Révision générale des politiques publiques (RGPP)
La Révision générale des politiques publiques (RGPP), quand elle n’est pas réduite au slogan politico-technocratique du « non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite », est dénoncée comme une accélération d’un « démantèlement de l’État » consistant à transposer au public les modes de gestion et d’organisation du secteur privé.
À cet égard, l’irruption des cabinets de conseil dans le champ de la modernisation de l’État, à l’été 2007, sonne comme la rupture de la dernière digue protégeant l’État des conceptions gestionnaires issues du répertoire fuyant et polymorphe du New Public Management (NPM).
De fait, on établit souvent un rapport de cause à effet direct entre la présence des consultants et la diffusion des idées néomanagériales dans les organisations publiques. Ce n’est qu’à la résistance d’une noblesse d’État issue des écoles de service public et des grands corps qu’il faudrait attribuer le « retard » français dans l’application du NPM et l’utilisation d’experts externes.
Il n’est donc pas anodin que le chiffre d’affaires réalisé par les cabinets de conseil au sens large auprès des administrations soit passé, entre 2007 et 2009, de 8 à 17 % du marché total, pour descendre à 13 % en 2011, ce qui place le public au troisième rang des secteurs consommateurs de prestations de conseil après les services financiers et l’industrie.
Cela l’est d’autant moins qu’on sait que cette progression est directement liée à la demande de l’État central, et témoigne donc bien d’une ouverture accrue des ministères à des acteurs jusqu’alors largement tenus en lisière et cantonnés aux collectivités locales. Faut-il alors voir dans la RGPP une rupture avec la tradition française d’un monopole de l’expertise publique sur la question de la réforme des appareils administratifs d’État ?
Assiste-t-on aux prémices d’une « consultocratie » à la française vouée à remplacer les expertises internes ?
À bien y regarder, tel est loin d’être le cas. Les élites, notamment à Bercy, n’ont attendu ni la LOLF (loi organique relative aux lois de finances), ni la RGPP pour s’approprier le répertoire néomanagérial, notamment quand il pouvait constituer une ressource au service de la perpétuation de leur domination.
Doit-on, alors, ne voir dans les cabinets de conseil que des exécutants dociles à la main de ces gardiens du temple ?
Ce serait réduire la réforme à son processus de décision et faire ainsi peu de cas du trouble qui a saisi nombre de fonctionnaires au vu de la manière dont la réforme était présentée et mise en œuvre, comme dans leurs interactions avec les consultants. Plus que jamais, il est nécessaire de saisir les phénomènes dans leur contexte institutionnel, normatif et matériel, c’est-à-dire relationnel.
Poser le problème ainsi revient à le déplacer pour ne plus scruter uniquement « ce que les consultants font à l’État » mais de se demander également comment ils le font et avec qui. L’avantage de cette posture est d’obliger à se départir des oppositions trop simples – entre publics et privé, et entre consultants et fonctionnaires – pour mieux saisir la modernisation de l’État dans toute sa complexité.
Cela impose également de rompre avec une vision qui présenterait fonctionnaires et consultants comme deux populations homogènes. Les deux groupes sont traversés par des mondes sociaux divers, entre lesquels existent des traditions différentes, des discordes et des hiérarchies. C’est donc, comme le proposent Odile Henry et Frédéric Pierru, « une configuration spécifique des agents mobilisés autour de la “réforme de l’État” ».
L’enjeu est ainsi de comprendre par quelles voies des acteurs, indésirables quelques mois auparavant, ont pu investir aussi rapidement la modernisation des structures publiques pour en faire un champ d’expérimentation des outils néomanagériaux. La réponse n’est pas simple et tient à la fois de la longue acculturation des élites et d’un système d’expérimentation sous contrainte, dont il faut décrire les contours.
Dans un premier temps, nous pensons nécessaire de remettre le phénomène en perspective, en montrant comment les évolutions récentes de certains secteurs de la haute fonction publique ont créé les conditions d’importation des pratiques néomanagériales dans le reste de l’État. Il convient ensuite de cerner les conditions organisationnelles et juridiques qui permettent – à travers la toute jeune direction générale de la Modernisation de l’État (DGME), qui fait figure de passeur – d’établir des ponts entre les deux mondes. On pourra alors saisir les nouveaux outils de gestion en action, avant de montrer enfin comment la configuration de la RGPP instaure un système de « contrainte douce »8, qui explique l’implication croissante des cabinets de conseil.