La réforme des retraites est-elle un cadeau à destination des fonds de pension, les structures financières au cœur des dispositifs de retraite par capitalisation ?
On peut raisonnablement se poser la question à la lecture des annonces d’Édouard Philippe, mercredi 11 décembre. Le Premier ministre a déclaré que ceux qui gagnent des revenus supérieurs à 120.000 euros brut annuel ne paieront plus de cotisations retraite (fixées à 28,1%) et, par conséquent, n’ouvriront pas de droits à la retraite. L’effet immédiat sera une hausse de la rémunération nette et une baisse de la pension à venir. Pour éviter de connaître une chute brutale de leurs revenus à la retraite, ces cadres devront alors se tourner vers l’épargne retraite individuelle ou d’entreprise. Et BlackRock se fera un plaisir de leur ouvrir ses portes.
Le fonds de pension américain est le plus important du monde et personne n’a autant d’argent que lui. Il gère plus de 6.000 milliards de dollars d’actifs pour le compte de ses clients. Fin 2017, le Canard Enchaîné se faisait l’écho d’une réception d’une journée entière de ses dirigeants sous les ors de la République, le 25 octobre 2017, en présence d’Emmanuel Macron . Le fondateur de BlackRock, Larry Fink, ne tarit pas d’éloge à l’égard du président français. Notamment depuis le vote de la loi Pacte, dont une partie simplifie et développe la retraite par capitalisation en France, avec exonérations fiscales à la clef. “Nous pensons que la loi Pacte (...) constitue un effort certain d’amélioration du système d’épargne retraite volontaire”, indique une note du fonds publiée en juin 2019.
Pour BlackRock, le gâteau que représente la France est très appétissant. Dans la même note, il constate que “seuls 130 milliards d’euros” ont été collectés dans des produits d’épargne retraite. Un montant ridicule par rapport à l’ensemble de l’épargne liquide des Français (1.500 milliards d’euros), les produits d’assurance-vie en euros (1.600 milliards d’euros) ou les investissements en actifs non financiers (plus de 7.600 milliards d’euros). Il y aurait donc largement de quoi grignoter des parts de marché. “Le Français épargne beaucoup, il a la préoccupation de sa retraite et pour autant il ne s’est pas approprié l’épargne-retraite”, signale Jean-François Cirelli, patron de BlackRock France et ex-PDG de GDF.
De son côté, le gouvernement se défend de déshabiller le système de répartition. “Le régime universel est fondé sur la solidarité nationale, jusqu’aux 120.000 euros annuels tout le monde cotisera au même taux pour s’ouvrir des droits dans la limite de ce montant”, déclare Édouard Philippe. “Et au-delà de ce montant, les plus riches paieront une cotisation de solidarité plus élevée qu’aujourd’hui (2,8%) qui financera non plus des droits pour eux, mais des mesures de solidarité pour tout le monde. C’est un effort qui me paraît juste, tout le reste n’est que littérature”, justifie le Premier ministre.
Édouard Philippe tacle ici l’économiste Thomas Piketty qui a plusieurs fois déclaré que cette réforme était un cadeau aux plus riches. Dans les faits, le Premier ministre a raison : les hauts revenus paieront plus que dans le système actuel. Mais en contrepartie, ils auront une plus grande liberté sur l’utilisation de leurs revenus pour préparer leur retraite. Jusqu’à présent il fallait dépasser 320.000 euros brut annuel pour ne plus avoir à payer de cotisations retraite. Plus de 300.000 actifs seront concernés dans la nouvelle mouture, principalement les cadres supérieurs et les professions libérales comme les avocats. Environ trois milliards d’euros pourraient alors se tourner vers l’épargne retraite, soit moins de 1% des cotisations retraite actuelles.
“C’est donc un marché modeste mais aussi très hypothétique« , tempère l’économiste libéral Jean-Charles Simon. »Si les cadres ne paient plus ces cotisations, rien ne dit qu’ils décideront d’épargner et qu’ils choisiront l’épargne retraite. Admettons que cela génère un flux d’un milliard par an et que 10% seraient placés en ETF BlackRock, cela ferait un enjeu de revenus annuels de 500.000 euros pour BlackRock… Modeste pour un complot.”
“L’épargne retraite supplémentaire n’a pas vocation à se substituer au régime de retraites par répartition qui demeurera le socle principal de la retraite des Français”, déclarait Bruno Le Maire au moment du vote de la loi Pacte. “Mais, à l’heure où les Français épargnent davantage, l’épargne retraite doit devenir un produit phare de l’épargne des français. L’épargne retraite, c’est avant tout une épargne vertueuse qui permet de préparer l’avenir. Elle est bonne pour les entreprises car elle favorise des investissements de long terme, permettant de financer l’investissement et l’innovation”, jugeait le Premier ministre.
BlackRock est justement perçu par l’exécutif comme un candidat de choix pour participer au programme de cession d’actifs de l’État à hauteur de 10 milliards d’euros dans des grandes entreprises françaises. Après la Française des Jeux, Aéroports de Paris et Engie sont les prochains sur la liste. Si BlackRock acceptait de mettre la main à la poche, il siégerait à leurs conseils d’administration en plus de ceux d’Axa (5,84%), Sanofi (5,58%), Société générale (5,49%), Vinci (5.07%), Total (5,02%), BNP Paribas (4,88%), Vivendi (4,72%), etc. BlackRock possédait fin 2017 environ 2% du CAC40 et sa présence en France n’est visiblement pas près de s’alléger.