Il avait prédit que cette croissance ne pouvait pas continuer indéfiniment à un rythme proche de 7%, ce qui aurait signifié un doublement de la richesse nationale par décennie. Le rattrapage de l’après-guerre avait dopé l’économie, mais le dynamisme économique change en fonction du niveau de développement. Une fois l’équipement des ménages effectué, on entre dans une phase de renouvellement, qui se traduit naturellement par un ralentissement de la consommation.
Aujourd’hui, par exemple, les Français sont équipés à 76 % d’un téléphone portable (source : TNS Sofres pour l’Association Française des Opérateurs Mobiles - Oct. 2007). L’enjeu pour les fabricants est de trouver de nouvelles technologies pour accélérer le remplacement des mobiles, et pour les opérateurs de proposer des services s’adossant aux nouvelles fonctionnalités proposées.
Jean Fourastié avait également prévu le risque de chômage de masse, lié à la quête permanente de gains de productivité et à cette saturation relative des marchés de consommation.
Il entrevoyait déjà la nécessité à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés d’adapter nos modes de production à l’écologie.
Jean Fourastié a, par ailleurs, démontré que l’évolution du pouvoir d’achat dépend essentiellement des gains de productivité qui permettent de baisser le « prix réel » des biens et des services. Il a établi une norme universelle permettant de mesurer ce prix réel d’un produit : c’est selon ses calculs, « le temps d’équivalent de main d’œuvre qu’il faut pour le fabriquer ». Cela permet de connaître dans le temps l’évolution du pouvoir d’achat. Ce mode de calcul neutralise les effets de la hausse des prix selon les secteurs et de la hausse des revenus, qui n’évoluent pas à la même vitesse. Il cite comme exemple le prix réel du kilowattheure d’électricité qui a considérablement baissé depuis 1925 alors que pour certains services, comme la coupe de cheveux, où les progrès techniques ont été quasi-inexistants, le prix réel a augmenté.
Jean Fourastié n’est pas reconnu comme un « grand » économiste au plan international. Mais il a inspiré des générations de responsables des politiques publiques en France en leur fournissant un appareil conceptuel leur permettant de légitimer l’intervention de l’Etat dans l’économie.
Interview de Jean Fourastié, paru dans Histoire Magazine, 1980.
En 1949 il publie Le Grand Espoir du XXe siècle : il y énonce les théories de l’accroissement de la productivité et de l’évolution des trois secteurs (primaire, secondaire & tertiaire) vers le tertiairisation.
En 1979 il publie Les Trente glorieuses.
Question : Monsieur Fourastié, vous vous êtes intéressé dans votre ouvrage Les Trente Glorieuses à l’évolution économique des trente dernières années. Pourquoi les qualifiez-vous de glorieuses ?
Jean Fourastié : Tout d’abord ce fut, du point de vue économique, une période extrêmement brillante, une révolution qui a profondément changé le pays…
Non seulement la production est plus importante, mais elle est de surcroît obtenue avec moins d’heures de travail. Auparavant, on obtenait une production faible avec un grand nombre de travailleurs. Pourquoi ? Parce que les techniques de production étaient alors moins efficaces qu’elles ne le sont aujourd’hui.
Les rendements à l’hectare ont prodigieusement augmenté. Pour le blé, ils sont passés de douze quintaux à l’hectare à trente quintaux à l’hectare ; pour le vin, de vingt-cinq hectolitres à cent hectolitres ! À l’inverse, le nombre de travailleurs agricoles pour cent hectares est passé de vingt-huit à huit. Cela signifie que huit personnes seulement obtiennent une production nettement supérieure à celle des vingt-huit personnes de 1946.
L’efficacité du travail fut le moteur essentiel de la croissance.
Question : Les trente années glorieuses sont-elles terminées ou bien sommes-nous en route vers les cinquante, voire les cents glorieuses ?
Jean Fourastié : Elles sont terminées, sans aucun doute. Le type de croissance que nous connaissons depuis cinq ou six ans n’est plus celui des Trente Glorieuses.
Ce qui ralentit la croissance, ce sont les autres facteurs qui sont désormais bien moins favorables que par le passé. Il y a la nécessité de payer l’énergie beaucoup plus cher, la désorganisation complète du commerce mondial, de la monnaie, les troubles politiques survenus dans des pays dont le poids économique est considérable.
Jean Fourastié : Les Trente glorieuses (1979)
Résumé
Le livre de Jean Fourastié : Les Trente glorieuses ou La révolution invisible de 1946 à 1975 (ed. Fayard, Paris, 1979. Réédition : coll. « Pluriel », Le Livre de poche, 1980, 288 p.) montre la réalisation de la fin de la précarité économique dans la période de l’Après-guerre. Sa démarche restitue la réalité économique derrière les statistiques sur une base de comparatisme historique. Devant le désenchantement qui persiste, Fourastié cèdera lui-même à un inégalitarisme qui annonce les dérives actuelles de l’économie financière, et qui peut expliquer l’absence de postérité que méritait pourtant son approche empirique méthodologiquement essentielle.
Nostalgie
Pour déplorer la crise économique actuelle, on fait souvent référence aux « Trente glorieuses ». Le livre de Jean Fourastié qui a donné ce nom à la période d’expansion comprise entre 1944 et la crise du pétrole en 1973 dément au final les illusions sur l’époque en question. Ce livre peut se résumer à ceci : les gigantesques progrès au cours de cette période n’ont provoqué qu’une insatisfaction généralisée. Le paradoxe est bien qu’on considère aujourd’hui cette époque comme heureuse, ce qui ne fut pas le cas.
Paru en 1979, le livre de Jean Fourastié, Les Trente glorieuses, fait le bilan de ses travaux précédents d’histoire économique dont la substance est de souligner ce qu’il avait nommé Le Grand espoir du XXe siècle, titre d’un de ses ouvrages précédents (1949). Il considère que l’espoir millénaire de l’humanité d’échapper à la misère a été largement achevé au cours des trente années en question, en France et dans la plupart des pays développés d’alors.
Notons aussi qu’un aspect conjoncturel du livre consistait à critiquer tous ceux qui ne sont pas conscients de ces réalisations. La gauche d’alors, qui venait de signer le programme commun en 1972, surfait sur l’insatisfaction générale. Plus généralement, Fourastié souligne l’ignorance économique et les aveuglements de l’opinion qui refuse de prendre conscience du progrès social que constitue la réalisation de l’abondance dans l’histoire humaine. Au moment de la parution, les épisodes encore récents de Mai 68, contre la « société de consommation », et des débuts de l’écologie négligeaient beaucoup trop cette réalité économique (autre titre d’un de ses livres) que Fourastié s’est d’abord proposé de décrire au cours de toute sa carrière.
Un fondement statistique
Les ouvrages de Fourastié sont fondés essentiellement sur la tentative de reconstituer la réalité économique passée et contemporaine en collectant les statistiques disponibles ou en reconstituant celles qui manquent. Comme il le dira : « À la limite, la science économique n’est et ne peut être que le commentaire rationnel des informations issues des statistiques » (note, p. 47). La difficulté est immense, car elles n’étaient généralement pas disponibles, étaient dispersées, incomplètes, biaisées ou fausses, spécialement à son époque, où l’on ne disposait pas de l’informatique et des données que des personnes comme lui ont recueillies depuis lors. Pour les siècles passés, la statistique nationale était absente (en particulier celle du type des données fiscales actuelles) ou biaisée par des mythes anciens sur les hommes et les choses. Fourastié insiste particulièrement sur la question des difficultés de la comparaison dans le temps et dans l’espace, du fait de l’inflation, du changement de la structure de la consommation ou de celle des professions, ou du fait des progrès technologiques ou de la productivité.
On pourrait d’ailleurs faire une première réserve concernant la démographie, du fait de l’augmentation de 30 % de la population française métropolitaine au cours des Trente glorieuses, qui relativise la croissance de la production. Il lui aurait fallu souligner aussi que la France de 1946 était coloniale et que celle de 1975 comprenait les rapatriés des colonies – ce qui est négligé par Fourastié. On peut penser aussi que le parti pris nataliste découle du complexe d’infériorité par rapport à l’Allemagne dès la fin du XIXe, instaurant une idéologie qui persiste encore dans de nombreux discours économiques.
Une approche intégrée
Ce qui est important dans le travail de Fourastié est ce lien qu’il tente d’établir entre les différents éléments de la réalité économique. Puisqu’on critique aujourd’hui la conception « seulement financière de l’économie », l’approche de Fourastié est la bonne alternative qui permet d’analyser les conséquences de la croissance économique sur la réalité sociale.
Ce livre sur les Trente glorieuses commence par l’artifice d’une comparaison de deux villages, portugais et français, pour décrire l’opposition entre deux états de développement des campagnes. Le premier village représente la situation commune à tous les pays sous-développés que Fourastié considère assez justement comme millénaire, tandis que le second présente les conséquences de l’amélioration de la productivité sur les conditions de vie et sur la structure sociale.
D’emblée, le contraste statistique est saisissant (et le sera dans tout le livre de Fourastié). Dans ces deux villages, pour une population presque équivalente (534 contre 670), la population active est essentiellement agricole (74 %) dans le premier, minoritaire (24 %) dans le second. Le nombre d’actifs est nettement inférieur (52 % contre 32 %) du fait de la scolarisation et de la retraite. Tout est notablement différent : la natalité (4 % contre 2 %), la mortalité infantile (9,5 % contre 1,4 %), la mobilité (75 % de natifs du village contre 31 %), la concentration des exploitations, les rendements de blé à l’ha (12 contre 35), ou d’hectolitres de vin (25 « courants » contre 100 « d’appellations »), de travailleurs à l’ha (28 contre 8), d’animaux de labour (100 contre 1) remplacés par des tracteurs (2 contre 40). L’équipement des ménages contraste encore davantage : réfrigérateurs (5 contre 210), machine à laver le linge (0 contre 180), WC intérieur (10 contre 150), téléphone (5 contre 110), automobile (5 contre 280), radio (50 contre 250) (source, Les Trente glorieuses, pp. 16-20).
Le coup de théâtre final se produit quand Fourastié révèle qu’il s’agit en fait du même village français, Douelle en Quercy, en début et en fin de la seule période des Trente glorieuses ! Dans la mesure où il a connu les deux états du village, on conçoit mieux l’obsession de Fourastié de souligner les différences entre la société traditionnelle et moderne. Le subterfuge permet justement de considérer son analyse comme universelle, décrivant les zones sous-développées et en montrant la persistance encore récente dans les pays développés. On constate d’ailleurs la reproduction du mécanisme dans l’expansion actuelle des pays émergents, et on comprend mieux l’effervescence qui peut y régner, compte tenu des caractéristiques technologiques nouvelles du développement, cumulées aux précédentes.
Théorisation empirique
C’est à partir de cette approche empirique que Fourastié construit sa théorie économique. Ce que les économistes et les politiques modernes appellent la « croissance » correspond chez Fourastié à la réalité que les chiffres représentent. À la rigueur, on peut considérer qu’il porte aussi une part de responsabilité pour la vision comptable de l’économie. Sa méthodologie peut être considérée comme « matérialiste » ou « positiviste », c’est-à-dire fondée sur l’observation et la quantification. Mais Fourastié n’oublie jamais ce que les chiffres signifient.
Le travail de Fourastié se situe dans la lignée des premières recherches empiriques, statistiques et enquêtes sociales (Turgot, Villermé...). Il ne se privera pas non plus ailleurs de données littéraires (Les écrivains témoins du peuple, 1964). Quand il décrit la condition de la production au XVIIe siècle, il montrera par exemple que les rendements agricoles des XVII-XVIIIe siècles permettaient tout juste de nourrir la population française d’alors, qui devait subir des disettes, du fait de fréquentes mauvaises récoltes, ou des famines tout aussi régulières, du fait de recoltes moitié moins importantes tous les neuf à douze ans (cf. p. 52).
Fourastié caractérise ainsi un état anthropologique où les techniques disponibles définissent la structure de la société et des professions. Dans la France de 1700, pour une population de 19 millions d’habitants, avec les rendements, l’espérance de vie, la durée du temps de travail d’alors, la production engageait 14 millions d’actifs. Fourastié remarque que 1,36 personne prise en charge par actif implique le travail des enfants dès 6 ou 8 ans (p. 48), et c’est la croissance des rendements agricoles qui a permis de libérer une population rurale pour d’autres activités.
Dans le domaine agricole, on constate que le décollage entamé avec la révolution industrielle n’a été exponentiel qu’après 1946. Dans tous les domaines, Fourastié montrera ce phénomène : santé, démographie, durée et nature du travail, scolarisation, loisirs, consommation. Il résumera l’ensemble (p. 195) dans l’enregistrement d’une amélioration du niveau de vie de 50 % de 1700 à 1830, de 120 % supplémentaires (plus que doublement) de 1831 à 1949, et de 200 % supplémentaires (triplement) de 1949 à 1975. Fourastié notera que, par travailleur, la mécanisation fournit l’équivalent du travail de 25 hommes en 1900, 40 en 1938, 85 en 1965, et 124 en 1975 (p. 213).
Il faut lire le livre en question (ou d’autres du même auteur) pour prendre la mesure du changement. La nature de la société a aussi changé du fait de l’élévation du niveau culturel. On partait de loin : en 1800, la population était sans aucun diplôme à 90% (0,15 % de bacheliers), en 1950, on ne trouvait plus que 20 % de sans diplômes. En France, le travail des enfants a complètement disparu : il y avait encore 50 % d’actifs à 15 ans en 1946, 0 % en 1975 (p. 76). L’incidence en a été le triplement du nombre de cadres et de cadres moyens entre 1946 et 1975, en particulier un quintuplement du nombre d’enseignants. Fourastié tient aussi compte des secteurs qui n’ont pas profité d’amélioration de productivité, le fameux exemple du coiffeur (p. 218), dont les travailleurs bénéficient donc des retombées de façon indirecte. À l’époque de la rédaction, il était aussi entendu que le niveau de vie des plus pauvres avait progressé bien plus que celui des plus riches. Ce qui se constate dans l’équipement des ménages.
La théorisation de Fourastié consiste surtout à définir une base comparatiste des différents contextes en commençant par évaluer la productivité et le niveau de vie en terme de temps de travail. La difficulté est bien sûr que les consommations sont relatives, elles-mêmes, selon de nombreux paramètres. Si on intègre les comparaisons internationales, la difficulté augmente encore. Fourastié subit les difficultés du comparatisme, de l’empirisme et du positivisme. Nous allons voir qu’il succombe pourtant au passéisme.
Désenchantement
Pourquoi Fourastié n’a-t-il pas eu la postérité que méritait son approche empirique ? Sans doute l’économie est-elle devenue plus théorique (abstraite) et mathématisée. Mais la conclusion de son livre m’incite à envisager une autre hypothèse. Tout à la déploration de l’ignorance de l’économie et des progrès millénaires, Fourastié semble l’imputer quasi exclusivement à l’idéologie de gauche, très dynamique dans les années soixante-dix (Mai 68, le programme commun, les débuts de l’écologie). On constate en particulier ce parti-pris dans le tableau comparatif de l’annexe au chapitre XI (pp. 271-274), où il oppose idéologie et réalité.
Fourastié ne trouvera comme solution qu’une critique désenchantée de ce grand espoir du XXe siècle dont il s’était pourtant fait le porte-parole et le théoricien. Le constat de l’insatisfaction et de l’inconscience de la réalisation du bonheur matériel le fera régresser à un discours passéiste, anti-matérialiste (contraire à sa méthodologie), presque aussi daté que celui du Max Scheler de L’Homme du ressentiment à qui j’ai déjà rendu la justice qu’il mérite.
De fait, contre l’inconséquence de la gauche qui devrait se satisfaire des progrès accomplis et qui se complaisait pourtant dans le ritualisme révolutionnaire, Fourastié reprendra tous les poncifs de la droite traditionaliste. Plus grave, il les justifiera contradictoirement avec le contenu de ses travaux en fournissant une base programmatique à la droite contemporaine, dans ce qu’il appelle lui-même « l’idéologie des années 80 » (dans l’annexe).
La première des contradictions concerne évidemment son « planisme » technocratique qui s’oppose au « libéralisme » (dérégulation internationale) qui lui a succédé. Il n’en découle qu’un élitisme idéologique qui justifie le maintien de privilèges dont la légitimité statistique a disparu du fait de l’explosion éducative. Alors que Fourastié se prévaut de la réduction statistique des inégalités, il considère que « l’inégalité est le fait majeur de la réalité biologique. L’égalité n’engendre pas le bonheur. Le cadre, l’ingénieur, l’homme de science valorisent l’entreprise, l’ouvrier, le manœuvre » (p. 272). Outre que cette productivité dépend de la scolarisation, la valorisation résulte bien de la demande issue de la consommation égalitaire. Le fordisme (qui fonde, en fait, les travaux de Fourastié) n’est toujours pas intégré par les élites françaises.
Fourastié ne semble pas concevoir que l’idéologie inégalitaire correspondait à la structure sociale ancienne, qu’il a parfaitement quantifiée. La difficulté théorique actuelle consiste à savoir penser une société bénéficiant à la réduction des inégalités. Scheler, au début du XXe siècle, manifestait une incapacité réactionnaire à théoriser ce changement. On constate avec une certaine stupeur qu’à la fin du siècle, Fourastié perpétue cette idéologie, de façon atténuée, mais sans le fondement du niveau éducatif qui existait vers 1900 avec seulement 1 % de bacheliers, contre 15 % en 1975, 65 % (de la classe d’âge) en 2000. L’incapacité à intégrer la prise de conscience de la satisfaction d’un programme de développement se manifestera chez lui par la critique (bâteau) de la dégradation du système scolaire (déjà à son époque, alors que ceux qui l’idéalisent aujourd’hui sont issus de celui de cette période).
L’idée antimatérialiste que le progrès ne fait pas le bonheur, qui conclut le livre de Fourastié, pourrait aussi expliquer son échec. Il se tire lui-même une balle dans le pied. Sa solution passéiste qui consiste à prétendre qu’on était heureux dans la misère (p. 244), « les femmes chantaient en faisant le ménage » [les esclaves aussi !], montre plutôt qu’on oublie les mauvais moments, ou simplement, qu’on regrette sa jeunesse. Certains idéalisent aujourd’hui ces Trente glorieuses qu’il estime moroses !
L’intérêt du livre et de toute l’œuvre de Fourastié est de montrer les progrès accomplis dans tous les domaines. Sa conclusion permet de montrer qu’il faut avoir l’idéologie qui va avec, être conscient des avancées et des limites. Fourastié enregistre les limites écologiques à la croissance – sans doute n’envisage-t-il pas assez (pour les raisons natalistes mentionnées) la possibilité de limitation démographique, comme je le fais moi-même.
Sa question finale, « Que feront les hommes quand ils seront tous riches ? Que feront-ils quand ils seront égaux ? » (p. 246) ne peut pas recevoir comme réponse une idéalisation rétrograde de la noblesse, ou « Mes grands-mères priaient plusieurs heures par jour » (p. 247). Outre le fait qu’il ne prie donc pas lui-même (les traditions se perdent), cela nous renvoie complètement à Scheler. La restriction possible, fréquente actuellement encore, selon laquelle l’état de bien être n’est pas complètement réalisé, étant assez justement réfutée par Fourastié : « L’homme moyen se croit souvent pauvre (comme si on était pauvre en ayant dix fois le revenu moyen mondial) » (p. 246).
Mais la solution véritable n’est pas dans « moins d’égalité » (Scheler idéalisait aussi un état social médiéval où chacun restait à sa place). Il me semble que la réponse consiste, à droite et à gauche, dans la continuation des travaux de Fourastié, dont il échoue, sur le fil (comme Perceval le Gallois), à recevoir la récompense. Quand il se réfère au seul idéal épistémologique des Lumières pour combattre l’ignorance de la réalité, Fourastié a sans doute eu le défaut de ne pas intégrer assez les sciences humaines modernes, même si elles étaient encore en devenir et discutables. Il y apporte pourtant une contribution éclairante qu’il aurait fallu compléter dans d’autres domaines.