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Affaire Thomson

L’avocat américain en prison

samedi 6 mars 2010

ESPION DE THOMSON, avocat astucieux ou agent de la CIA ?
L’énigmatique William Lee, cerveau du « projet Oiseau », nom de code d’une opération de déstabilisation du groupe Matra-Hachette, dort dans une prison française depuis mardi.

Julien Dumond et Laurent Valdiguié | 18.10.2002

Cet avocat américain, en fuite depuis fin mai, s’est fait interpeller en septembre à l’aéroport de Vienne, en Autriche. La police autrichienne, en le contrôlant à sa descente d’avion, a aussitôt fait jouer le mandat d’arrêt international délivré par la juge d’instruction parisienne Marie-Pierre Maligner-Peyron.
Extradé à Paris mardi, Lee a été aussitôt placé en détention. Son arrestation devrait permettre de relancer un dossier ultra-sensible, dans lequel Alain Gomez, l’ancien patron de Thomson, ainsi que plusieurs avocats sont mis en examen pour « complicité de tentative d’extorsion de fonds ». Et cela au moment où la chambre de l’instruction vient de repousser toutes les demandes de nullité de la procédure engagées par les mise en examen.
Entre autres, ils demandaient le dessaisissement de la juge d’instruction au prétexte que son mari travaille à la section financière du parquet de Paris... « Bagarre entre les deux géants de l’armement »

Le projet « Coupez les ailes de l’oiseau » remonte à 1995, à l’époque de la fusion entre Matra et le groupe Hachette.

Un avocat américain, William Lee, au nom de mystérieux « petits porteurs », dépose alors plainte pour escroquerie contre Matra. Il estime que, lors de la fusion, le groupe de Jean-Luc Lagardère a dissimulé dans ses comptes des ventes de missiles à Taïwan pour 8 milliards de francs...
Selon Lee, cette « dissimulation volontaire » a lésé les petits porteurs. Au siège du groupe Matra-Hachette, on flaire une « opération de manipulation ».
L’enquête semble leur donner raison. En perquisitionnant chez un ancien du groupe Thomson, reconverti avocat, les gendarmes découvrent de curieux documents confidentiels, estampillés « projet Oiseau ». Selon les enquêteurs, ces documents démontreraient un lien entre le groupe Thomson, présidé par Alain Gomez, et William Lee. Via un réseau présumé de fausses factures, Thomson aurait financé en sous-main les opérations de l’avocat américain. Dans quel but ? « Tout cela s’inscrit dans le cadre de la bagarre entre les deux géants de l’armement, Thomson et Matra », souffle un enquêteur. Au passage, la juge Maligner-Peyron n’a pas hésité à mettre en examen pour « complicité de tentative d’extorsion de fonds »
trois avocats parisiens, M e s Dominique Falque, Vincent Denis et Thierry Lévy. M e Thierry Lévy, un des ténors du barreau de Paris, se retrouve ainsi dans le dossier pour avoir tenté de négocier le retrait de la plainte déposée par Lee contre le paiement par Matra de 144 MF. Confronté cet été à M e Paul Lombard, l’avocat de Lagardère, auprès de qui il avait mené la tentative de négociation, M e Thierry Lévy estime avoir démontré « sa totale bonne foi ». « J’ai été quelque peu instrumentalisé », confesse-t-il aujourd’hui. Reste à savoir quels buts William Lee poursuivait vraiment. Jusque-là, comme Alain Gomez, il nie l’existence de tout « complot » contre Matra. Il devrait être entendu prochainement par la juge.

Le Parisien


William Lee, 59 ans, avocat énigmatique, s’est embarqué dans un imbroglio politico-industriel.
Grand naïf ou petit James Bond ? Est-ce un pion ?

SCHWARTZBROD Alexandra

Cet homme d’affaires est une énigme. Avec ses cheveux de jais gominés, ses fines lunettes cerclées d’écaille et l’élégance blasée qui imprègne chacun de ses gestes, on le croirait tout droit sorti d’un Shanghai Club des années 30.

Il ne sort que d’une sale affaire et rêve manifestement de tomber dans une autre. William Lee aime les ennuis comme on aime les pêches, avec gourmandise.
Rares sont ceux, dans les milieux politico-industriels français, qui n’ont jamais entendu parler de cet avocat d’origine chinoise, de nationalité américaine et de culture française. Personne, pourtant, ne serait capable de dire qui il est vraiment et surtout pour qui il roule. Et plus on en apprend sur le personnage, moins on parvient à le saisir.
Il a été accusé tour à tour d’être un espion américain, voire même chinois, puis de travailler pour le compte de groupes d’armement américains ou français, et, chaque fois, son histoire recèle de quoi alimenter l’une ou l’autre de ces thèses. Lui-même, tout en se présentant comme la limpidité et l’innocence faites homme, ne cherche en rien à dissiper le mystère. Bien au contraire. « La vérité dépend de l’endroit où l’on place le paravent sur la scène », prête-t-on à cet amateur de théâtre chinois. Son fait d’armes remonte à 1993. Avocat américain de renom établi à Paris, William Lee cherche alors ­ c’est ainsi qu’il le raconte aujourd’hui ­ une « affaire » qui illustre à ses yeux les travers du capitalisme français.

Pourquoi ?
L’homme n’a rien d’un idéologue. S’ennuie-t-il ? A-t-il besoin d’argent ? Est-il en service commandé ? Il tombe sur la fusion en cours entre Matra et Hachette, épluche le dossier et croit découvrir une faille. Il saute sur l’aubaine, alerte une poignée d’actionnaires minoritaires du nouvel ensemble et attaque en justice. Différents rebondissements s’enchaînent alors, dignes des meilleurs polars, mêlant allègrement menaces de mort, chantage et espionnage. Lee commence à salement embarrasser l’un des fleurons de l’industrie de l’armement français.
La rumeur veut qu’il se soit retrouvé couché sur la première liste d’espions américains que le ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, décide de chasser du territoire français en janvier 1995. Sur la première liste" mais plus sur la seconde. La CIA, relayée par l’ambassadeur des Etats-Unis en France, Pamela Harriman, aurait assuré Pasqua de la « limpidité » de Lee. C’est du Gérard de Villiers revu et corrigé par James Bond.

Les journaux anglo-saxons, eux, en font leurs choux gras. « Les Français, la CIA et l’homme qui intenta le procès de trop », titre le Washington Post au-dessus d’un article d’une demi-page relatant la saga Lee.
Pour le quotidien américain, l’avocat ne serait qu’une victime de ce capitalisme français qui mêle de façon incestueuse pouvoirs industriel, politique et financier.
Pour William Lee, l’heure de gloire est arrivée" Pourtant, un dernier procès en appel déboute les plaignants dans l’affaire Matra-Hachette. William Lee prend acte de sa défaite et annonce dans Libération qu’il jette l’éponge. Quant à Jean-Luc Lagardère, patron du groupe accusé, il décide de laver son honneur en portant plainte contre X.
Il est convaincu que des mains ennemies ­ espions, barbouzes ou concurrents ­ manipulent William Lee. L’avocat affecte de ne plus se sentir concerné. Il vient, alors, de quitter la France pour les Etats-Unis, où il déclare aspirer à une nouvelle vie au côté de sa troisième femme, Patricia, et de son bébé, Martha. L’homme aime brouiller les pistes, il adore qu’on s’intéresse à lui et parvient à séduire même ses pires adversaires. Il se targue d’être connu de personnalités comme Jean-Marie Messier, le patron de la Générale des eaux, David de Rothschild, le célèbre banquier d’affaires, Michel David-Weil, le numéro 1 de la banque Lazard, Jacques Attali, l’ancien confident de Mitterrand, et ­ forcément ­ de Charles Pasqua, l’ancien ministre de l’Intérieur. Mais, interrogées, toutes ou presque feront dire qu’elles n’ont « rien à dire sur ce monsieur » qu’elles semblent pourtant connaître. Idem pour les ex-confrères de cet avocat brillant.

Manipulateur ou manipulé, victime ou bourreau, mythomane ou grand naïf, prince Malko ou comédien talentueux ?

Probablement un peu de tout cela. « Il n’y a pas de vérité, il n’y a que des histoires »" à nul autre, la phrase de l’écrivain américain Jim Harrison ne pourrait mieux s’appliquer.
Car sa vie est une succession d’histoires invraisemblables.
Son père, Yuan Li, fils d’un ministre des Finances du Sichuan, est envoyé aux Etats-Unis, en 1935, pour étudier l’aéronautique. Il est accompagné d’un certain Tsien, son meilleur ami. Li restera sur le Nouveau Continent pour participer à la création de la première fusée américaine, tandis que Tsien regagnera Pékin, où il s’attellera à la mise sur pied du programme spatial chinois. Les deux amis deviendront ennemis. Puis Li devient conseiller scientifique de la Maison Blanche, avant d’entrer chez Lockheed, le fabricant d’avions de combat, comme directeur de la recherche. Il s’en fera chasser quand il militera contre la guerre du Viêt-nam. Entretemps, il a transformé son nom, que les Américains ont une fâcheuse tendance à prononcer « laï » (lie, mensonge).

C’est ainsi que William devient Lee. Le fils de Yuan aime aussi les voyages.

Il travaille six ans pour le département d’Etat américain en Afrique, avant d’intégrer Harvard, puis, une fois son diplôme d’avocat en poche, il rejoint le cabinet Shearman & Sterling, dont il devient un des piliers du bureau parisien. De là, il sillonne le monde, conseille l’Algérie et Abu Dhabi sur le développement de leurs activités pétrolières, et travaille en liaison avec le cabinet d’Edouard Balladur sur le volet international des privatisations de 1986 à 1988. Parlant un français impeccable avec une pointe d’accent indéfinissable, il reçoit le tout-Paris dans sa « cantine », le très chic Cercle Interallié, à deux pas de l’Elysée. En 1991, il quitte Shearman & Sterling, s’acoquine avec le cabinet de détectives financiers Jules Kroll ­ pour le coup, vrai repère d’agents de la CIA et du FBI ­ et développe des activités de conseil international avec sa société Triangle. Il travaille pour de grands groupes français comme Alcatel, Havas ou Thomson (trois entreprises que le groupe Lagardère a toujours considérées comme « ennemies »" ).

Aujourd’hui, William Lee a décidé de regagner Paris, et nul ne sait pourquoi. Comme si les travers de ce capitalisme français qu’il a tant combattus avaient fini par lui manquer plus que tout. Comme s’il avait fini par s’attacher à ses adversaires. Comme s’il avait gardé de la France un goût d’inachevé.
Il affirme sans ciller qu’il veut donner une éducation française à sa petite Martha. Une chose est sûre : cet homme est un provocateur né, légèrement maso. Au point d’affirmer aujourd’hui : « Lagardère m’a beaucoup appris et notamment qu’il faut rester stoïque face aux attaques judiciaires. »
Interrogé sur ses projets parisiens, il confie : « J’écris un roman d’espionnage économique dont l’intrigue se passe en France, j’ai donc des recherches à faire ici. Je peux aussi conseiller certains groupe" peut-être même Matra. » Quand on vous disait qu’il aimait les pêches.

Novembre 1938. Naissance à Pasadena, Californie.

1961. Il devient le plus jeune diplomate américain. 1968. Il quitte la diplomatie.

Années 70. Il conseille Abu Dhabi, l’Algérie, l’Arabie Saoudite et le Qatar sur des affaires pétrolières.

Années 80. Il conseille Brunei, la Chine, le Kazakhstan, le Nigéria, la Roumanie et la Russie.

1986-87. Il s’établit à Paris et conseille la direction Trésor sur les privatisations.

1992. Il conseille des groupes français sur les marchés chinois et taïwanais.

1993. Il porte plainte contre Matra-Hachette pour le compte de petits actionnaires.

1995. Il quitte la France pour les Etats-Unis.

Février 1996. Naissance de sa fille Martha.

Janvier 1997. Il quitte les Etats-Unis pour la France afin d’y élever sa fille.

Source :
http://www.liberation.fr/portrait/0...

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