La grippe aviaire a fait trembler la planète en 2007 alors que le virus H5N1 avait heureusement un handicap : il ne se transmet pas de l’Homme à l’Homme, et plus généralement, entre mammifères. Pourtant, si, un jour, un virus équivalent venait à y parvenir, que se passerait-il ? L’humanité serait alors face à un risque de pandémie redoutable qu’il faudrait enrayer très vite. Aux Pays-Bas, Ron Fouchier et son équipe du Centre médical Erasmus de Rotterdam se sont attaqués à la question en... créant un tel virus par manipulation génétique, justement pour mieux comprendre ses armes et la manière de lutter contre.
Leurs résultats ont été présentés en septembre lors de l’Influenza Conference à Malte sur les recherches concernant les virus de la grippe. Depuis, la communauté scientifique est en émoi et débat vigoureusement pour savoir si l’information mérite d’être révélée ou si elle doit rester top-secrète. Car d’après les spécialistes, si une telle forme venait à se retrouver dans la nature, les morts se compteraient au minimum par dizaines de millions. À titre de comparaison, depuis 2003, l’OMS a dénombré 335 victimes de la grippe aviaire dans le monde.
Cinq mutations qui changent la donne
La grosse différence entre ces souches réside désormais dans la capacité à se disséminer au sein de la population humaine. Si la forme naturelle est très peu contagieuse, elle en reste néanmoins mortelle puisque 58 % des personnes infectées en sont mortes.
Ron Fouchier déclare avoir modifié le virus en induisant cinq mutations qui changent complètement son pouvoir de diffusion. Les travaux menés sur des furets (modèle animal de référence pour étudier la grippe car leur réponse au virus se rapproche beaucoup de la nôtre) ont démontré que cette nouvelle souche se transmettait bien plus efficacement entre mammifères. Autrement dit, ils ont fourni au micro-organisme les clés pour infecter le corps humain en le laissant disposer de toute sa virulence.
Vers une meilleure connaissance de la grippe ?
Toute la question consiste désormais à savoir s’il faut ou non rendre publique cette information. L’étude a été livrée au journal Science mais celui-ci l’a d’abord remise (ce qu’il devait faire) entre les mains du National Science Advisory Board for Biosecurity (NSABB), une autorité bioéthique américaine, pour que celle-ci donne son opinion sur l’intérêt de divulguer ou non ces résultats.
Au sein du monde scientifique, les avis sont partagés. Les uns, Ron Fouchier en tête, pensent que l’humanité doit être parée à toute éventualité et que disposer d’un tel sujet d’étude permettrait d’anticiper l’apparition dans la nature d’un fléau de la sorte en préparant le vaccin idoine et éventuellement en trouvant le moyen de contrecarrer une infection déjà déclarée.
Le virus de la grippe aviaire est l’un des plus dangereux mais n’est pas contagieux. Pour combien de temps encore ? © Dr. Eskine Palmer, Wikipédia DP
Les autres, dont le chercheur Thomas Inglesby, du Centre de la biosécurité de l’université de Philadelphie, déclarent que les risques encourus surpassent les bénéfices potentiels et qu’il faut rester très discret sur les méthodes nécessaires à la fabrication de ce virus dévastateur. Les virologues pensent que si la recette est publiée, il serait assez aisé pour celui qui dispose de quelques connaissances et de moyens financiers de recréer à son tour ce serial killer en puissance, qui pourrait devenir une arme biologique terrifiante. Un compromis serait de limiter l’accès aux informations sensibles aux seuls scientifiques autorisés. Là encore, on ne se met pas pour autant à l’abri des risques que le virus s’échappe des laboratoires, comme on soupçonne que cela a pu se produire en 1977 quelque part entre la Chine et la Russie. À l’époque, une épidémie de grippe s’était déclarée dans ces pays et il est possible que le coupable soit un virus H1N1 (peu agressif) qui se serait échappé, pour sévir jusqu’en 2009. Cependant, les conditions de sécurité actuelles sont bien plus drastiques qu’autrefois.
Le débat s’annonce compliqué et la décision qui en sortira pourrait avoir de lourdes conséquences sanitaires, dans un sens ou dans l’autre. En attendant le verdict, les écrivains et les cinéastes ont de la matière première pour échafauder un nouveau scénario de la fin du monde.
Une étude montre que le virus de la grippe aviaire peut se transmettre entre humains
Publié le : 22/06/2012
Le virus H5N1 de la grippe aviaire est susceptible de se transmettre facilement d’homme à homme, selon une étude dont l’opportunité de la publication, jeudi, aux États-Unis, a provoqué une importante controverse.
AFP - Une étude néerlandaise montrant qu’un virus H5N1 de la grippe aviaire mutant modifié en laboratoire se transmet aisément entre mammifères, et donc potentiellement entre humains, a été publiée jeudi aux Etats-Unis après une controverse sur les risques d’une telle publication.
Des travaux américains aux résultats similaires, dont la publication avait elle aussi été bloquée, avait déjà été rendue publique dans la revue britannique Nature le 2 mai. Après un nouvel examen, le Bureau national de la science pour la biosécurité (NSABB) avait autorisé leur parution le 30 mars.
Les deux équipes de recherche avaient également accepté de suspendre leurs travaux, un moratoire toujours en vigueur.
« Ces huit mois de controverse sur la question de savoir comment et s’il faut publier de tels travaux, ont eu l’avantage de rendre le public beaucoup plus conscient du risque réel présenté par le virus H5N1 de la grippe aviaire », estime Bruce Alberts, rédacteur en chef de Science.
Le virus H5N1, surtout présent chez les volailles et les oiseaux sauvages, est dangereux pour les êtres humains, avec un taux de mortalité de 60%, mais n’a fait que 350 morts depuis son apparition en 2003 car il se transmet difficilement chez l’homme.
Maintenant que ces deux études sont publiées, « les scientifiques dans le monde ont la possibilité à partir de ces données de faire avancer notre compréhension de ce virus, ce qui est indispensable pour développer de meilleures défenses » et éviter une pandémie, souligne Bruce Alberts.
Cinq mutations suffisantes
Ces travaux —financés par les Instituts américains de la santé— visaient à déterminer si H5N1 pouvait muter et se transmettre par voie aérienne entre humains.
L’étude menée par le Dr Ron Fouchier du centre médical Erasmus de Rotterdam (Pays-Bas) a abouti à la conclusion que dans une souche de H5N1 cinq mutations suffisaient pour permettre une transmission du virus entre des furets.
Ces mutations ont toutes été retrouvées séparément dans les virus H5N1 dans la nature. Contrairement à ce que les virologues pensaient, ils ont découvert que le virus H5N1 pouvait muter seul, sans se recombiner avec une autre variante du virus de la grippe dans un hôte animal.
L’équipe américaine menée par Yoshihiro Kawaoka de l’Université du Wisconsin était parvenue aux même résultats en travaillant sur un gène clé du H5N1, l’hémagglutinine, auquel ils avaient ajouté une mutation pour améliorer sa compatibilité avec le système respiratoire humain.
Ils avaient ensuite utilisé le virus H1N1 pour créer un virus hybride « H5/H1 ».
Ce virus mutant a été testé sur des furets, utilisés dans la recherche pour la similarité de leur système respiratoire avec celui de l’homme. Les animaux infectés ont transmis le virus par voie aérienne d’autres furets.
La publication des deux études révèle en outre « le besoin de répondre plus efficacement aux inquiétudes suscitées par des recherches pouvant aussi avoir des applications dangereuses », juge Bruce Alberts, qui appelle à l’élaboration d’un système « international et transparent ».
Ron Fouchier a quant à lui expliqué avoir ajouté à ses travaux un texte expliquant leurs objectifs et leurs bienfaits pour la santé publique, « sur les conseils du NSABB ».
Le Dr Anthony Fauci, directeur de l’Institut national américain des allergies et des maladies infectieuses, a souligné de son côté que « les bienfaits (de publier ces études) dépassent les risques » en stimulant l’intérêt de scientifiques dans de nombreuses disciplines.
Il a précisé que des discussions étaient en cours pour mettre fin au moratoire volontaire sur les recherches des deux équipes sur le virus H5N1 mutant.