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Médecine prédictive : quand les médecins ne nous soigneront plus

vendredi 28 juillet 2023

Mieux vaut prévenir que guérir
L’Intelligence Artificielle déjà présente dans la médecine d’aujourd’hui
Libérer du temps aux médecins dans les tâches à peu de valeur ajoutée
Aider le diagnostic
Lutter contre l’isolement
L’avènement de la médecine préventive
Détecter les maladies toujours plus tôt
Traiter le mal à la racine — le séquençage de l’ADN
La médecine a besoin d’une intelligence collective
Doit-on tout de même s’en inquiéter ?

L’Intelligence Artificielle nous emmène à l’ère de la médecine prédictive : le but n’est plus de soigner les patients mais de les empêcher de tomber malade.

Mieux vaut prévenir que guérir

L’adage populaire n’aura jamais été aussi vrai qu’à notre époque. Alors que la médecine est engagée dans un combat perpétuel contre la maladie, certains croient désormais en La mort de la Mort, (titre de Laurent Alexandre, urologue et spécialiste de l’Intelligence Artificielle). Les efforts de la médecine se concentrent jusqu’à présent sur la guérison, mais l’accumulation exponentielle de données pourrait changer la donne et nous permettre de ne tout simplement plus tomber malade. Votre médecin passerait donc du rôle de soigneur à celui de coach santé à l’aide de la médecine prédictive.

Prédictive, Préventive, Personnalisée, Participative : un concile d’experts d’IBM soutient que la médecine de l’avenir se concentrera autour de ces 4 piliers. Aujourd’hui, si la médecine est déjà un peu préventive, prédictive elle ne l’est pas encore, ou très peu. Dressons ensemble un état des lieux de ce changement de paradigme.

L’Intelligence Artificielle déjà présente dans la médecine d’aujourd’hui

Tout a commencé dans les années 60 avec le “système expert” Dendral. Mis au point par le docteur Joshua Lederberg (Prix Nobel de médecine), c’est l’un des premiers programmes qui modélise la connaissance d’un expert. Le programme aidait les chimistes organiques à identifier de nouvelles molécules organiques sur la base de leur spectre de masse et de la connaissance globale en chimie. Mais le programme est loin d’être satisfaisant. Trois facteurs ont permis d’améliorer les performances des programmes depuis cette époque :

  • La vitesse de calcul des ordinateurs avec la diminution de la taille des micro-processeurs (cf. Loi de Moore)
  • L’augmentation des données utilisables grâce à la numérisation des dossiers médicaux.
  • L’apparition de nouvelles technologies d’Intelligence Artificielle comme les réseaux de neurones.

Aujourd’hui, les technologies d’Intelligence Artificielle sont bien plus matures et trouvent leur place dans la médecine contemporaine.
Libérer du temps aux médecins dans les tâches à peu de valeur ajoutée

Suivre l’état de santé des patients, vérifier la prise d’un traitement, répondre aux questions des malades, remplir des documents administratifs… Autant de tâches chronophages qui occupent une bonne partie du temps des médecins, aux dépens des actes de soin.

De nombreux outils d’Intelligence Artificielle “assistants” ont été créés pour aider les médecins. Des robots conversationnels (les fameux “chatbots”) qui répondent aux questions médicales des patients 24h/24, des capteurs d’indicateurs de santé, et même des outils de vérification visuelle de prise de traitement. La plateforme AiCure va par exemple jusqu’à suivre comment les patients répondent à l’ingestion des traitements.

Aider le diagnostic

C’est certainement dans cette discipline que l’Intelligence Artificielle défraie le plus la chronique. En 2016, Watson, l’Intelligence Artificielle d’IBM, sauve une patiente japonaise de 60 ans. Elle diagnostique une leucémie très rare sur une base d’apprentissage d’environ 20 millions de dossiers. D’autres tests ont été réalisés et montrent la performance de Watson. L’algorithme détecte un cancer de la peau dans 90% des cas là où un colloque composé des meilleurs cancérologues n’arrive qu’à 85%. Encore plus intéressant, lorsque ces mêmes cancérologues s’aident du diagnostic de Watson, ils atteignent 95% de détection : illustration parfaite de l’Intelligence Artificielle comme aide du médecin et non comme remplaçant.

La communauté française de radiologie a pris conscience de ces opportunités. Les enjeux de l’Intelligence Artificielle sur l’imagerie médicale ont été détaillés dans un livre blanc en décembre 2018. Le rapport analyse les opportunités liées à l’Intelligence Artificielle et tente de donner un cadre éthique.

Lutter contre l’isolement

La technologie est aussi un moyen d’assister les déserts médicaux. Elle peut être amenée à remplacer provisoirement le médecin là où les généralistes manquent le plus. Le suivi à distance (Cureety, Maela), la télé-médecine (Qare, Doctolib Pro), les capteurs de santé (Azurveil, Withings), permettent de faire gagner du temps de déplacement au médecin et contribuent à faire face à cette pénurie.

L’avènement de la médecine préventive

Les applications de l’Intelligence Artificielle en médecine sont déjà nombreuses, et les avancées technologiques récentes suggèrent même un changement de modèle : et si votre docteur ne vous soignait plus, mais vous empêchait de tomber malade ?

Détecter les maladies toujours plus tôt

Une équipe du Laboratoire d’Intelligence Artificielle du MIT et du Massachusetts General Hospital (MGH) a entraîné un modèle capable de prédire, à partir d’une mammographie, si un patient a de fortes chances de développer un cancer du sein dans le futur. L’algorithme est entraîné sur plus de 60 000 cas et a appris à détecter des signaux faibles dans les tissus mammaires pour prédire un cancer futur (en découvrir plus ici).

Pour le professeur du MIT Regina Barzilay, il y a bon espoir que de tels systèmes permettent aux docteurs d’adapter l’analyse et les systèmes de prévention au niveau individuel. Ils rendraient par conséquent les diagnostics tardifs exceptionnels. D’une médecine curative à une médecine prédictive, voilà la ligne de mire de la recherche en Intelligence Artificielle : le médecin n’étant plus celui qui combat la maladie mais celui qui l’empêche de naître.

Traiter le mal à la racine — le séquençage de l’ADN

Certains s’attaquent même à des racines encore plus profondes de la maladie en allant étudier le génome. Le séquençage de l’ADN permet de comprendre l’expression de nos gènes et d’arriver à prédire, avant tout symptôme, l’apparition probable d’une maladie. Les dernières recherches permettent d’effectuer ce séquençage de plus en plus rapidement et de moins en moins cher. En 2007, Steve Jobs avait dû payer la somme de $700.000 pour faire séquencer son ADN. Aujourd’hui, n’importe qui peut faire la même chose pour quelques centaines d’euros via des services comme Gene Plaza, Novogenes, ou encore 23andMe…
La médecine a besoin d’une intelligence collective

La donnée, c’est le nerf de la guerre en l’Intelligence Artificielle. L’explosion de la quantité de données et sa facilité d’accès sont la clé du basculement de paradigme de la médecine curative.

Le rapport sur l’intelligence artificielle de Cédric Villani de Mars 2018 déclare que la France est “l’un des premiers pays à se doter d’une base nationale de données médico-administratives” qui couvre 99% de la population française, avec 20 milliards de lignes de prestations. Et c’est sans compter la multiplication des capteurs de notre santé tous les jours (patchs connectés, puces de surveillance de la tension, trackers respiratoires, etc.)…

Cependant l’enjeu n’est pas seulement de faire grossir les bases de données, mais aussi de les diversifier. La nature même des données médicales introduit un biais important dans les prédictions algorithmiques : une image médicale correspond, par définition, à un patient qui a besoin d’une analyse. Il a donc plus de chance d’être malade qu’un individu lambda. On biaise par conséquent l’algorithme qui risque d’apprendre que la proportion de patients malades est bien plus importante que dans la réalité ! Pour corriger ce biais, la recherche a besoin de plus d’images de patients sains pour apprendre aux algorithmes à mieux reconnaître les maladies.

Enfin, d’autres initiatives œuvrent à la mise à disposition de certaines bases de données pour stimuler l’innovation, les “open challenges”. L’Etablissement Français du Sang (EFS) a par exemple détecté un enjeu d’innovation pour répondre aux besoins d’autosuffisance nationale en produits sanguins labiles (PSL), qu’il a soumis au Challenge Open Data à l’été 2017.

Doit-on tout de même s’en inquiéter ?

Bien que performantes, les technologies actuelles ne semblent pas encore arrivées à maturité pour opérer ce changement. Les algorithmes les plus performants se trompent encore trop, et leur jugement est fragile. Un groupe de chercheurs du MIT a publié un papier le mois dernier mettant en garde contre les dangers de l’Intelligence Artificielle dans les hôpitaux. La possibilité des “adversarial attacks” — des manipulations de fragments de données qui peuvent changer le comportement de l’Intelligence Artificielle — inquiète. En changeant quelques pixels dans un scan de poumon, un médecin, un hôpital, une compagnie d’assurance pourrait faire croire à l’Intelligence Artificielle à une maladie qui ne serait pas présente. Le risque de fraude inquiète, aux USA notamment où la quantité d’argent en jeu dans le monde médical pourrait encourager ces pratiques malveillantes.

L’introduction de l’Intelligence Artificielle nécessite donc un cadre éthique et légal fort. L’ordre des médecins a publié un livre blanc sur l’Intelligence Artificielle en 2018 dans lequel il énonce comme principe éthique fondamental : “une personne et une société libres et non asservies par les géants technologiques”. Même si ce principe n’a pas de valeur légale, c’est un premier pas nécessaire pour ne pas transformer les promesses de la médecine prédictive en cauchemar liberticide.

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