Xerfi Canal a reçu Jean-Paul Fitoussi, professeur émérite à Sciences Po, Paris et Professeur à l’Université Luiss de Rome, pour parler de l’emprise de la Novlangue sur nos sociétés.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Contre la « novlangue » néolibérale, le « retour vers le futur » du keynésianisme
Dans son nouveau livre, « Comme on nous parle. L’emprise de la novlangue sur nos sociétés », l’économiste Jean-Paul Fitoussi appelle à saisir la crise due au Covid-19 comme une opportunité de rupture avec la « doxa » néoclassique.
Pour apprécier le nouvel ouvrage de l’économiste Jean-Paul Fitoussi, Comme on nous parle. L’emprise de la novlangue sur nos sociétés, il faut d’abord dissiper un possible malentendu : malgré une introduction générale, convoquant Orwell et Goebbels, le lecteur n’aura pas affaire à un précis de sémantique contemporaine. A la huitième page arrive en effet un aveu bienvenu de l’auteur : si le livre cherche à expliquer comment cette « novlangue » a « vidé de sa substance le débat démocratique » en lui enlevant les mots justes, il traitera avant tout du cas particulier de l’économie politique.
Passé ce démarrage, tout s’éclaire, et l’économiste keynésien, qui alertait déjà, lors de la crise économique de 2007-2008, sur les écueils des politiques d’austérité, règle ses comptes avec la « doxa » néoclassique et son vocabulaire. A la faveur d’une crise sanitaire qui a forcé les gouvernements à ouvrir les vannes de la dépense publique – « quoi qu’il en coûte », selon les mots d’Emmanuel Macron mi-mars –, M. Fitoussi plaide avec adresse pour le retour de mots oubliés comme « demande, relance budgétaire, politique industrielle, investissement public ».
« Il nous faut penser autrement si nous ne voulons pas que les mauvais réflexes acquis lors des précédentes crises nous emmènent vers des territoires inconnus », prévient-il ainsi. Il y a quelque chose de savoureux à suivre ce professeur émérite, chez qui pointe parfois un peu d’amertume quant aux choix de sujets et lexiques de ses confrères adeptes de la synthèse néoclassique, et à lire son espoir d’« un retour vers le futur ».
Au programme, « revenir à nos vraies priorités : la santé, la protection sociale en général et celle du travail en particulier, le développement des biens publics et de la souveraineté ». L’économiste clarifie au passage quelques poncifs contemporains, comme l’idée de la fin du travail, nouvelle manifestation de la « peur ancestrale du progrès des techniques », ou de la réindustrialisation, nouvelle antienne des ex-tenants de la « mondialisation heureuse ».
Une position plus ambiguë vis-à-vis de Macron
Soutien d’Emmanuel Macron en 2017, M. Fitoussi a à son égard une position plus ambiguë : le chef de l’Etat est, d’une part, l’auteur de la formule du « pognon de dingue », illustration extrême de la novlangue fustigée par l’économiste, qui rend les chômeurs et les pauvres responsables du « fardeau qu’ils font peser sur la société ».