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Bernard Arnault et la guerre du luxe

vendredi 5 décembre 2025

L’histoire de l’homme le plus riche de France est controversée. Arnault a été soupçonné depuis longtemps d’espionner ses rivaux. En 1988, alors qu’il manœuvrait pour acquérir LVMH, il a engagé la société d’enquête privée Kroll Associates pour espionner Henry Racamier, alors à la tête de l’entreprise, convaincu que Racamier détournait des fonds (il a ensuite été innocenté). Le créateur de mode Tom Ford a affirmé qu’Arnault avait chargé des détectives privés de surveiller ses allées et venues depuis des voitures garées devant son appartement. Kroll réapparaîtra dans l’histoire d’Arnault dix ans plus tard, lorsque celui-ci se battra âprement (et sans succès) pour acquérir Gucci et l’intégrer au groupe LVMH.
The Luxury Wars New York Mag

En mars 2023, le New Yorker a rapporté que le nom d’Arnault figurait sur une liste piratée de clients de la société suisse de renseignement privé Alp, également responsable de campagnes de dénigrement pour le compte des Émirats arabes unis.
En 2024, reuters rapporte que Bernard Squarcini, qui a dirigé les services de sécurité intérieure français de 2008 à 2012, a été embauché par le géant du luxe LVMH qui a versé 2,2 millions d’euros à la société de conseil Kyrnos, dirigée par Squarcini, pour des services incluant notamment la recherche d’informations sur des personnes soupçonnées de contrefaçon de produits de luxe.

En 2016 l’affaire LVMH-Hermès a rebondi après la mise en examen de Squarcini, la famille Hermès s’est constituée partie civile.
« Nous avions averti la famille que ses moindres faits et gestes seraient épiés, nous ne découvrons pas aujourd’hui l’existence de Bernard Squarcini, précise Philippe Ginestié, l’avocat de la famille Hermès. Mais c’est toujours extrêmement désagréable de voir a posteriori l’ampleur et le niveau des investigations conduites par Bernard Squarcini ».
« S’il doit y avoir une procédure, elle ne visera pas le groupe LVMH mais les protagonistes de l’affaire que sont Bernard Squarcini et Laurent Mercadier, directeur de la protection de LVMH, ex magistrat en disponibilité et véritable cerveau de l’opération ».

Bernard Arnault ne peut plus se faire la malle

Par Marine Babonneau et Christophe Nobili 2 décembre 2025

Nicolas Puech, l’un des héritiers du groupe Hermès, réclame 14,3 milliards d’euros au patron de LVMH qui aurait racheté ses actions sans son accord. Les juges vont convoquer Bernard Arnault pour entendre sa version.

Noël approche, l’audition de Bernard Arnault aussi. Le patron de LVMH est ­attendu dans le bureau des juges Anne de ­Pingon et Serge Tournaire pour livrer sa version de la rocambolesque affaire Hermès. Le malheureux est soupçonné par Nicolas Puech, l’un des héritiers de ce groupe, d’avoir fait main basse, dans les années 2000, sur son trésor familial (plus de 6 millions d’actions), avec la complicité de son propre gestionnaire de fortune suisse, Eric Freymond. Le dédommagement que réclame le descendant ruiné à LVMH, évoqué lors d’une audience civile à Paris, le 20 novembre («  Libé  »), est éléphantesque : 14,3 milliards d’euros !
Jusqu’à présent, Nicolas Puech avait concentré ses récrimi­nations sur Freymond, son homme de confiance, ­coupable, à ses yeux, d’avoir tout manigancé pour ­dilapider ses ­précieux titres et encaisser discrètement le produit de leur vente. Mais le décès ­brutal, cet été, du financier suisse, qui s’est jeté sous un train, et surtout, ses derniers aveux dans le bureau de la juge Pingon, ont rebattu les cartes. Trois semaines avant son geste désespéré, Freymond, pour la première fois, avait mis en cause Bernard Arnault.

Bernard Arnault mis en cause par un témoin posthume
Deux semaines avant son récent suicide, le Suisse Eric Freymond était mis en examen pour la disparition de plus de dix milliards d’euros en actions Hermès. Le gestionnaire d’actifs de l’héritier Nicolas Puech s’était alors laissé aller à de troublantes confidences devant les juges d’instruction. Elles sont tombées dans le bec du « Canard »…
Derrière le geste désespéré du Suisse Eric Freymond, c’est peut-être la fin d’une énigme vieille de dix ans qui s’annonce. Une décennie durant laquelle l’héritier Nicolas Puech, jadis premier actionnaire du groupe Hermès, avec 5,7 % des parts, a accusé ce gestionnaire de fortune de l’avoir ruiné en faisant disparaître sa montagne d’actions – soit plus de 6 millions de titres en papier, d’une valeur supérieure à… 13 milliards d’euros.
Comment ? Jusqu’à présent, magistrats, hommes et avocats d’affaires, banquiers helvètes et français s’étaient cassé les dents sur cette rocambolesque histoire. Mais les dernières révélations de Freymond pourraient lever un coin du voile.
Le Canard Enchaîné

Bernard Arnault dans les remous du thriller financier Hermès, entre actions volées, plus-value colossale et stratagèmes offshore

Lors d’une tentative de raid sur le maroquinier en 2010, le patron de LVMH avait acheté 6 millions d’actions, dans des conditions qui interrogent, à l’un des héritiers de la famille. Le PDG du numéro 1 du luxe est désormais susceptible de voir la justice le considérer comme receleur du délit d’abus de confiance, voire comme complice.

C’est une histoire folle, celle de deux mastodontes du luxe, LVMH et Hermès, dont le premier a voulu avaler le second dans un raid aventureux. Elle est peuplée de milliardaires, d’héritiers, de gestionnaires de fortune indélicats, d’actions de société envolées, de millions d’euros subtilisés dans des comptes bancaires suisses, sans oublier un suicide mystérieux intervenu dans la montagne helvète.

Mais le jeudi 20 novembre 2025, dans une toute petite salle d’audience nichée au 6e étage du tribunal judiciaire de Paris, on ne croise que des avocats et leur robe noire. C’est pourtant lors de cette audience tenue par une présidente souriante, que Bernard Arnault, 76 ans, a été rattrapé par cette affaire hors du commun. Voilà le fondateur de l’empire du luxe et numéro 1 mondial LVMH (qui regroupe d’illustres marques de mode, de cosmétiques, de spiritueux et autres), ses deux holdings Agache et Financière Agache, ainsi que le groupe lui-même, obligés de s’expliquer sur la tentative de prise de contrôle par LVMH, en 2010, de l’une des dernières maisons de mode indépendantes, Hermès, aujourd’hui un fleuron mondial.

Libération

Affaire Hermès-LVMH : tout comprendre sur le montage financier de Bernard Arnault AFP

BOURSE - Deux ans que ces géants du luxe français s’affrontent sur le terrain des marchés. Deux ans que LVMH se défend de vouloir prendre le contrôle d’Hermès. « Nous n’avions pas prévu d’être actionnaires d’Hermès. Nous avons fait un placement financier et il s’est dénoué d’une façon que nous n’avions pas prévue », a répété Bernard Arnault en avril dernier, lors de l’Assemblée générale de son groupe.

Pourtant, les faits sont très troublants. C’est ce que la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) a tenté de déminer vendredi 31 mai, avec l’audition du patron de LVMH. Bernard Arnault devait expliquer les conditions de son entrée dans le capital d’Hermès, qu’il détient aujourd’hui à hauteur de 22,60%, contre 72% environ pour la famille héritière. En fin de journée, l’AMF a demandé une sanction de 10 millions d’euros à l’encontre de LVMH. Le gendarme de la Bourse a jugé pleinement justifiés les griefs de défaut d’information au marché et dissimulation comptable dans sa montée surprise au capital d’Hermès.

Tout commence à l’automne 2010. Le samedi 23 octobre, à la stupéfaction générale, LVMH déclare posséder 14,2% et bientôt 17,1% du sellier du Faubourg Saint-Honoré, coté en Bourse depuis 1993 mais détenu en majorité par les héritiers du fondateur Thierry Hermès. Et ce, grâce notamment à des produits financiers dérivés, révélant l’ingéniosité des financiers du leader mondial du luxe.

Les héritiers sont sous le choc et les marchés aussi. Sans rien dire, Bernard Arnault est passé de concurrent à membre du conseil d’administration, doté de 16% des droits de vote. Et tout cela en 10 ans, petit à petit, sans jamais dévoiler ses intentions.

Pourtant, la loi oblige toute société achetant un certain nombre d’actions d’une entreprise cotée à se déclarer auprès de l’AMF (le gendarme de la Bourse), rendant ainsi l’information publique. Une façon de « voir arriver » les prises de contrôle et éviter les rachats sauvages en Bourse. Alors, comment Bernard Arnault est-il parvenu à préserver l’anonymat ? Retour sur les ficelles d’un coup de génie financier.

Comment LVMH est monté au capital sans jamais se déclarer

Dès lors qu’un actionnaire franchit la barre symbolique d’une société cotée (5%, 10%, 15%...), il est tenu d’effectuer une déclaration préalable de franchissement de seuil. Ce que LVMH n’a jamais fait avant octobre 2010. Tout commence en 2001, explique Le Monde, qui a pu consulter le rapport de l’AMF. Cette année-là, le groupe rachète très exactement 4,9% d’Hermès, via ses filiales luxembourgeoises et américaines.

L’astuce est même allée jusqu’à cacher la manœuvre aux actionnaires de LVMH, qui ne seront au courant de la démarche que le 21 octobre 2010, soit deux jours seulement avant le public. Mais retournons en 2001. Les 4,9% d’actions d’Hermès sont pour l’instant transférées dans des paradis fiscaux, dans les sociétés Ashburry Finances, Bratton Direction et Ivelford Business. A cette époque, Bernard Arnault ne fait pourtant aucun mystère sur les 3,5% du groupe de luxe italien Tod’s qu’il vient de s’offrir. Pour Hermès, il préfère rester plus discret. Pas de problème, puisqu’il reste juste en-dessous de la barre fatidique des 5%.

Le seconde partie, capitale, se joue alors au cours de l’année 2006, lorsque Jean-Louis Dumas, l’emblématique patron d’Hermès pendant 28 ans, est contraint de passer la main pour des raisons de santé. La filiale irlandaise de la banque d’affaires Natixis propose son plan à LVMH : il s’agit d’utiliser des « equity swaps à dénouement monétaire ». Pour faire simple, ces instruments financiers opaques permettent de jouer sur un titre boursier sans le posséder. Mais tout en gardant la possibilité de l’obtenir à terme. Il s’agit donc d’une sorte d’option d’achat. Un peu comme si vous achetiez en pré-commande sur Amazon un DVD mais qu’au moment de sa sortie, Amazon vous donnait le choix entre vous faire rembourser ou le recevoir comme prévu. Pendant les 2 ou 3 mois de la pré-commande, le DVD ne vous appartiendrait pas encore légalement.

Par cette astuce, LVMH organise alors le rachat de titres Hermès en étoile, via trois banques, de façon à ce qu’aucune d’entre elles ne franchisse le cap symbolique des 5%. Natixis acquiert de son côté 4,7%, la Société Générale 4,5% et le Crédit Agricole 3%. Car, pour le coup, le pot aux roses aurait été découvert.

Voici ce qu’en dit l’AMF dans son rapport : cette technique a pour « effet opportun de ne donner aucune information claire et individualisée sur ces equity swaps et de les rendre indétectables par le public ».

Vient alors le mois de juin 2010, quand LVMH décide de rentrer officiellement dans la bergerie. Le groupe de Bernard Arnault demande ainsi aux trois banques d’être payé en actions, et non plus en cash. Et les titres Hermès atterrissent dans le giron de LVMH. Le 23 octobre, le groupe annonce officiellement détenir 14,1% d’Hermès, puis 17,1% le 26 octobre, 20,21% le 21 décembre, 21,4% en juillet 2011, 22,28% en décembre 2011.

Que risque LVMH dans cette affaire ?

La famille Hermès s’est depuis constituée sa holding H51 qui rassemble 50,2% du capital, soit des titres de 52 héritiers. Nicolas Puech-Hermès, au contraire de ses parents, refuse d’entrer dans cette structure. Il est aujourd’hui soupçonné par sa famille d’avoir favorisé l’arrivée de LVMH dans le capital. En effet, l’AMF affirme que c’est lui qui a vendu 8,8 millions d’actions Hermès, sans quoi les « equity swaps » n’auraient pas pu être mises en place.

Aujourd’hui, l’enjeu pour LVMH relève davantage du risque d’image que du risque financier. En cas de condamnation, le groupe se verrait infliger une amende n’excédant pas 10 millions d’euros (comme l’AMF le demande), le plafond en vigueur au moment des faits. « L’image de LVMH dans le monde, c’est quelque chose de très sérieux et cette affaire peut porter atteindre à son image d’intégrité », indique un proche du dossier, cité par Reuters. Le vice-président de LVMH, Pierre Godé, a déclaré après l’audition devant l’AMF que le groupe n’avait « pas exclu » de revendre sa participation.

Pour Hermès, le véritable enjeu se situe ailleurs, dans la plainte au pénal qu’il a déposée en septembre 2012 contre LVMH pour manipulation de cours et délit d’initié. Avec la nomination d’un juge d’instruction aux moyens d’enquête élargis, Hermès espère avoir accès aux contrats des fameux « equity swaps » pour pouvoir les attaquer et les faire annuler pour fraude.

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