CDU/SPD/Grünen même combat
En un mot, qu’un accord de gouvernement soit passé avec les Sociaux démocrates du SPD ou avec les Verts de Die Grünen, ou les deux, ne changera rien à l’affaire. Notons que si ces élections représentent indéniablement une victoire personnelle pour Mme Merkel, toute fois en l’absence de majorité absolue [1] , et à y regarder de plus près, il s’agirait plutôt pour le CDU d’un relatif échec si l’on prend en compte l’éjection de la scène politique de son allié libéral centriste du FDP… qui, en ne parvenant pas au score des 5 %, ne pourra pas – horresco referen - se maintenir au Bundestag ! Une réélection triomphale certes mais également voilée par l’entrée en politique de l’AfD, même si celui-ci ne parvient pas avec 4,7% à franchir la barre fatidique. Une toute nouvelle formation [2] aussitôt qualifiée de “populiste” - terme destiné à la discréditer à peine née – avec laquelle à l’avenir il faudra cependant compter. Une force montante indicative de la lassitude de l’électorat allemand à l’égard de l’ex allié libéral de Mme Merkel. Reste que Dame Merkel ne pouvant pas a priori gouverner seule, elle est condamnée à chercher des alliés sur sa gauche, si tant est que ce mot, en Allemagne comme en France, ait encore un sens…
Car il n’y a que la presse psittaciste pour tenter de nous faire croire qu’il existerait des différences significatives entre l’un et l’autre parti. Entre les conservateurs de l’Union chrétienne démocrate, le CDU de Mme Merkel, et les socialistes du SPD, il n’existe que l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette. Quant aux Verts – les néo-communistes de Die Linke étant pour l’heure hors circuit gouvernemental – ils peuvent aussi prétendre à s’allier au CDU dans la mesure où ils sauront modérer leurs prétentions… d’autant que leur nauséeux passé d’apologistes de la pédophilie revenu à la surface les induit aujourd’hui à un peu moins d’arrogance ! Mais que ce soit le SPD ou Die Grünen, les nouveaux alliés obligatoires de Mme Merkel chercheront obligatoirement à infléchir la politique du CDU pour rendre l’Allemagne plus « solidaire », en un mot plus partageuse.
Solidaire à l’intérieur des frontières allemandes en réclamant une « fiscalité équitable » – entendez « faire payer les riches » ! - et à tout le moins, un salaire minimum horaire de 10 € - l’équivalent du smic français - alors que les salaires planchers se situent aux alentours de 5€/h et dégringolent parfois à 3 ! À l’extérieur, ces partis dits de gauche, peu avares des deniers des classes laborieuses allemandes – c’est-à-dire de tous ceux qui ont une activité productive, de l’ouvrier au cadre dirigeant - exigeront également plus de « solidarité » avec les économies en perdition de la Zone €uro : Grèce, Chypre, Portugal, Irlande, Espagne… et la liste des nécessiteux est longue !
“Vous avez chanté et bien dansez maintenant”
Ce sera donc la grande question – voir la quadrature du cercle - du prochain mandat de Mme Merkel : comment maintenir la prospérité d’un peuple laborieux tout en contribuant à maintenir la tête hors de l’eau des cigales qui se noient pour avoir cru inépuisable le réservoir des subventions européennes et éternels les miracles de l’État providence ? D’ailleurs la France, quoique riche de sa richesse, mais au demeurant fort mal en point, si elle ne veut pas rejoindre définitivement le club des éclopés de la croissance, ne pourra vraiment s’en tirer qu’à condition, elle aussi, de renoncer – et à la condition préalable d’avoir dégagé les idéologues sectaires qui ont fait mains basses sur l’État – à son prétendu « modèle social »… lequel encourage le parasitisme et décourage le travail. Mille pardon pour cette incidente politiquement incorrecte !
Bref pour saisir quelles vont être les grandes lignes directrices des politiques allemandes pour les quatre prochaines années, nul besoin d’aller chercher très loin en dehors des invariants historiques et des constantes économiques habituelles : Mme Merkel sait que la richesse de l’Allemagne réunifiée tient essentiellement à son « outil industriel », que par comparaison la France a laissé péricliter au profit d’une illusoire économie de services. Or, derrière la prospérité germanique, le grand non-dit, le secret contre-idéologique, tient à la solide discipline sociale de la Nation allemande. Il est vrai que tous les peuples étant égaux, les inégalités entre les hommes - constatables au premier coup d’œil – ne peuvent qu’être le fruit de l’injustice, non ? De ces injustices sociales qui font justement accepter au chômeur, et sans rechigner, des emplois à 5€ de l’heure en l’absence de tout salaire minimum garanti. En France, les chanceux contribuables se cotisent eux pour verser un Revenu de solidarité active aux laissés pour comptes de la société progressiste-solidariste libérale-libertaire.
Pour le reste, il y a peu de chance, dans l’actuelle conjoncture de crise européenne et de mutations culturelles (le mariage pour tous étant par exemple symbolique de la révolution des mœurs en cours), que l’Allemagne change de cap et commence à s’intéresser, voire à prendre en charge les bras cassés de l’Europe du sud… « Vous avez chanté et bien dansez maintenant ». Et ne parlons pas des rives africaines de la Méditerranée. L’Allemagne connaît une immigration venant de l’est, essentiellement de la Turquie [d’ethnies turque, turkmène et kurde] elle n’est donc pas a priori très concernée par les vagues migratoires nord-africaines et sub-sahariennes. On a pu mesurer la divergence fondamentale existant à ce sujet entre Paris et Berlin en 2007 avec le projet avorté d’Union pour la Méditerranée promu par le président Sarkozy dès son arrivée à l’Élysée. En juillet 2008, Paris devait d’ailleurs en rabattre sévèrement et abandonner ses ambitions irréalistes pour revenir aux objectifs définis dans le cadre du « Processus de Barcelone » [3].
Une Europe tirée à hue et à dia, l’Allemagne à l’Est, la France au Sud
Il est vrai – pour dire les choses de façon lapidaire - que l’édifice européen étant resté depuis l’origine très incertain dans ses objectifs finaux - lesquels n’ont jamais été jusqu’à présent clairement fixés - la construction européenne était condamnée à se voir tirée à hue et à dia, l’Allemagne vers l’Est, la France par le Sud. Et pour cause ! N’avons-nous pas une Europe sans frontières définies dont les limites semblent toujours reculer plus loin à l’Est ? Les négociations d’adhésion de la Turquie en guerre ouverte contre la Syrie, ne viennent-elles de reprendre ces jours-ci pas avec une ardeur renouvelée ? L’union européenne, de ce seul point de vue, semble impatiente de baigner - de façon jouissive - dans tous les brasiers du Levant. Mais nos politiques voient-ils plus loin que le bout de leur nez ?
De son côté, la France promotrice et gardienne de l’Eurafrique a échoué dans sa mission. Les armes libyennes ont alimenté les maquis du Mali où l’Opération Serval se révélera à terme comme un terrible fiasco en ce que le coup de bistouri aura eu pour effet de diffuser des métastases salafistes dans toute l’Afrique de l’Ouest. Or, sur la longue durée, sauf grands accidents de l’histoire, l’Allemagne s’est toujours tournée vers l’Est. Celle-ci abonnée à l’Ostpolitik depuis octobre 1969 et le cryptocommuniste Willy Brandt, voit à ce titre midi à sa propre porte et l’avenir de l’UE en direction de l’espace eurasiatique. Que ce soit avec l’adhésion de la Turquie ou l’achèvement de l’intégration des États balkaniques et au-delà ceux du Caucase – la Géorgie, comme l’Ukraine, sont candidates à l’adhésion - l’Ostpolitik constitue une tendance lourde et une constante que confirment nombre d’événements.
L’Europe allemande se construit à l’Est
Ajoutons que bien d’autres divergences – outre celles déjà citées quant à l’inutile nécessité d’une coopération transméditerranéenne renforcée – ou d’autres fractures courent sous la surface lisse du faux couple franco allemand. Entre 2006 et 2009, dans le partenariat industriel franco-allemand que l’on avait cru exemplaire, celui d’Airbus Industrie, apparaissent de profondes fissures qui n’ont été refermées qu’au bout de plusieurs années et grâce à un sévère plan de restructuration. En janvier 2009 le divorce Areva-Siemens est consommé, le géant allemand guignant désormais la Russie pour un nouveau partenariat nucléaire, épisode que contredisait de facto au mois d’avril suivant le consensus de façade affiché au sommet du G20 par les deux chefs d’État, Merkel und Sarkozy.
Nous n’énumérons pas toutes les manifestations berlinoises du tropisme russe. Rappelons cependant que depuis 2011 et l’abandon programmé par Mme Merkel de la filière électrique nucléaire, les liens déjà existants avec le russe Gazprom, grand pourvoyeur de l’Europe en énergie fossile de substitution, se sont constamment renforcés. À ce propos, avant le triomphe de l’idéologie écologiste – laquelle n’a évidemment rien à voir avec l’écologie réelle – et la relance à plein rendement des tourbières allemandes et des mines de charbon de la Ruhr (non polluantes comme chacun sait), l’ancien chancelier Gerhard Shröder n’avait-il pas pris en mars 2006 (donc après l’arrivée aux Affaires de Mme Merkel), la présidence du consortium germano-russe North-European Gas Compagny ? Autrement dit du projet de gazoduc destiné à relier la Fédération de Russie à l’Allemagne en traversant la mer Baltique, c’est-à-dire en évitant l’Ukraine, la Lituanie et la Pologne. Auparavant le gouvernement de Gerhard Schröder s’était d’ailleurs porté garant d’un crédit d’un milliard d’euros proposé par les banques Deutsche Bank et KfW au profit de Gazprom. Pour mémoire, North Stream, à l’instar de South Stream, concurrence directement le projet euraméricain Nabucco dont la mise en service n’est désormais pas attendue avant 2018, si Dieu le veut… ce qui n’est pas sûr !
Ostpolitik et géopolitique transcontinentale
L’abandon du nucléaire aura été une bonne affaire pour l’Allemagne. Une moins bonne pour les retraités allemands, de plus en plus nombreux dans une société vieillissante en perte de vitesse démographique. Ceux-ci verront leur note d’électricité croître d’environ 400 € dans les années qui viennent. C’est là la rançon du progrès et de la renonciation à l’énergie atomique. Au reste Mme Merkel s’est bien gardée de rappeler ce fait d’évidence lors de sa campagne. La bonne affaire est simple : les industries allemandes tournent à plein régime pour inonder la planète de miraculeuses éoliennes dont le rendement véritable oscille entre 5 et 35%… sauf évidemment en quelques lieux très privilégiés comme la mer du Nord. Siemens fabrique des turbines et Messerschmitt, des pales. Quant aux Allemands ils font marcher leurs usines au gaz russe, au nucléaire français et à la houille propre. Inutile d’en dire plus long.
In fine, le cas de l’Allemagne lève le voile sur l’existence de deux Europe, l’une dominée par l’économie allemande orientée vers l’Est dont l’Ostpolitik constitue un invariant facilement déductible des choix stratégiques de Berlin – notamment énergétiques nous venons de le voir - devenus parfaitement visibles après la chute du Mur de Berlin en 1989 et la signature du Traité de Maëstricht quinze mois plus tard, en février 1992. La seconde Europe, celle du Sud, l’Europe latine, trouve son extension naturelle dans le monde méditerranéen (Paris, Rome et Madrid), et au-delà vers l’Eurafrique qui lui donnait naguère sa profondeur de champ stratégique. Le différentiel distinguant ces deux Europe, comme celui séparant les deux États français et allemand, se trouve indéniablement inscrit dans la matrice historique et culturelle des deux pays. Et il ne devrait, en tout état de cause, que s’accroître avec le temps en dépit du volontarisme idéologique et du constructivisme des commissaires politiques européens Martin Schulz et José Manuel Barroso.
On a vu ainsi en 2003 Berlin se tenir à l’écart de la Guerre du Pays des deux Fleuves [4], mais aussi se placer en retrait dans l’affaire libyenne et celle du Mali, pour n’approuver que du bout des lèvres la politique du président Hollande en Syrie. Si la césure apparaît désormais plus nettement que lors des dernières guerres européennes, il n’en a pas toujours été de même : souvenons-nous de l’ardeur allemande à détruire la Fédération yougoslave. À présent les choix de Berlin ne sont pas ceux de Paris et ne le seront jamais plus pour le futur immédiat. Est-ce d’ailleurs un hasard si le centre de gravité des forces américaines en Europe s’étant également déplacé - depuis l’apparent dégel Est/Ouest et la dislocation de l’empire soviétique - vers l’Est, vers ce que les dirigeants américains nomment « l’Autre Europe », et que peu ou prou, l’Allemagne a précédé et suivi cette migration nach Osten ?
En direction du Caucase notamment, où l’Ukraine et la Géorgie s’étaient en 2007 portées candidats à rejoindre le Pacte Atlantique, au grand dam de la Russie. Des réticences dont l’Otan a décidé de ne pas tenir compte en engageant unilatéralement le 16 juin 2008 la procédure d’adhésion de l’Ukraine, laquelle était alors censée, selon le Département d’État, « passer comme une lettre à la poste ». À la suite de quoi, dans la foulée, en août 2008, la Géorgie lançait une offensive pour couper court aux velléités d’indépendance de l’Ossétie du Sud. La Fédération de Russie contre toute attente répliquait, repoussant l’armée géorgienne hors de l’espace disputé et occupait une partie du territoire géorgien avant de reconnaître unilatéralement l’indépendance du nouvel État ossète.
Les dernières guerres balkaniques – dont la première démarre en juin 1991 après la reconnaissance par l’Allemagne de l’indépendance slovène - ont permis aux États-Unis d’étendre leur influence aux confins orientaux de l’Europe. Une présence armée concrétisée au Kossovo par le Camp Bondsteel, base militaire la plus importante d’Europe (mais fort mal documentée et ignorée des médias), et plateforme de projection vers l’Asie centrale et ses ressources énergétiques. Influence atlantiste qui s’est encore traduite par l’intégration successive de la plupart des nouveaux États d’Europe Orientale au sein de l’Otan : en mars 1999, soit cinq ans avant leur entrée dans l’Union européenne, la République Tchèque, la Hongrie et la Pologne adhéraient à l’Organisation de l’Atlantique Nord, suivies en mars 2004 par l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie ; l’Albanie et la Croatie rejoignent l’Organisation en 2009.
Force est de constater que la politique allemande accompagne la poussée des États-Unis en direction du Caucase, du Bassin de la Mer Caspienne et de l’Asie Centrale, ceinturant ainsi l’espace continental eurasiatique… Mme Merkel est-elle à ce titre mue par l’atavisme du « Drang nach Osten » [la Marche vers l’Est commencée au XIIe siècle] cette fois-ci encore plus avant, sur une Nouvelle « Route de la Soie » dont le concept est justement né de l’esprit fécond d’un géographe allemand du XIXe siècle, Ferdinand von Richthofen ?
Léon Camus 22 septembre 2013