L’OPA lancée par la famille de David de Rothschild sonne comme un symbole de la revanche réussie des héritiers de Guy de Rothschild, quarante-deux ans après la nationalisation de la banque familiale par le pouvoir mitterrandien.
Cette décision audacieuse visait à renforcer le contrôle de l’État sur le secteur bancaire et à mettre en œuvre les politiques économiques et sociales du gouvernement de gauche. La banque Rothschild, symbole de la finance privée, a été nationalisée par décret afin de protéger l’économie française des fluctuations du marché et de garantir une meilleure régulation des activités bancaires.
Rappelons que pour Guy de Rothschild, le chef de la famille Rothschild à l’époque, la nationalisation est subie avec indignation et consternation. Elle a été perçue comme une expropriation injuste et un affront au patrimoine familial. De plus, la mesure a également entraîné des pertes financières importantes pour les membres de la famille et les actionnaires.
Le retour en son sein de la banque d’affaires Rothschild est l’ultime étape du retour de la dynastie à ses racines bicentenaires : en 1982, pour survivre à la nationalisation voulue par le gouvernement socialiste, elle avait été forcée de renoncer à l’usage de son nom et de côtoyer les marchés publics. Après son expropriation par François Mitterrand, se refusant à mettre fin à la longue lignée de banquiers familiaux, David de Rothschild avait fait renaître de ses cendres la maison de haute finance au travers d’une ancienne compagnie ferroviaire, Paris Orléans, cotée en Bourse depuis 1838 et acquise par James de Rothschild, échappant ainsi à l’emprise complète de l’Etat. Concrètement, refusant de s’avouer vaincus, les administrateurs ont créé une nouvelle entité bancaire avec l’aide des autres branches. En 1986, ils retrouvent le droit d’utiliser le nom de famille pour leur activité.
De fait recréée en 1983, Rothschild & Co va quitter la Bourse de Paris. Concordia, holding de la famille Rothschild, a acquis plus de 8 millions d’actions de Rothschild & Co au début du mois, soit 30% des actions ciblées par l’OPA, le maximum légalement possible avant le déclenchement de l’offre. Cette acquisition a permis à la holding de détenir 65,8% du capital de de la banque d’affaires de l’avenue Messine à Paris 73,7% des droits de vote.
Annoncée depuis le début de l’année 2023, cette volonté de sortir de la Bourse vise à « consolider l’indépendance » de l’institution. En effet, la famille fait le constat qu’« aucun des métiers ne requiert de faire appel aux marchés de capitaux », selon la note d’information déposée en vue de l’OPA. Leurs performances « doivent être appréciées sur le long terme », alors que la banque anticipe une chute de 50 % de ses bénéfices cette année. Dans ce contexte, « le statut de société privée apparaît plus pertinent que celui d’une société cotée ».
Aujourd’hui, Rothschild & Co est un groupe familial de 4 200 employés opérant dans quatre métiers distincts et complémentaires : conseil financier, banque privée, gestion d’actions, capital investissement et dette privée. Fort de ses 60 bureaux dans plus de 40 pays, le groupe réalise 2 965 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022.
Pour conclure, la holding de la famille Rothschild, Concordia, a déposé une offre publique d’achat sur la banque d’affaires Rothschild & Co afin que cette dernière quitte la Bourse et redevienne privée.
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Adieu Rothschild
Par par GUY DE ROTHSCHILD
Publié le 30 octobre 1981
Une famille dont le nom est associé à une institution bancaire éminemment capitaliste ne pouvait que voir rétrécir le champ de ses activités au fur et à mesure des étapes de socialisation qu’a connues la société française au cours de notre vingtième siècle. Les Rothschild n’ont pas manqué d’être concernés par chacune de ces étapes : le Front populaire de 1936 leur a retiré la gestion du Chemin de fer du Nord qu’ils exerçaient depuis 1857 ; il a évincé mon père du poste de régent de la Banque de France qu’il occupait depuis vingt ans.
À la Libération, les participations qu’avaient les Rothschild dans la production et la distribution d’électricité et dans les assurances ont été nationalisées par de Gaulle. Enfin, en 1981, la coalition socialo-communiste a décrété la nationalisation des banques, les chassant du même coup de leur maison de famille de la rue Laffitte qu’ils occupaient depuis cent soixante-dix ans, cette rue Laffitte dont le nom était devenu synonyme des Rothschild eux-mêmes. Par la même occasion, les Rothschild ont perdu le contrôle des autres entreprises qu’ils dirigeaient traditionnellement telles que le groupe minier articulé sur Penarroya et Le Nickel et telles que les sociétés héritées du domaine privé des anciennes compagnies de chemin de fer.
La marche du temps sème toujours sur sa route des victimes : on peut le regretter, mais il n’y a pas tellement à s’en étonner. S’il ne s’agissait que de cela, nous n’aurions qu’à panser nos blessures dans l’intimité de la famille et subir en silence notre amertume et notre tristesse. Notamment, tous ceux qui avec l’auteur de ces lignes ont contribué à ressusciter une institution momifiée depuis 1914 et à développer une banque et un groupe d’affaires dignes de l’économie française moderne, créant à cette occasion mille deux cents emplois, tous ceux-là voient avec déchirement anéantir le fruit de quarante années d’un travail acharné. Mais il ne s’agit pas que de cela et ce qui est en cause c’est la relation des Rothschild avec le pouvoir politique pour qui ils sont au moins des personnages encombrants quand ils ne sont pas la quintessence même du mal.