations dites industrialisées du Nord [2]. Aujourd’hui, l’homme politique qui aurait pu occuper une place éminente sur la scène politique hexagonale, n’eut été l’affaire Clearstream, a apparemment préféré trouver provende à Doha auprès de ses amis Wahhabites, dans le sillage de son ami le président Sarkozy [3]. C’est un choix, mais il engage. Et l’on sait le rôle que joue depuis trente mois, le Qatar et ses $ - de 4 à 5 mds de $ selon les sources - dans la conduite de la guerre de Syrie.

Ce n’est pas la girouette qui tourne mais le vent

L’ancienne figure de proue de la diplomatie française n’étant pas à une contradiction près, ne disait-il pas avec panache, le 13 janvier dernier, à propos de l’engagement de la France au Mali, dans un entretien accordé au Journal du Dimanche ? « Non, la guerre, ce n’est pas la France. Le Mali, pays ami, s’effondre. Les djihadistes avancent vers le sud, l’urgence est là. Mais ne cédons pas au réflexe de la guerre pour la guerre. L’unanimisme des va-t-en-guerre, la précipitation apparente, le déjà-vu des arguments de la “guerre contre le terrorisme” m’inquiètent…Tirons les leçons de la décennie des guerres perdues, en Afghanistan, en Irak, en Libye. Jamais ces guerres n’ont bâti un État solide et démocratique. Au contraire, elles favorisent les séparatismes, les États faillis, la loi d’airain des milices armées… Jamais ces guerres n’ont permis la paix régionale… Pire encore, ces guerres sont un engrenage. Chacune crée les conditions de la suivante. Elles sont les batailles d’une seule et même guerre qui fait tache d’huile, de l’Irak vers la Libye et la Syrie, de la Libye vers le Mali en inondant le Sahara d’armes de contrebande…Un processus politique est seul capable d’amener la paix au Mali. » [4].

Positions qui sont celles de la raison et du bon sens et auxquelles nous adhérons, surtout si l’on remplace au bon endroit, “Mali” par “Syrie” mais qui contredisent le suivisme de mars 2012 en faveur du recours à la force [5]. Plus récemment, fin août, en vertu de l’adage « seuls les sots ne changent jamais d’avis », Villepin se découvrait à présent hostile à une intervention militaire en Syrie, dénonçant la « militarisation des esprits » qui régne désormais en Occident, appelant vigoureusement à une solution diplomatique en Syrie… « Notre vocation n’est pas de punir quiconque par le biais militaire… Il est tentant de vouloir balayer d’un coup de telles horreurs, mais cela ne se fait pas ainsi. La diplomatie en son principe exige de définir une stratégie au service d’une vision. Aujourd’hui, la stratégie est aveugle. » [6]. Entretemps [7] il est vrai, Dominique de Villepin avait découvert que l’on « n’avait pas vu que les Russes s’étaient autant renforcés » [8], ajoutant à quelques jours de là que « la diplomatie française a du mal à trouver sa place » [9]]. On ne saurait mieux dire. Mais qu’attend M. Villepin pour remettre un peu d’ordre dans ce pandémonium, à commencer par lui-même ?

Léon Camus

Notes

[1liberation.fr/video05-mars12

[2En vérité le Sud laborieux s’industrialise – pays émergents, Inde, Chine, Brésil, Turquie, etc. – au rythme ou en proportion de la désindustrialisation du Nord, lequel sombre dans le consumérisme et la permissivité propres aux sociétés anoméennes libérales-libertaires.

[3D. de Villepin est conseiller juridique du fonds souverain Qatar Investment Authority – QIA. Mais il n’est pas seul au râtelier, la continuité entre l’UMP et le Ps étant solidement établie en ce domaine. Dès le 6 mai 2012, avant même l’annonce de la victoire de Hollande, le Qatar témoignait de son empressement auprès du nouveau président français. Un mois après l’élection, le 7 juin, M. Hollande recevait à l’Élysée le Premier ministre Hamad al-Thani, cousin de l’émir. Les deux hommes s’étaient déjà rencontrés au cours de la campagne. L’alternance avait été d’ailleurs soigneusement préparée au cours de somptueux petits-déjeuners au Fouquet’s et par de la bimbeloterie Hermès, des remises de Prix de la diversité, de la culture, de la poésie... tous assortis de quelques poignées de chèques de 10000 €. Tous les camarades socialistes de M. Hollande s’étaient pour leur part depuis longtemps rendus en pèlerinage à Doha… Ségolène Royal, Bertrand Delanoë, Najat Vallaud-Belkacem, Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Laurent Fabius... et même l’un des intimes du président, Me Jean-Pierre Mignard, devenu en 2010 avocat de l’ambassade qatarie (nouvelobs.com20juin13).

[4JDD13janv13

[5Villepin avait d’autant plus raison que lorsque le 19 septembre à Bamako, M. Hollande se prévalait de sa victoire… « Nous avons gagné cette guerre. Nous avons chassé les terroristes », force est de constater que le problème n’est en rien résolu. Non seulement les attentats – suicides ou non - perdurent tel celui du 28 septembre 2013 à Tombouctou, mais en vérité les salafistes se sont déplacés vers le sud, au Niger, au Tchad, au Cameroun… et au Nigeria où l’armée fédérale est en guerre permanente contre les takfiristes de Boko Haram [livres interdits book Haram] implantés au nord du pays comme l’était autrefois la secte musulmane Yan Tatsine du nom du prophète wahhabite Maitatsine. En décembre 1980, précédant de deux ans l’élimination décidé par Hafez el-Assad des Frères musulmans à Hama (février 1982, dix mille morts estimés), le gouvernement fédéral nigérian décidait de leur éradication des Yan Tatsine et bombardait la ville de Kano faisant 5000 victimes parmi les fanatiques. Pour revenir à l’instant présent, Boko Haram, vient de signer le massacre, ce 29 sept. 2013, d’une quarantaine d’élèves dans leur dortoir à Gujba dans l’État de Yobe [AFP]. Enfin nombre de djihadistes ayant fui le Mali se sont repliés sur la Libye ainsi promue au rôle de plateforme d’opérations pour la totalité de la zone sahélienne. Ce pourquoi il apparaît aujourd’hui très hasardeux de qualifier notre parcours du combattant malien de « réussite inconstestable » même si pour certains il a pu apparaître comme une « nécessité ». En fait un fiasco habilement maquillé en succès avec la complicité de la classe politique et médiatique unanime tout en flattant notre ego postcolonial.

[6BFMTV28août13

[7En deux années et demi de combat les rebelles n’occupent que 40% du territoire syrien. Les oppositions n’ont jamais été autant divisées, les Frères musulmans de l’Armée syrienne libre [ASL] s’affrontent en de sanglants combats aux salfo-djihadistes d’Al-Nosra. Ne serait les actes de terrorisme aveugle, l’offensive anti-régime piétine et la détermination russe face aux menées occidentalistes est impressionnante parce qu’inédite dans l’après Guerre Froide. Ainsi, sauf à suivre stupidement les idéologues et les ultrasionistes du Quai d’Orsay, M. Villepin devait bien admettre que le vent avait tourné et que les fronts s’étaient en partie inversés.

[8constat repris le 10sept13 sur Radio Classique

[9RFI18spt13

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