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De la Puerta del Sol à Athènes : le rejet de la démocratie du mensonge

Léon Camus

dimanche 5 juin 2011

Ils sont dix mille, plus peut-être, ces indignados qui campent sur la Puerta del Sol à Madrid. Ils font écho aux manifestations qui se succèdent ces dernières années à Athènes, toujours plus âpres, plus violentes, manifestations d’une colère exacerbées par trop de promesses non tenues, par une austérité toujours plus restrictive, par le démantèlement de l’État, la vente à l’encan du patrimoine national, pièce par pièce, île par île.

Les capitaux qui abondent sur les marchés après le refinancement des établissements bancaires tombés en faillite le 16 septembre 2008, permettent toutes les fantaisies, toutes les prises de participation, tous les rachats pour une bouchée de pain avant les démembrements et les délocalisations. Et comme l’hyperclasse n’est pas prêteuse, ni philanthropique, elle fait payer ses fonds et ses services au prix fort. Shylock est aux commandes et dicte sa Loi d’airain.

Comme quoi les faillites de 2008 ont été éminemment profitables puisque se sont les citoyens qui ont, en dernier ressort, réglé la note des tricheurs et des parasites par le truchement des États qui se sont surendettés pour sauver un système financier vérolé jusqu’à la moelle, autrement dit où la Banque ne partage pas quand elle est gagnante mais syndique ses pertes quand elle a mal joué, au grand préjudice évidemment des hommes et des nations qui ne tirent de revenu que leur travail et de leurs compétences et talents réels.

De leur côté, les Islandais ont refusé de payer les dettes pharamineuses de leurs financiers véreux et d’un État prévaricateur. Les Irlandais ont eux aussi jeté aux poubelles de l’histoire le mafflu Bryan Cowen (!)… Des révoltes authentiques mais à bas bruit, et surtout sans tapage médiatique… ne faut-il pas étouffer sous l’édredon du mensonge par omission les spasmes libertaires des peuples trompés ? Maintenant à son tour l’Espagne au bord de la faillite se dresse contre ceux qui dépècent le pays et le vendent morceau par morceau selon la bonne méthode que les frères Willot [1] appliquèrent naguère au « Bon Marché », méthode qui fit la fortune du sieur Tapie, l’ami (le comparse) si proche du triste sire D.S-K et l’obligé de son successeur programmé, Mme Lagarde.

Alors sont-ils ces indignados les précurseurs d’un soulèvement européen ? Une sorte de nouveau mai 68 mais qui ne sera pas cette fois un mouvement d’émancipation sexuelle [2] dirigé contre un prétendu « ordre moral » (car l’actuel ordre moral des ligues de vertus politiquement correctes est autrement asphyxiant que les principes issus de notre héritage chrétiens) mais une exigence nouvelle, comme ils l’expriment avec force, à la Porte du Soleil invaincu, celle de l’avènement d’une démocratie réelle, d’une démocratie intégrale, non truquée, non manipulée, transparente et vertueuse en quelque sorte, dans laquelle les minorités oubliées, exclues du débat politique devraient trouver le moyen d’exister politiquement et par conséquent socialement. Pensons ici notamment à ces quatre ou cinq millions d’électeurs, membres infortunés de l’indigénat de souche, privés de porte-paroles à tous les niveaux de la représentation nationale (exception faite du Parlement européen où ils ne comptent que pour du beurre).

Bien sûr l’on connaît le vieux débat quant à une nécessaire stabilité gouvernementale imposant un mode de scrutin créateur de majorité nette et dominante (uninominal à deux tours en Hexagonie, à majorité simple à un seul tour au R-U) ; condition indispensable donc à une bonne gouvernabilité, à savoir la capacité de gouverner tout court, ce qui exclurait d’entrée de jeu toute forme de représentation proportionnelle. A contrario n’entend-t-on pas, et de plus en plus fort, l’appel à une authentique démocratie directe s’exprimant par le truchement d’un véritable référendum d’initiative citoyenne sur le modèles votations helvétiques ou des consultation de l’État de Californie [3] ? Une capacité légale collective aux antipodes de la pseudo réforme constitutionnelle cache-misère de l’automne 2008 n’instituant sous le label fallacieux de « référendum d’initiative populaire » qu’une très vague et très aléatoire possibilité de consultation à la seule discrétion des parlementaires, lesquels bien entendu se garderont ad vitam æternam de jamais consulter leurs électeurs, l’exemple de 2005 étant dans toutes les mémoires de la nomenklatura politichienne.

Une révolte européenne qui gronde donc mais qui n’a substantiellement rien à voir avec ce fameux Printemps arabe, celui-ci se présentant d’abord comme une révolte des masses visant au renversement de régimes carcans, obstacles à tout développement réel des libertés et des économies nationales. Révoltes plus encore de jeunesses sans espoir ni avenir, et pas seulement en mal d’une modernité sur le mode occidental, modèle sans doute autant méprisé que convoité. Une jeunesse qui ne demande simplement qu’à « vivre », en un mot, travailler, se marier, bâtir sa maison…

Les Européens eux, outre le mépris de plus en plus manifeste qu’ils témoignent à leurs classes dirigeantes, droites et gauches confondues, toutes générations et toutes catégories sociales confondues, supportent de moins en moins qu’on les mène en bateau, qu’on leur mente à tout va et à tout bout de champ. Bref qu’on les mène par le bout du museau. Ce qui était encore « tolérable » jusqu’en 2008 et la grande crise systémique, ne l’est plus aujourd’hui, les temps ont changé et l’abondance tourne peu à peu à la « disette ». Les facilités et les gadgets (électroniques) du monde moderne coûtent de plus en plus cher et les charges familiales se font harassantes. La donne n’est donc plus la même et toute patience à ses limites quand les gouvernements n’ont autres issues à la crise rampante que des politiques d’austérité résolument destructrices du tissu économique, industriel et social des pays.

Internet est également passé par-là. Non pas comme au Maghreb et au Machrek pour appeler via les réseaux dits sociaux à la mobilisation des masses, mais pour contre-désinformer les citoyens. Et cela se passe à présent en temps presque réel ! À chaque méga mensonge politico-médiatique le temps de réaction se fait désormais de plus en plus court : quelques mois années pour que la manipulation, l’Inside Job, du 11Septembre, tombe dans le domaine publique (aux É-U quelques mois seulement, mais ici nul ne l’a su) ; quelques semaines pour les armes de destruction massive irakiennes, le temps que l’opinion se sorte de l’état de sidération où le matraquage médiatique l’a plongée ; quelques jours pour l’arnaque de la vaccination contre l’épidémie grippale H1N1… Pour le bulletin de naissance truqué de M. Obama, comme pour la seconde mort d’Oussama Ben Laden, les choses ont été encore plus vite, en quelques heures la Toile bruissait des rires et des commentaires des mécanos se livrant au démontage des ces pitoyables mensonges d’État. Lesquels ne trompent plus que ceux qui ont envie d’être abusés telles les victimes volontaires des « JT » quotidiens !

In fine, en Grèce comme en Espagne, deux pays au bord de la débâcle, refinancés par la Chine qui de facto se constitue en sauveur de l’Union européenne et de l’Euro, la demande de plus en plus pressante d’un démocratie remise sur les rail de la transparence et de la vertu, s’accompagne indissociablement d’une virulente mise en accusation de leur classe politique, dans les deux cas socialistes grand teint. Parce que là encore, comme en Finlande et en Irlande, Grecs et Espagnols réclament, sur la Puerta del Sol et ailleurs, qu’un Audit musclé de la Dette soit conduit en vue de déterminer en quoi les dettes des deux États auraient été le produit contrenature du refinancement colossal en 2008 des voyous financiaristes ?

Gageons que les protestataires, les « Indignés » comme ils se nomment eux-mêmes, ne vont pas de sitôt lâcher le morceau. Rien n’interdit non plus d’imaginer ou d’espérer que l’indignation ne gagne prochainement la France et d’autres encore à travers l’Europe, si nos concitoyens et nos voisins finissent par se rendre compte que l’opacité de la structure de la Dette qui plombe si lourdement leur existence, cache peut-être d’innommables secrets. De secrets mensonges grâce auxquels la clique au pouvoir et la cohorte des prétendants à sa succession, les tond d’importance pour mieux gaver une oligarchie apatride aux intérêts nomades !

Notes

[1De même « La Belle Jardinière » disparaît dans les années 70 après son rachat par le groupe Agache-Willot dont le seul objectif est une plus-value immobilière. En mai 1978 les frères Willot rachète, de la même façon, en pleine débâcle de l’industrie textile, le groupe Boussac et le démantèle.

[2Pas de révolution sans idéologie constituée, les Lumières et le rousseauisme en 1889, en 1968 c’est l’École de Francfort qui joue ce rôle. Regroupés autour de l’Institut de Recherche sociale, fondé en 1923 et financé par le magnat Félix Weil, la galaxie freudo-marxiste des Horkheimer, Benjamin, Adorno, Marcuse, Reich, et en marge Lukacs, élaborent la théorisation de la dictature des corps et de la mort de la morale avec la fin de la responsabilité personnelle (et par conséquent de la liberté). Exception faite bien entendu du crime-contre-la-pensée, lequel reste l’apanage des vrais ennemis du genre humain (en gros ceux qui croient vilainement dans la liberté ontologique du choix entre bien et mal). Méconnaître la source, avec ses tenants et aboutissants, de l’idéologie messianique de l’émancipation permissive libérale-libertaire, c’est se priver te tout moyen d’appréhender, de comprendre les forces idéelles et matérielles à l’œuvre aujourd’hui.

[3En Californie l’on va même jusqu’à se prononcer sur la légalité des mutilations sexuelles chez les deux sexes.

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