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Pourquoi Macron va voter pour Biden

mardi 3 novembre 2020

Une deuxième victoire de Trump pourrait être un autre « coup de semonce » pour l’Europe, mais cela ne va pas la perturber.

À l’exception d’un dirigeant populiste bizarre ici ou là, la plupart des pays européens espèrent tranquillement que le candidat démocrate Joe Biden remportera l’élection présidentielle américaine de la semaine prochaine et inaugurera un retour à une politique transatlantique plus « normale ».

Une présidence de Biden pourrait stabiliser le navire, mais une nouvelle victoire de Donald Trump pourrait faire quelque chose de plus précieux pour l’agenda de Macron : Donner à l’Europe un nouveau « réveil » et convaincre les dirigeants de faire avancer le plan de Paris pour une Europe souveraine et stratégiquement autonome.

Macron sait qu’un deuxième mandat de Trump risque de secouer définitivement l’Europe dans ce qu’il a appelé sa relation « en état de mort cérébrale » avec l’OTAN et la Maison Blanche. Elle obligerait l’UE à définir et à poursuivre ses propres ambitions et politiques géopolitiques - exactement le type d’« Europe souveraine » que Macron souhaite.

Certes, il y a des voix françaises qui défendent cette cause. Au début de ce mois, le journal L’Opinion a cité les propos d’un ambassadeur français retraité mais toujours influent : « Parfois, je me surprends à souhaiter une victoire de Trump. Si Biden gagne, de nombreux gouvernements européens se précipiteront dans le camp américain ».

Mais ce n’est pas une opinion populaire. Selon un récent sondage YouGov, la majorité des Français qui ont une opinion du meilleur candidat souhaitent une victoire de Biden à 84%.

Et d’après les personnes de l’Elysée qui connaissent sa pensée, Macron est arrivé à une conclusion similaire : Une présidence de Biden comporte plus d’avantages que l’élan potentiel vers l’autonomie européenne déclenché par la perspective d’une autre victoire de Trump.

La préférence de Macron pour Biden plutôt que pour Trump est en partie personnelle. Le président français a d’abord beaucoup investi dans sa relation avec Trump - le dîner au restaurant de la Tour Eiffel, le siège d’honneur du défilé militaire du Jour de la Bastille en 2017, sa tentative d’arranger une rencontre avec le président iranien Hassan Rohani en 2019.

Tous ces efforts se sont avérés inutiles. Sur une série de sujets chers à la France, dont le changement climatique, le traité nucléaire avec l’Iran et les relations commerciales, M. Trump a suivi sa propre voie, sans se soucier de rien. Macron a d’abord été exempté des insultes de Trump contre les dirigeants européens. Cela a vite changé.

Les espoirs de Macron de devenir la porte d’entrée de Trump en Europe - une sorte de « Macronsplainer » de l’importance des institutions et des accords internationaux - sont morts.

Il y a une autre raison pour laquelle Macron voterait pour Biden s’il le pouvait. Il craint qu’une deuxième victoire de Trump ne ravive une vague populiste de mécontentement en France, qui a ralenti ces derniers mois, mais qui pourrait facilement être à nouveau galvanisée dans les mois à venir par l’aggravation des perspectives de l’épidémie de coronavirus et ses conséquences économiques.

Si les États-Unis rejettent le président dans les sondages, l’« échec » de l’ère populiste Trump serait un argument de poids aux élections de 2022 pour Macron, qui cherche à être révolutionnaire de manière plus traditionnelle.

Avec Biden comme président, Macron pourrait également s’attendre et se réjouir d’une relation Etats-Unis-UE beaucoup plus prévisible et constructive sur le commerce, l’OTAN, l’Iran, le Moyen-Orient et surtout sur le changement climatique. Macron veut donner une teinte verte aux 18 derniers mois de son mandat, et le retour des États-Unis à l’accord de Paris sur le climat sous la présidence de Biden serait une bonne nouvelle.

Et en matière de sécurité, Macron sait aussi qu’une poursuite de la situation actuelle - avec certains pays de l’OTAN obsédés par la menace russe et d’autres, comme la France, beaucoup plus préoccupés par les ambitions turques - serait dangereuse sans une voix américaine forte dans le débat.

Enfin, même sans l’urgence d’une nouvelle présidence de Trump, M. Macron a bon espoir que ses plans pour une « Europe souveraine » iront de l’avant, grâce aux leçons tirées de ces quatre dernières années.

Après tout, même après Trump, les États-Unis resteront prudents quant à leurs engagements militaires au sein de l’OTAN. Les divergences entre les intérêts économiques et commerciaux des États-Unis et de l’UE ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Et finalement, l’objectif de la souveraineté européenne ne se limite pas aux États-Unis : il s’agit de contrer la montée en puissance de la Chine et de la Silicon Valley.

Et pourtant, les proches de Macron reconnaissent que l’ambassadeur à la retraite a raison : Il y a un risque que d’autres pays de l’UE - à commencer par l’Allemagne de l’après-Merkel - prennent une victoire de Biden comme excuse pour retomber dans un schéma de dépendance paresseuse et finalement autodestructrice vis-à-vis du bouclier militaire américain.

La différence est que c’est une menace à laquelle la France est habituée depuis longtemps. Dans un sens, la préférence de Macron pour une administration Biden est un aveu que le programme français de souveraineté européenne est un programme à long terme. Paris l’a probablement toujours vu ainsi.

Comme l’a récemment déclaré le Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Clément Beaune, la France souhaite insister sur le fait que les tendances de la gouvernance et de la diplomatie américaines « dépassent l’identité de ceux qui sont au pouvoir à un moment donné ». En définitive, a-t-il déclaré, « construire l’Europe ne signifie pas rejeter le lien atlantique ».

Politico

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