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Faut-il fermer les bourses ?

De la nuisance économique et de l’irrationalité de la Bourse

mercredi 28 septembre 2011

Quelle est, en principe, la vocation des bourses ? Susciter des investisseurs qui en échange de leurs deniers se voient remettre des parts d’une entreprise donnée, parts autrement nommées « actions » ! Or si le rôle des bourses se limitaient à cette noble fonction, développer les entreprises en tant que sources de financement extérieures gagées sur les profits supposés et à venir, tout serait bel et bon, sauf qu’en réalité la spéculation s’en mêle qui vicie un processus a priori sain sur le fond et louable dans le principe !

Ne prenons qu’un seul cas pour illustrer le détournement des bourses au profit quasi exclusif des requins de la finance, celui d’Air France-KLM… Le 23 août 2011 la valeur de son action étant tombée à 5,976 € [6,2 € en dernière date ce qui n’est guère mieux] cela signifiait que la valeur totale de l’entreprise avec ses infrastructures et les 256 appareils de sa flotte commerciale ne valait plus à cette date, en capitalisation boursière, que 1,79 mds d’€ soit l’équivalent de sept exemplaires de l’A380 d’Airbus [sur catalogue l’A380 s’affiche au plus à 337,5 millions de $].

En clair cela signifie que le premier des fonds souverains venu, Chinois, Qatari, Ouzbek ou autre (hier c’eut pu être M. Kadhafi et ses 70 md de $ de fonds disponibles) aurait la possibilité (pas si hypothétique que ça) de racheter pour une bouchée de pain le fleuron européen de l’industrie des transports aériens !? Au fou ! Un exemple qui illustre tout à la fois l’inutilité des bourses dévoyées qu’elles sont par la spéculation – qu’il s’agirait de brider et de taxer lourdement – et surtout de leur capacité sans limites de nuisance… à savoir leur dangerosité au regard de l’existence, voire de la survie des économies nationales ou pire de la bonne santé du corps social actuellement frappé de plein fouet par la désindustrialisation, l’un des fléaux du temps présent [1].

Le 13 sept. RBS dégradait la cotation de « recommandation » sur Air France-KLM passant du label « conserver » à « vendre » en abaissant sa préconisation de cours de 9 € à 5,50 (cotation à 9 précédemment établie en dépit de la sous-performance du titre). RBS justifiait cette décision par une perte évaluée à 135 millions d’€ en 2011 en lieu et place d’un bénéfice escompté de 527 millions d’€… Un exemple exemplaire montrant comment ces agences de notation, qui font la pluie et le beau temps sur les marchés, sèment inconsciemment (ou volontairement ?) la panique et désinforment à qui mieux mieux ceux qui se croient ou se prennent pour des grands initiés du sérail : à la veille du 16 septembre 2008 Lehman Brothers était encore coté triple A, tout comme les Subprimes (crédits hypothécaires à risque), et même le divin Madoff… Or à l’évidence ces « agences » raisonnent de façon mécanique suivant une logique étroitement, stupidement comptable. Nous resterons d’ailleurs charitables en ne déclarant pas (notre incompétence nous l’interdit mais beaucoup le disent) que leurs méthodes ne valent pas tripette, qu’elles sont déloyales et partiales. Au vu des résultats désastreux de leurs évaluations (panique sur les marchés lors de la dégradation de l’une des premières économies européenne, celle de l’Italie) nous serons en effet assez tentés de le croire. Une chose est certaine, elles ont longtemps fait preuve, comme pour les PIGS (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne), d’un aveuglement (délibéré ?), d’une irresponsabilité et d’une capacité de nuisance sans limites. Rappelons ici que Goldman Sachs conseillait à la fois Athènes sur la façon de maquiller ses comptes publics et jouait – la baisse – contre son client misant sur sa déconfiture. Bel exemple de duplicité et de jeu pourri.

Faut-il en ce sens aller jusqu’à imaginer - de façon évidemment paranoïaque - que des forces obscures sont à l’œuvre pour mettre l’Europe à genoux, faire accepter et même désirer aux élites et aux peuples des nations européennes le grand saut dans le fédéralisme, cela tout en se sucrant au passage ? Pourquoi pas ? L’hypothèse n’est pas absurde et elle a le mérite certain d’être en congruence avec les faits.

Reste une question académique, au vu du chaos boursier actuel, considérant les risques pesant sur nos sociétés et nos entreprise, en un mot considérant le risque sociétal que fait aujourd’hui courir le fonctionnement erratique des bourses, leurs contre-performances en matière de soutien des secteur productifs, leur rôle délétère dans la destruction instantanée de richesses [2], faut-il alors se décider à les fermer ? Considérant enfin que 70% de l’activité boursière étant de nature purement spéculative, principalement à la baisse, à défaut de pouvoir encadrer les dits spéculateurs qui jouent quotidiennement la vie des autres plus ou moins à la roulette (russe), n’est-il pas urgent, et même prioritaire, que cela cesse ? Taxer durement la spéculation fait partie du remède, fermer les bourses ou ne les ouvrir que sporadiquement en est un autre ! Sinon, et bien demain nous récolterons ce que nous aurons laissé semer et ce sera la guerre en Europe comme n’hésitait pas à l’évoquer la semaine passée le ministre polonais des Finances à Strasbourg devant le Parlement européen [3]. Des propos qui résonnent lugubrement dans le climat de crépusculaire morosité régnant ces jours-ci. Cependant, a contrario de M. Jacek Rostowski, dont le pays, qui n’est pas membre de l’€urozone mais assume la présidence tournante de l’UE, ce ne sera pas la disparition de l’€uro qui sera la cause d’une éventuelle conflagration, mais essentiellement son maintien contre vents et marées… et contre toute raison !

Léon Camus

Notes

[1La désindustrialisation est l’une des conséquence parmi d’autres des « restructurations » (délocalisation, plan sociaux, politique de hauts rendements ou de retour intensifs sur investissements), fléau qui accompagne la financiarisation de l’économie : l’industrie ne produit plus de biens mais du « revenu » !

[2Début août, le Cac 40 ayant perdu 8% sur cinq séances boursières successives, ce sont quelque 70 mds d’euros de capitalisation boursière qui se sont évaporés soit l’équivalent de Total.

[3Jacek Rostowski « L’Europe est en danger… Si la zone euro se fissure, l’Union européenne ne sera pas capable de survivre, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer »… Notamment une « guerre au cours des dix prochaines années. »14 sept. 2011.

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