Tout ceci s’appelle le capitalisme de connivence.
Emmanuel Macron, inspecteur des Finances et membre de la Commission Attali pour la libération de la croissance est allé à la banque Rothschild tout comme l’ex-chancelier allemand Gerhard Schröder devenu conseiller de la banque Rothschild en 2006.
Macron le dit lui même : « Les banquiers d’affaires sont tous des menteurs ».
Macron est l’aboutissement du programme de Pierre Jouyet du groupe de réflexion « les Graques ».
En 2008, Jacques Attali et Serge Weinberg présentent Macron à François Henrot bras droit de David de Rothschild.
Revenons en 1997, François Henrot quitte Paribas pour Rothschild et Cie. Les promotions fulgurantes dans le secteur public, Henrot y a déjà goûté, et il n’en garde pas un bon souvenir. En 1996, la banque Rothschild & Cie s’est hissée à la cinquième place du marché français du conseil en fusions-acquisitions. L’idée pour Rothschild est de mettre en face des patrons de la place de grands professionnels reconnus.
Il ne reste plus qu’à placer un des saints au cœur du pouvoir, à le mettre au sommet comme Président de la République.
Le trio décisif pour Rothschild
Ce n’est pas Alain Minc directement qui a permis à Emmanuel Macron d’entrer à la banque Rothschild & Co. S’il a fait partie des personnes qui ont passé un coup de fil à David de Rothschild pour soutenir la candidature d’Emmanuel Macron (ça ne mange pas de pain), il est loin d’être le seul. Si Minc connait bien la banque Rothschild, il n’a pas été l’acteur central du recrutement d’Emmanuel Macron. C’est en réalité deux de ses amis, le président de Sanofi, Serge Weinberg (et par ailleurs ancien chef de cabinet de Laurent Fabius), et l’avocat d’affaires Jean-Michel Darrois, que Macron a rencontrés dès 2007 à la commission Attali qui lui permettent d’entrer chez Rothschild. C’est véritablement eux qui présentent le futur président à François Henrot, un des piliers de la banque, ainsi qu’à David de Rothschild. Un autre membre de la commission Attali, l’ancien patron du groupe Essilor, Xavier Fontanet, va lui appeler Olivier Pécoux, à l’époque secrétaire général de la célèbre banque d’affaires de l’Avenue de Messine. C’est ce trio qui sera décisif dans le recrutement d’Emmanuel Macron chez Rothschild & Co. La Tribune
Rothschild, les secrets d’une renaissance
Parti de rien, David a réussi en trois décennies à faire de la boutique créée après la nationalisation de la banque familiale l’établissement de M&A le plus en vue de la place parisienne. Récit en quelques moments clefs d’un itinéraire hors du commun.
« Juif sous Pétain, paria sous Mitterrand, pour moi cela suffit. » C’est un article plein de colère et d’amertume que Guy de Rothschild adresse au journal « Le Monde », ce 30 octobre 1981. La loi qui nationalise la prestigieuse banque française vient d’être votée. Un véritable cataclysme pour la famille, qui n’a pas su entendre les avertissements et les mises en garde - notamment celles émanant de Jacques Attali, le conseiller de François Mitterrand.
Les indemnités de 500 millions de francs ne consolent guère les actionnaires. Le choc est rude pour le patriarche, tandis que les fidèles sont contraints de quitter les bureaux de la rue Laffite. A Paris, personne ne les imagine rebondir. « Il faut refaire quelque chose », lance pourtant Guy à son fils David, avant de partir pour les Etats-Unis.
Du choc de la nationalisation à la renaissance
Refaire quelque chose ? David y songe depuis un moment déjà. Le jeune quadragénaire a brièvement envisagé de se lancer dans la politique - il est alors maire de Pont-l’Evêque. Mais avec l’aide de son cousin Eric, il se décide à relever le gant. Poursuivre la saga familiale commencée 165 ans plus tôt, en lançant un nouvel établissement financier. Impossible de concurrencer de front l’ancienne banque familiale. Les autorités ont été claires là-dessus. Et chercher à débaucher ses clients serait voué à l’échec. David et Eric vont donc contourner l’obstacle.
Ils décident de ne pas créer une nouvelle banque d’affaires, mais une maison de titres spécialisée dans la gestion de portefeuille. Pour ce faire, ils s’appuient sur une petite structure de participations qui a échappé à la nationalisation, la société Paris Orléans, une ancienne compagnie ferroviaire acquise par James de Rothschild dans les années 1850, devenue holding. David prend la présidence de Paris Orléans, qui démarre ses activités avec une poignée de collaborateurs.
Les débuts ne sont pas faciles. Les deux cousins totalisent à peine 30 millions de francs de capital. C’est beaucoup pour une fortune personnelle, mais rien pour une banque qui a besoin d’une grande surface financière. Les amis d’hier se détournent, par peur de déplaire au nouveau pouvoir. La famille et les fidèles sont donc sollicités pour injecter des fonds. La branche anglaise dirigée par sir Evelyn de Rothschild, « l’empereur de la City », est de la partie. Edmond de Rothschild accepte de participer un peu. Tout comme le flamboyant financier britannique Jimmy Goldsmith ou la petite banque marseillaise Martin Maurel, qui avait déjà aidé la famille Rothschild durant la Seconde Guerre mondiale.
David peut aussi compter sur le soutien de quelques grands noms des affaires. Notamment celui d’Ambroise Roux, le puissant patron de l’Association française des entreprises privées (Afep), qu’il vient de créer. Il intègre les cercles de l’establishment industriel et financier. Et obtient une précieuse victoire en 1984, quand Robert Badinter convainc Mitterrand d’autoriser la famille à devenir une véritable banque. L’heure de la renaissance a sonné. Les élections législatives et la première cohabitation vont lui permettre d’accélérer. La droite de retour au pouvoir, la banque obtient enfin l’autorisation de faire des affaires sous son propre nom.
Le choix d’un modèle
Si la volonté de renouer avec la prestigieuse histoire familiale est là, reste à trouver les moyens d’y parvenir. Au milieu des années 1980, Paris Orléans Banque n’est encore qu’une modeste boutique spécialisée dans les fusions-acquisitions, le conseil et le montage d’opérations financières et les services de gestion de fortune. Mais David de Rothschild ne cache plus son ambition : il veut bâtir un nouveau Lazard, la référence des banques d’affaires. Il va s’y atteler avec l’aide de son cadet Edouard de retour de Wall Street où il a assisté à l’émergence du capitalisme financier.
De chaque côté de l’Atlantique, les deux frères ont pu apprécier la puissance d’un modèle qui place les banquiers maison au cœur des grandes manœuvres du business, faisant d’eux les interlocuteurs privilégiés des grands patrons au quotidien et dans l’exécution de leurs projets stratégiques dans la durée. La voie est tracée, ils vont la suivre… mais à leur manière. Pas question en effet d’adopter tel quel le modèle Lazard.
Trois grands aménagements vont être apportés. D’abord, la culture de rivalité interne entre les grands noms de la maison, savamment entretenue boulevard Haussmann par Michel David-Weill, est proscrite. Ensuite, si les grands associés seront très généreusement rémunérés, ils ne seront pas associés au capital comme c’est la pratique chez la rivale. Enfin, la banque se fixe pour règle de ne pas contribuer à des opérations hostiles et de ne pas conseiller des prédateurs étrangers. L’idée est de préserver le caractère familial de l’entreprise tout en assurant le respect des valeurs jugées cardinales par David, la collégialité, la discrétion et un certain patriotisme. De quoi assurer l’originalité et la pérennité du modèle.
Le décollage va se faire progressivement. Face à un Lazard au sommet de sa puissance, Rothschild & Co participe tout de même à la privatisation de Paribas et de Matra lors de la première cohabitation. En 1989, la maison réalise son premier gros coup sur le marché des transferts en recrutant son premier associé gérant de Lazard, Jean-Claude Meyer. Cette prise, à la portée symbolique évidente, permet aussi de prendre pied dans les opérations de M&A internationales. En 1990, Rothschild accompagne ainsi Jacobs Suchard dans sa fusion avec Kraft. La mécanique est enclenchée, plus rien ne va l’enrayer.
La réunification
Le relèvement de la maison française a beaucoup impressionné la City. Et n’a évidemment pas échappé à Evelyn de Rothschild, qui se cherche un successeur depuis les années 1990. Sir Evelyn apprécie le charisme, le sens de la diplomatie et les talents de négociateur de son cousin. Le patriarche sait aussi que David ne sera pas tenté de « renverser la table » en cas de rapprochement des deux maisons.
Alors en 2003, lorsqu’il se décide à prendre du recul, l’empereur de la City lance les grandes manœuvres. Il dévoile publiquement qu’il a choisi David pour lui succéder à la tête de NM Rothschild & Sons. Et annonce avec son cousin une vaste réorganisation de leurs activités. Il n’est pas encore question de fusion, mais plutôt d’unification. Le montage est complexe : une structure faîtière au nom évocateur de « Concordia » est créée dans ce but. Détenue à parité par les deux branches, elle coiffe toutes les activités exercées par les deux familles, unies sous une même bannière « Groupe Rothschild ». C’est un tournant dans l’histoire de la dynastie. Les différentes maisons européennes ont toujours eu l’habitude de travailler ensemble. Mais jamais elles n’avaient été réunies sous un même toit et dirigées par une même personne.
David avait depuis longtemps saisi l’intérêt d’une telle union. Le chef de la maison française a réussi à relancer une banque, qui continue de se développer et a obtenu quelques mandats internationaux. Mais il est aussi conscient de ses manques : la branche parisienne est encore trop petite, elle manque d’équipes et a encore du chemin à parcourir pour devenir une grande banque d’affaires internationale. Les cousins anglais peuvent l’y aider. Une fois constitué, le « Groupe Rothschild » peut démultiplier sa puissance de frappe. Il acquiert une taille significative dans toutes les compétences de la finance : banque d’affaires, ingénierie financière, financement du capital-investissement, gestion privée… Même si, dans un premier temps, chaque banque garde ses terres naturelles : les marchés anglophones et asiatiques pour Londres, la France et les marchés francophones pour Paris. L’Europe devient une terre de partage.
Le temps fera le reste. L’unification laissera la place à une intégration plus ambitieuse en une petite décennie. Avec doigté, David s’emploie à céder certaines activités historiques devenues moins stratégiques, comme le fixing de l’or et la banque de crédit. Et poursuit au fil des années 2000 la réorganisation de l’empire. La branche française rachète en 2008 une partie des parts de sir Evelyn. Les deux pôles bancaires de Paris et de Londres sont regroupés en 2012. La galaxie financière est simplifiée par l’effacement de plusieurs holdings. En 2015, Paris Orléans prend le nom de Rothschild & Co. Une forme de consécration pour David, plus de trente ans après avoir relancé la banque, avec 10 personnes et un capital de 30 millions de francs en poche… Un changement de nom qui ne sera pas sans irriter la branche genevoise de la famille, davantage spécialisée dans la gestion de fortune, et dirigée aujourd’hui par Ariane de Rothschild, la femme de Benjamin.
L’équation personnelle de David
« J’ai passé ma vie à chercher des gens plus compétents que moi », nous confie David de Rothschild ce jour d’août 2015, dans sa propriété de Normandie. Il le dit avec ce petit sourire qui ne le quitte jamais et sur ce ton mêlant humour et modestie sincère. Ajoutant tout de même que la société sur laquelle il a rebâti son groupe après la nationalisation, Paris Orléans, ne valait que 10 millions d’euros actuels, contre plus de 2 milliards aujourd’hui. « Cela reste modeste à l’échelle des grandes affaires du monde, mais cela nous permet d’exister et d’avoir quelques ambitions… » Tout David de Rothschild est là.
Dans cet art de l’understatement qui tranche dans un monde où l’on se pousse du col pour beaucoup moins que cela. Dans ce rapide coup d’oeil bleu malicieux, pour vérifier l’effet produit sur son interlocuteur. Et dans ce « nous » renvoyant autant à la maison qu’il a reconstruite avec des associés gérants partageant ses valeurs qu’à la famille, désormais réunifiée. La succession n’est pas pour tout de suite, mais déjà tout est parfaitement clair dans sa tête. « Il me semble que mon fils a les qualités requises pour prendre les commandes à son tour », glisse-t-il. Chez les Rothschild, l’échelle de temps se mesure en générations.
Le fondateur de la dynastie, Mayer Amschel Rothschild, est né en 1743 dans le ghetto juif de Francfort. Ses cinq fils - les cinq flèches du blason de la banque - ont fait prospérer la petite affaire de change qu’il avait créée, en particulier Nathan à Londres et James à Paris. Deux cents ans plus tard, la réunification des deux branches, en 2003, illustre à merveille les qualités qui feront la fortune de David et furent décisives dans la renaissance de la banque.
Beaucoup moins puissant, alors, que son cousin londonien Evelyn, David est un diplomate au meilleur sens du terme, capable de trouver le bon point d’équilibre au sein de la famille. Le diplômé de Sciences Po à l’image mondaine se révèle un formidable homme de consensus. Dès la fin des années 1990, à la tête des opérations de banque d’affaires des deux branches, alors encore distinctes, il excelle dans ce qu’il y a de plus difficile, l’art de faire travailler ensemble des banquiers volontiers jaloux de leurs clients. « Je passe beaucoup de temps à apaiser les tensions plutôt qu’à jeter de l’huile sur le feu », confie-il alors au « Financial Times ».
Affable, urbain, flegmatique, il sait créer cette collégialité qui manque dans des maisons rivales. Il sait surtout donner envie aux meilleurs de rejoindre Rothschild. « Sa valeur ajoutée réside dans cette capacité à attirer les talents et à développer des relations de confiance et de long terme avec les clients », dit un ancien associé. C’est ainsi qu’au fil des années, il s’impose comme une évidence à la tête de cette dynastie européenne avant d’être anglaise ou française, au moment où celle-ci entame le troisième siècle de son histoire…
Une banque proche du pouvoir
De Georges Pompidou, qui travailla près de dix ans au service des frères Rothschild dans les années 1950, à Emmanuel Macron, plus jeune associé gérant de la banque avant de devenir secrétaire général adjoint de l’Elysée en 2012, la maison a toujours cultivé des liens étroits avec le pouvoir. Liens naturels, intimes et surtout plus forts que les bouleversements politiques.
Après la victoire de la droite aux législatives de 1986, Rothschild accueille le plus brillant inspecteur des finances de sa génération, Jean-Charles Naouri, qui fut pendant quatre ans directeur de cabinet du ministre des Finances de François Mitterrand, Pierre Bérégovoy. Lazard le voulait, Naouri choisit Rothschild. Une prise majeure, symbole du retour en grâce de la maison. Les aléas de la politique passent, la force du réseau demeure. Après la gauche, la droite : David de Rothschild débauche Jean-Claude Meyer, banquier en vue de Lazard et proche de Jérôme Monod, un intime de Jacques Chirac.
Le scénario se répète après la défaite d’Edouard Balladur dans la course à la présidentielle en 1995, avec l’arrivée de Nicolas Bazire, l’ex-directeur de cabinet du Premier ministre. Ou encore avec Sébastien Proto, l’auteur du programme de Nicolas Sarkozy en 2012 - un Nicolas Sarkozy qui travailla d’ailleurs pour la banque comme avocat. Dans cette antichambre du pouvoir, des hommes issus d’écuries de droite croisent des figures issues de la gauche comme Lionel Zinsou, un proche de Laurent Fabius.
La consécration
La privatisation de Renault en 1993 constitue un moment clef de l’histoire de la banque. En devenant le conseil de l’Etat dans cette opération à la portée symbolique évidente, Rothschild apparaît au grand jour comme une alternative crédible à Lazard. Mieux, alors que l’établissement du boulevard Haussmann est englué dans les querelles internes qui lui feront perdre progressivement son leadership, la maison de David a le vent dans le dos. L’arrivée de nouveaux poids lourds dans l’écurie maison n’y est pas étrangère.
Deux recrutements XXL parmi d’autres en témoignent. Celui de Gérard Worms, d’abord. L’ancien patron de Suez tutoie en effet la plupart des patrons du CAC 40 et, en tant que président du Siècle, il connaît tous ceux qui comptent dans les cercles du pouvoir. C’est ainsi que Claude Bébéar, Jean-René Fourtou ou Serge Tchuruk par exemple vont devenir des clients fidèles de la banque. Le recrutement de François Henrot, après son passage éclair à la tête de France Télécom, va lui aussi contribuer à faire de l’établissement un partenaire incontournable des plus grands groupes français. Ses banquiers sont de toutes les grandes opérations ou presque (création d’Aventis, défense de la Société Générale dans la grande bataille bancaire de 1999, France Télécom…).
On se presse désormais avenue Matignon pour obtenir les conseils des associés de Rothschild ! La maison est solidement installée au sommet de la banque d’affaires en France, elle n’en descendra plus. Même le départ d’Edouard à partir de 2003 n’y changera rien. D’autant que de jeunes pousses maison commencent à prendre le relais, comme Grégoire Chertok ou Cyril de Mont-Marin par exemple.
Mais David ne s’en tient pas là. Avec son bras droit Olivier Pécoux, managing director, il cherche à élargir le champ de ses activités. C’est dans ce but qu’il noue un partenariat avec le néerlandais ABN AMRO pour participer aux opérations de marché (introduction en Bourse, émissions de titres…).
A partir de la fin des années 1990, il mise aussi sur le conseil aux entreprises dans un secteur émergent, celui du private equity. Ce pari, inattendu à l’époque, s’avère gagnant au-delà de tout espoir. Surfant sur le développement accéléré du LBO, les équipes de Laurent Baril, l’associé gérant en charge de l’activité, vont faire des merveilles. A tel point que ce métier représentera un tiers des profits de la banque en 2007 ! C’est à cette époque que la maison décide de se doter d’un troisième métier à côté de celui du conseil en fusions-acquisitions et de la gestion de fortune, l’investissement dans les entreprises non cotées.
Confié à un associé historique, Marc-Olivier Laurent, il offre aussi un espace dans lequel Alexandre de Rothschild peut faire ses premières armes. Considéré depuis longtemps comme son héritier naturel par David, le jeune homme y fait ses preuves sans faire d’ombre aux grands noms de la banque. De quoi lui laisser le temps de se faire un prénom tout en se familiarisant avec l’ensemble de la maison, discrètement et sans bousculer les habitudes.
« Ni de droite, ni de gauche : Macron est juste l’enfant illégitime de Mitterrand »
« Ceux qui croient encore que Macron a surgi de nulle part - ni de gauche ni de droite - ou bien qu’il a opéré une synthèse inouïe - et de gauche et de droite - devraient se rendre à l’évidence : le macronisme est né trente ans avant de prendre le pouvoir, sous Mitterrand, dès les années 1980 »
Paul Soriano médiologue
Les Gracques : « une société secrète qui opère à visage découvert »
Alexandre Wickham, directeur éditorial d’Albin Michel, pose en ces quelques mots le paradoxe accompagnant l’action en clair-obscur des Gracques. Derrière ce nom choisi en 2007 lors d’un séminaire « ski et idées » aux Arcs, sous l’impulsion de Denis Olivenne le dirigeant du pôle média de Lagardère, se cache en effet un « groupuscule » crypto-politique se targuant d’un héritage antique pour mieux construire le futur français. A l’instar des hommes d’états romains et frères Gracchus, ils souhaitent réformer le système social tout en y ajoutant leur propre succès. Leur influence sur le pouvoir est controversée, quand elle n’est pas niée. Qui sont ces tribuns « sentant le souffre » mais dont pourtant les « idées triomphent », pour reprendre les termes d’un de leurs propres piliers ?
Un think tank de hauts fonctionnaires ?
A priori, il semblerait qu’appartenir aux Gracques soit l’apanage des plus grands. Réseau et entre soi élitiste dignes des clubs les plus enclavés. Ne s’agit-il pas exclusivement d’hommes et de (quelques) femmes de pouvoir sortis de l’ENA et de HEC ? N’occupent-ils pas des postes hauts placés, leur assurant une légitimité politique dans les cabinets ministériels ? Ne s’imposèrent-ils pas dans un temps dans les années Mitterrand, avec pour perspective de regagner leur tour d’argent quand la droite fut venue ?
Force est d’admettre que les ramifications des Gracques jusqu’aux plus hauts sphères sont, de fait, du ressort de tout groupe d’influence. Néanmoins, il ne s’agit pas de leur attribuer une étiquette source d’homogénéité. S’ils se retrouvent dans leurs projets économiques et sociaux, ils s’enrichissent également de leurs nuances professionnelles et culturelles. Ainsi, des intellectuels comme l’écrivain et académicien Erick Orsenna, l’historien au CNRS Pascal Blanchard ou bien encore le professeur de médecine René Frydman, côtoient des maestro de la finance tel Guillaume Hannezo (gérant de FDR finance) ou de l’assurance comme Bernard Spitz (président de la Fédération française des sociétés d’assurance…et des Gracques !).
Il serait donc restrictif de considérer que les Gracques constituent un simple groupe de hauts fonctionnaires. Ils sont surtout les carreaux d’une mosaïque d’inspirations et de réflexions. Loin de l’élitisme d’une classe politique.
De droite ou de gauche ?
Question existentielle de tout français habitué au clivage bipartisan. Se posant ici, d’autant que rejetés par une partie de la gauche, les Gracques se défendent d’être de droite… Alors ? Centristes ? Bien au contraire, comme en témoignent certaines de leurs positions loin de faire aujourd’hui l’unanimité.
Dans leur Manifeste pour une gauche moderne, les Gracques demandent « une société plus juste » dans l’optique de lutter contre « la fatalité qui enfermerait les plus démunis dans leur destin social ». Réclamant, en outre, une « politique plus vraie », plus prosaïque et concentrée sur des objectifs concrets. Il en découle parfois une revendication libérale « moderne ». Les Gracques veulent « cesser de voir dans l’entreprise un ennemi » et « mettre de la redistribution partout où il y a du marché, et du marché régulé partout où il y a des rentes ». Cette politique sociale-libérale souhaite concilier (ou réconcilier ?) « la croissance économique et [le] progrès social », dans la lignée du ministre de l’économie Emmanuel Macron.
Les Gracques sont loin d’être en osmose avec la gauche « traditionnelle », voire conservatrice, dont « les leviers ne répondent plus ». Ils l’enjoignent d’ailleurs à « changer de méthode, modifier profondément son mode de pensée, ses modèles, ses méthodes d’action, sa conception de l’Etat, son rapport avec les citoyens ». Tout un programme. Qui ressemble étrangement à celui en cours d’application…
Quelle puissance d’action ?
La frontière entre le club, le lobby et le parti politique est ténue. Les Gracques semblent occuper toutes ses fonctions sans réellement en prendre la mesure. Au-delà d’un think tank -ou « laboratoire d’idées » pour abroger tout anglicisme superficiel- ne posant que leur réflexion au cœur des débats, leurs propositions sont plus qu’écoutées par nos dirigeants.
Aquilino Morelle déclara ainsi à Vanity Fair, sur le ton de l’évidence, que « ce sont leurs idées qui sont aux commandes, tout simplement ! ». Le secrétaire général de l’Elysée, Jean-Pierre Jouyet est également désigné comme membre, une preuve de plus pour le conseiller déchu, corroborant ses accusations.
Alors, dans un objectif démocratique, comment accepter la domination d’un groupe d’influence sur des enjeux politiques censés être « la chose du peuple » si ces propos sont avérés ?