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Série noire de jais sur fond d’intervention à Gaza

Chapitre I

dimanche 18 novembre 2012

Alors que le Premier ministre israélien, M. Benjamin Netanyahou (1), dont les blindés tirent depuis plusieurs jours et avec assiduité sur les positions syriennes situées en contrebas du Golan(2), s’emploie à prévenir voire à neutraliser d’éventuels grognements dans les Chancelleries, cela dans l’éventualité probable d’une nouvelle offensive terrestre contre la Bande de Gaza, il semble utile, si ce n’est opportun, de revenir sur une impressionnante série noire de morts violentes et de disparitions qui ont frappé ces derniers mois la communauté du Renseignement… certes sans liens apparents, mais qui ne laisse cependant pas d’interpeller !

Morts en série et recomposition géopolitique

Reprenant ici le recensement particulièrement judicieux de Sami Kleib(3), une remarquable hécatombe semble en effet frapper actuellement les milieux du renseignement arabe… mais pas seulement. Il serait sans doute particulièrement vain de vouloir relier tous ces limogeages et tous ces morts entre eux sauf à succomber à une poussée de conspirationnisme aigu. Reste qu’une question à entrées multiple se pose immédiatement, avec le notable mérite de baliser le champ d’enquête : à qui ces hommes faisaient-ils de l’ombre ? À quoi faisaient-ils obstacles indépendamment des vengeances et des règlements de comptes ? En tout cas il semble bien inutile d’invoquer le divin hasard ou la pure coïncidence, ce pourquoi nous suivons Sami Kleib, lorsqu’il voit dans ces morts brutales non la marque d’un destin néfaste “mais les signes d’une lutte secrète préludant à l’instauration de nouvelles lignes de forces au Proche-Orient“. Évoquons donc les plus remarquables de ces morts non médiatisées…

Arabie saoudite Bandar ben Sultan

Le 6 novembre en Arabie saoudite, dans le contexte d’une série d’attentats non documentée par la presse, le prince Mohammed ben Nayef était nommé ministre de l’Intérieur à l’occasion d’un vaste mouvement de personnels dans les Services du renseignement du royaume… Services en principe dirigés par le prince Bandar ben Sultan (4). Un personnage clef de l’influence anglo-saxonne en Arabie Saoudite, étrangement disparu de la scène saoudienne depuis l’été dernier et dont on dit avec insistance qu’il aurait été victime d’un attentat en juillet 20124. Assassinat resté secret s’il a eu lieu, mais qui, en contrepartie, a aussitôt fait l’objet d’une entreprise de déni. Ainsi à Beyrouth le site Middle East Strategic Perspectives qualifait l’annonce d’un éventuel décès de “non événement“ : un « assassinat médiatique de faible intensité ». Certes. N’en demeure pas moins que ben Sultan n’a pas réapparu depuis !

Pourtant, le 29 juil. le Réseau Voltaire annonce depuis Damas qu’une “source officieuse” aurait confirmé la mort du chef du Renseignement saoudien, l’un des maitres marionnettistes de la guerre terroriste et djihadiste qui ravage la Syrie. Il se serait agi de représailles exercées par les Services de sécurité syriens après l’attentat de Damas (5) du 18 juillet, lequel a décapité une partie du commandement militaire syrien… attentat qui aurait été organisé par le prince Bandar avec l’aide de la CIA ! Le 31 juil. le site israélien DebkaFiles confirme la mort de Bandar interprétant en outre le silence officiel des saoudiens comme le signe d’un grand désarroi « Saudi silence on intelligence chief Bandar’s fate denotes panic ». En en imputant aussi l’initiative à l’Iran. En tout état de cause, l’événement, s’il a vraiment eu lieu, peut s’interpréter comme un retour de flamme du drme syrienne… crise qui a vraisemblablement atteint et contaminé un royaume saoudien qui ne cesse de jouer inconsidérément avec le feu : les régions de l’Arabie saoudite où prédominent les Chiites se montrent de plus en plus instables… de même le voisin yéménite qui, en dépit de récente conversion à la démocratie unipolaire, est devenu un champ clos où s’affrontent durement, al-qaïdistes, sunnites et chiites.

Liban, le Général Wissam al-Hassan

La liquidation explosive le 19 oct. 2012 de Wissam al-Hassan à Beyrouth à son arrivée de Paris participe du même cas de figure. Chef du Renseignements des Forces de Sécurité Intérieures – FSI – il assurait l’interface avec ses homologues d’Arabie Saoudite, français et anglais et américains. Al-Hassan était évidemment “directement impliqué non seulement dans l’incendie qui consume la Syrie, mais aussi dans les conflits internationaux et régionaux“. Selon le Réseau Voltaire [28 oct.] relayant des hypothèses et rumeurs qui ont aussitôt couru à Beyrouth d’abord, puis sur la Toile, la mort de Wissam el-Hassan n’est cependant pas définitivement acquise : « aucune analyse médico-légale n’ayant pu établir que la victime se trouvait dans sa voiture. Le général serait rentré le jour même de Paris où il faisait son rapport à son officier traitant, le général Benoît Puga. Or la police de l’air et des frontières n’a aucune trace de son arrivée au Liban ».

Accordons sur ce dernier point plus longuement la parole au sulfureux mais bien informé Thierry Meyssan (6) : « La France a fait circuler une rumeur selon laquelle le président Bachar el-Assad aurait commandité au Hezbollah l’assassinat de cinq personnalités libanaises : le chef des Forces de sécurité intérieure, le directeur des forces du ministère de l’Intérieur, le grand mufti, le patriarche maronite et l’ancien Premier ministre Fouad Siniora. Puis Paris a sacrifié Michel Samah qui lui servait d’agent de liaison avec les services syriens, tombé en disgrâce à Damas et donc devenu inutile. Le brillant et versatile politicien est ainsi tombé dans un piège tendu par le général Wissam el-Hassan, chef des FSI et agent de liaison avec les salafistes. Paris a alors sacrifié le général Wissam el-Hassan, qui était devenu dangereux tant il savait de choses… ».

« Au cœur de cette machination, on trouve le général Benoît Puga. Cet ancien commandant des Opérations spéciales et directeur du Renseignement militaire français a été chef de l’état-major particulier du président Nicolas Sarkozy, poste où i a été maintenu par le président François Hollande. Affichant un soutien inconditionnel à la colonie juive de Palestine et entretenant des relations privilégiées avec les néoconservateurs américains, il a relancé la politique coloniale de la France en Côte d’Ivoire, en Libye et en Syrie. Il était l’agent traitant à la fois de Michel Samaha et de Wissam el-Hassan… À paris, en violation des institutions démocratiques, il gouverne seul la politique proche-orientale de la France, bien que cette attribution ne corresponde pas à ses fonctions officielles ».

Nous laissons bien entendu à M. Meyssan la pleine responsabilité de son propos et de ses écrits, mais il va de soi que ses thèses ne peuvent être écartées d’un revers de main, car vraies ou fausses, elles apportent un éclairage indispensable sur les jeux complexes dont le Levant est aujourd’hui le théâtre. Ajoutons pour ceux qui aurait oublié de savoir lire entre les lignes, que Voltaire sous-entend que l’assassinat d’el-Hassan aurait pu être décidé et mis en musique depuis Paris. Si cette mort à la mise en scène grandiose est bien intervenue, une grosse poignées de morts et une rue du quartier chrétien d’Achrafieh totalement dévastée, ce n’est pas en effet une mince affaire ! Notons ici, que dans le cas de Bandar ben Sultan, sa mort n’a pas été officialisée et n’est jamais entrée dans le périmètre des écrans radars médiatiques ; dans le cas de Wissam al-Hassan, l’homme a lui également disparu, quant à sa mort elle n’est pas non plus prouvée… ni plus ni moins en vérité que celle de feu Ben Laden !

Autres cas

Pour clore ce chapitre, notons que l’assassinat d’al-Hassan a été précédé le 19 juillet du décès impromptu aux États-Unis à Cleveland dans l’Ohio du chef du Renseignements et vice-président égyptien Omar Suleiman… Entré à l’hôpital « en bonne santé pour des examens médicaux » [Euronews], tandis qu’Hakan Fidan, directeur adjoint du Renseignement turc était assassiné à son tour et à domicile dans sa maison d’Istanbul… Même jour et peut-être même heure, un ancien patron des Services israéliens était apparemment abattu tué à Vienne, en Autriche, au lendemain du jour où en Bulgarie, à Bourgas, périssaient de sept touristes israéliens dans l’explosion de leur autocar… Plus banalement, Mohammed al-Zahabi, ancien chef du Renseignement jordanien, était simultanément arrêté pour corruption. Quelques heures après la mort de Suleiman, Hichem Bakhtiar, chef du Renseignements syrien décédait des suites à des blessures reçues la veille dans l’attentat qui avait visé à Damas l’immeuble de la Sécurité nationale. Le feuilleton « Les tyrans sont parmi nous » ne semble pas prêt de trouver son épilogue.

Il est difficile de comprendre ce qui se passe sans lier ces événements à quatre dossiers principaux ; ceux de l’Iran, de la Syrie, des mouvements salafistes, et de la concurrence politique et économique entre la Russie et les Etats-Unis. Le conflit entre les différentes coalitions régionales et internationales est à son comble. L’Occident, l’Arabie Saoudite, le Qatar, ainsi que d’autres Pays du Golfe ont substantiellement soutenu certains partis de l’opposition syrienne. Rien que pour le Qatar, on parle de 11 milliards de dollars. Le nombre d’insurgés armés et les tonnes d’armes passées en Syrie ont ainsi atteint un niveau qui empêche la Russie de récolter les fruits de son soutien au gouvernement du Président Bachar al-Assad, mais qui néanmoins reste insuffisant pour le renverser.

Entretemps, plusieurs ministres russes, tels ceux de la Défense et des Affaires étrangères, n’hésitent plus à déclarer haut et fort leur soutien aux autorités syriennes et leur refus de laisser tomber le Président Al-Assad. Moscou est devenu une sorte de bouclier du gouvernement syrien. Elle accuse l’Occident, critique l’opposition, répète inlassablement qu’il n’y a de solution que par la négociation, le Président syrien devant en rester partie prenante. Finalement, jusqu’ici elle a réussi à contrarier les projets occidentaux visant à modifier le pouvoir en Syrie.

Washington, profitant de la crise syrienne, a réussi son escalade agressive contre l’Iran. Elle a durci l’ensemble des sanctions à son encontre, a étranglé son économie, et a contribué avec certains de ses alliés à exacerber le sectarisme confessionnel contre ce pays et le Hezbollah libanais à la fois. Mais, M. Obama est arrivé en fin de mandat sans obtenir la chute du Président syrien qu’il appelle de ses vœux depuis plus d’un an et demi. Al-Assad est toujours en place et l’Armée syrienne se bat depuis près de deux ans.

D’un autre côté, la même coalition anti-syrienne s’est arrangée pour atteindre son objectif consistant à compromettre la Turquie dans sa guerre contre la Syrie ; laquelle a réagi en laissant la bataille l’atteindre à ses frontières et même en son cœur, à travers les Kurdes, les Alaouites et la province du Hatay.

Les chances de compréhension entre les pays du Golfe et les autorités syriennes sont désormais réduites à néant. Il se dit que l’Émir du Qatar s’est rendu à Gaza pour rétablir sa popularité parmi les arabes à travers la cause palestinienne, après en avoir perdu une bonne partie dans « les pays du printemps arabe ». Mais, il se dit aussi que cette visite devrait servir de couverture à la préparation d’une opération prochaine, politique ou militaire, en Syrie. L’opération pourrait débuter dans le nord par la création d’une zone tampon avec augmentation du niveau de l’armement de l’opposition et formation d’un gouvernement en exil. De plus, L’Émir du Qatar aurait promis à ses alliés occidentaux de calmer les ardeurs du président palestinien Mahmoud Abbas, pour la reconnaissance d’un État palestinien par l’ONU.

Du côté opposé, l’Iran, la Syrie, et la Russie ont, dans une large proportion, réussi à attirer l’Irak dans leur camp. Des préoccupations, externe et interne, ont été suffisantes pour ramener la Jordanie à une neutralité minimale ; tandis que le Liban s’enfonce dans les répercussions de la guerre contre la Syrie et risque de payer un prix encore plus élevé si la guerre se prolonge.

Au plus fort des tentatives d’étranglement de l’Iran par l’économie, et de la Syrie par les armes, trois pays voient leur sécurité interne menacée : l’Arabie saoudite, le Bahreïn et la Turquie. Et le Liban La situation politique pose problème en Jordanie. Le ton monte encore aux Émirats Arabes par la voix du chef de la police de Dubaï [2] qui s’en prend aux Frères musulmans ; tandis que nombre de décideurs invitent à plus de précautions à leur égard dans les Pays du Golfe, et que d’autres s’inquiètent de l’expansion iranienne au Yémen et aux limites de l’Arabie saoudite.

Par conséquent, il est probable que nous ayons assisté à une guerre entre les différents services de renseignement, mais il est certain que la région est au bord de la guerre. Personne n’ose appuyer sur la gâchette le premier, mais la situation atteint l’intolérable. Il est difficile de s’imaginer que l’Iran puisse rester silencieux alors qu’il est asphyxié économiquement. Il est encore plus difficile de s’imaginer que la Syrie reste sans réagir en attendant l’arrivée des missiles anti-aériens entre les mains des insurgés armés sévissant dans tout le pays. Sans oublier que l’Occident commence à sérieusement s’inquiéter pour ses intérêts, et ceux d’Israël, devant l’élargissement du mouvement salafiste djihadiste de l’Irak à la Syrie, via la Jordanie et le Nord Liban, vers le Sinaï égyptien !

Il faut donc une guerre ou un accord. Les deux sont plus que jamais possibles, surtout depuis que les USA ont élu leur nouveau président. Nul ne peut se permettre un échec dans cette bataille des coalitions, car celui qui échouera pourrait tout perdre !

Léon Camus 13 novembre 2012

Notes :

1 – JSSNews 12 nov. 2012 « Netanyahu prépare les diplomates occidentaux à une opération d’envergure à Gaza ». Le 12 nov. M. Netanyahou haranguait un parterre de cinquante diplomates et ambassadeurs venus à Ashkelon recueillir la bonne parole. « Plus d’un million de citoyens ont à vivre dans une réalité où dans les 15 ou 30 secondes, ils ont besoin de trouver un abri contre les missiles qui tombent de Gaza, alors que les terroristes eux-mêmes se cachent derrière les civils. C’est un double crime de guerre… Je ne suis pas prêt à accepter cette situation, et nous agirons pour l’arrêter ». Depuis le 10 nov. 150 roquettes et missiles ont frappé Israël mais ce qu’omet de rappeler le Premier ministre hébreu ce sont les assassinats ciblés et les récents bombardement incessants de la bande de Gaza. Le tueur crie à l’égorgement.

2 - Israël qui feint d’être absent du théâtre d’opérations syrien, en fait n’a pas mâcher la main, au contraire, notamment parce que le Mossad contrôle, au moins en partie, les éléments djihadistes combattant en Syrie. M. Netanyahu et le Likoud ont en effet depuis longtemps opté pour une “somalisation“ de la Syrie dont l’éclatement et la destruction de son armée, en levant un obstacle majeur, lui ouvre la voie conduisant à Téhéran.

3 - Sami Kleib « Syrie. Conflit américano-russe et hécatombe d’officiers du renseignement source ». Source As-Safir 7 nov.2012

4 – PressTV.com 22 juil. 2012 évoquait une explosion dans les bâtiments des Services spéciaux saoudiens et la mort de l’adjoint du prince Bandar : « The explosion took place on Sunday when Bin Sultan’s deputy was entering the building, Yemen’s al-Fajr Press quoted eyewitnesses as saying ». Le 26 juillet, MediaLibre.eu reprenant l’info précédente annonce le décès de Bandar ben Sultan : « L’explosion a eu lieu ce dimanche, quand M. Ben Sultan est entré dans le bâtiment. Les médias saoudiens se sont jusqu’à présent abstenus de montrer toute réaction à l’explosion, et ne fait aucun commentaire ».

5 - 18 juil. 2012 mort du vice ministre de la Défense et du responsables de la Sécurité syriens suivi de l’arrestation d’Ali Mamlouk, chef du bureau de la Sécurité nationale syrienne, soupçonné de complot dans l’affaire Michel Samaha, accusé au Liban de terrorisme au profit de Damas.

6 – Thierry Meyssan 28 oct. 2012 « Les mauvais perdants de la crise syrienne » Voltaire.org

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