Entrée de Garibaldi à Palerme
C’est le sentiment de tout voyageur à Naples, ville à demi espagnole, qui a connu aussi, comme dans tout le sud, une répression féroce, du type de la guerre civile de l’autre péninsule européenne, à l’arrivée des libéraux. Or ce n’est pas un débarquement qu’a connu la région du Royaume de Naples et des deux Siciles, sous la dynastie des Bourbons d’Espagne, mais de la fin du 18e siècle à 1815, plusieurs aventures politiques ont soulevé l’indignation locale contre les nouveaux intrus qui se plaçaient sous le drapeau des idées neuves. C’était plutôt eux qui offraient quelque nouveauté, et surtout, une méconnaissance des usages du pays, un irrespect des propriétés et du droit coutumier. Une littérature s’est emparée de cette résistance que racontent des livres d’histoire que vous trouvez sur les marchés napolitains, et a décrié les insoumis à l’ordre nouveau, mais instable, comme « i briganti » - les brigands.
Cette répression d’abord francophile, sur le modèle jacobin, à partir de 1796, puis napoléonienne, continuée par les Garibaldiens et la Maison de Savoie, a laissé tant de traces, que le système républicain n’a pu s’imposer constitutionnellement qu’au prix - comme à Nice, lieu de naissance du fameux aventurier Garibaldi, le patriote qui s’offrit même à lutter contre la contre-offensive allemande en 1870 - d’une fraude massive aujourd’hui reconnue.
Mais les phénomènes ne peuvent s’imposer que s’ils sont chiffrés. Et une étude contemporaine montre ainsi que lors de la fameuse épopée racontée dans les livres d’histoire, sur la prise de Naples par les « chemises rouges » de Garibaldi et l’entrée de la tolérance religieuse portée par la maison de Savoie, qui fut la dynastie célébrée par tous les républicains du Vieux et du Nouveau Monde, les chiffres suivants de la répression glacent d’effroi : nous avons affaire à une Vendée italienne, les Musulmans diront plus tard, à un Afghanistan méditerranéen. Les Taliban étaient alors des religieux, j’entends des curés et des moines et de ceux qui ont la faiblesse de croire, aux yeux de la psychiatrie politique, que le monde n’est fini ni à la naissance ni à la mort de l’individu, et que le Destin guide les étoiles autant que la liberté, qui n’est qu’interne, nullement affichable sur un fronton de mairie ou de commissariat, ou d’un palais de justice.
Les hommes de peine surtout, ceux qui vivent avec la nature ou le monde animal veulent y croire, comme les femmes être aimées, ce qui ne signifie pas que toutes les paroles soient vraies, du moins physiquement. « J’ai dû retirer le savoir, et laisser place à la croyance » déclare Kant dans une préface célèbre. Les nouveaux riches voulaient l’inverse, ils prétendaient tout savoir : comment diriger les hommes en les méprisant pour le bonheur de tous, en proposant à la jeunesse de renverser les aînés pour être parmi les premiers servis à la table de la nouvelle économie, en posant à côté de leur soupe une sorte de Code napoléonien qui fasse sauter les verrous de la coutume que seuls les Allemands - lents et réfléchis et pour cela excellents compositeurs - respectaient avec les peuples du Nord et l’Angleterre ancienne et nouvelle, outre-atlantique. Mais là aussi le progrès suivait sa marche. Pas d’accord ? Au poteau d’exécution !
Ainsi est allé le monde dans la région montagneuse de la Basilicate, à la botte italienne, « de 1861 à 1863, 1038 personnes furent fusillées, 2413 tuées dans des accrochages . Dans la région de Naples, 8 968 personnes furent fusillées parmi lesquelles 66 prêtres et 26 frères,10 604 furent massacrés et 7 112 faits prisonniers » rappelle un périodique catholique italien du Piémont qui a pignon sur rue [1].
La question romaine, toujours irrésolue.
On apprend en littérature française que les Autrichiens en Italie sont de méchants garçons, et Stendhal que Nicolas Sarkozy, qui ne cite que le Rouge et le Noir, dit sur son Facebook apprécier, a voulu flétrir dans la Chartreuse de Parme le comte Mosca et tous ceux qui regardaient le soleil se lever à Vienne, alors que Fabrice del Dongo n’a d’yeux que pour les bras blancs de l’italienne, la duchesse Sanseverina. Tout ceci serait bien net si nous ne constations que cette agitation, qui était un héritage de la présence militaire française blessée à mort au Tyrol voisin, n’a jamais abouti à la formation d’un État stable. La vie romaine qui devrait être le centre de cette révolution italienne tournant autour de son axe n’a pu se constituer qu’autour du mythe d’une Rome antique qui, si l’on conçoit bien sa cohérence antique, n’a plus de raison d’être, n’a rien de commun avec l’Italie réelle, sinon dans le verni, et la beauté ancienne a surtout le cachet de la Renaissance.
La seule fondation moderne, même si l’on en conteste aussi la force juridique, à cause de l’absence de preuve de l’Acte de Donation de Constantin, est à chercher dans la seule puissance romaine qui ait existé dans les Temps Modernes, qui est la Souveraineté des Papes. Et pour que nul n’en ignore, nous rappellerons que tout pouvoir religieux bousculé à Rome y a été rétabli. La dernière épreuve fut incontestablement cet envahissement de la Ville par les troupes des chemises rouges garibaldiennes déjà citée. Elles furent repoussées par une coalition dont on ne dit pas assez l’ampleur, puisqu’elle alla jusqu’en Turquie chercher ses renforts, car à cette époque une entente régnait entre la Turquie ottomane et l’Église qui avaient en partie les mêmes adversaires, qu’elles-mêmes taxaient d’athéisme, proscrivant, en langage des mufti, des imams ou des évêques, la franc-maçonnerie caressée par les ambassades anglaises. La victoire remportée à Mentana le 3 novembre 1867 par les troupes françaises, espagnoles, flamandes, et autre sur les représentants des intérêts de la Maison de Savoie, dynastie hyper-maçonnique qui poussa à l’entrée en guerre en 1915 et avait voulu dévorer la Libye ottomane, permit à l’organisation catholique de subsister assez pour organiser le fameux Concile de Vatican I de 1870. Plus tard, quand les troupes italiennes investirent Rome, un peu comme Henri IV protestant avait assiégé Paris catholique, il est à noter que le Chancelier Bismarck a proposé à l’Église catholique d’occuper Cologne comme Siège de sa puissance.
Maintenant que représente Rome, en dehors du prestige religieux et du traité « européen » du même nom, au sein du paysage italien ? Poser la question, c’est déjà y répondre et il n’est pas sûr que l’Italie ne revienne pas, non sous la forme nationale, mais comme la base d’un axe qui, dès le prétendu Moyen-Âge et certainement aux Temps Modernes, formait la base d’un corps dont la tête était les Pays-Bas et le gros estomac l’actuel pays de la Chancelière, gardienne du Graal-Euro. C’est ce que prétendait devant moi Alfred Fierro de l’École des Chartes dont on connaît la production du dictionnaire de la Révolution et de l’Empire, et d’autres monographies. Le lecteur nous donnera-t-il raison ?