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KKR, Goldman Sachs et France Telecom ont tué les Pages Jaunes

vendredi 2 mars 2018

Le groupe “Pages jaunes” était surnommé « la poule aux œufs d’or », son résultat net après impôt étant de 48,9 % en 2006, il affichait depuis quelques années une croissance constante à deux chiffres. Sa libéralisation a permis à France Télécom d’opérer sa mutation en entreprise privée et de financer l’achat d’”Orange” en spéculant sur la création de Wanadoo tout en monnayant la “future mariée" Pages Jaunes.

A cette époque, l’univers de la publicité de proximité était peu maîtrisé et méconnu des investisseurs français. Cela n’a pas échappé aux fonds « vautours » tels que KKR et la fameuse banque Goldman Sachs, faiseuse de faillites, ainsi qu’aux milieux financier et politique. Leurs dirigeants ont pu acheter « Pages Jaunes » à France Télécom sans débourser un centime grâce à la technique du LBO. La dette d’acquisition bancaire est remboursée par une ponction sur la trésorerie de la société achetée. Et c’est ainsi que la poule aux œufs d’or va être siphonnée de 1,9 milliard et commencer son lent déclin en exerçant une pression continuelle sur son personnel et ses clients.

L’argent coulait à flot

En 1996, l’ODA, l’Office des Annonces du groupe Havas, fête ses 50 ans au Louvre. La cérémonie est grandiose et l’entreprise affiche une santé financière insolante. Le personnel est motivé et la proximité des directeurs avec leurs employés est réelle. Le groupe vient de lancer la création de plusieurs agences de commerciaux par téléphone sur Bordeaux, Toulouse et Rennes, et devient un pionnier de la télévente créateur d’emplois dans toute la France. La force de « Pages jaunes » réside dans le formidable atout de sa distribution papier dans tous les foyers et entreprises de France. Chaque français utilisait couramment cet annuaire. Les deux années suivantes, ODA crée les services de renouvellement client pour fidéliser sa clientèle d’artisans et de commerçants. Puis viennent les créations d’agences commerciales de VRP dans toutes la France, c’est l’âge d’or de ODA.

Rachat par France Télécom de la « vache à lait »

L’image de “Pages Jaunes” a toujours été accolée à France Télécom, son opérateur historique. ODA, régie publicitaire de l’annuaire France télécom, va basculer dans l’ère du numérique avec la création de la marque « Pages Jaunes » et le financement du portail internet « Wanadoo ». La régie publicitaire des annuaires est maintenant clairement identifiée, la poule aux œufs d’or va pouvoir se transformer en vache à lait. France Télécom profite de l’ouverture des marchés boursiers aux particuliers et réalise une cotation historique, 30 % de l’activité annuaire de France Télécom sera mise sur le marché à un prix compris entre 13,2 et 15,2 euros, valorisant la société de 3,6 à 4,1 milliards d’euros. Pages Jaunes a réalisé en 2003 un chiffre d’affaires de 917 millions d’euros en hausse de 5,2 % pour une marge d’exploitation de 35 %.
Puis en 2005, l’opérateur téléphonique estime que la poursuite des activités de Pages Jaunes n’est plus au cœur de sa stratégie. France Télécom détient 54 % du groupe d’annuaires, le reste du capital est détenu par les salariés à hauteur de 1,80 % et le public à hauteur de 44,20 %. La capitalisation boursière de Pages Jaunes est d’environ 6,2 milliards d’euros. Ce sont 3 milliards d’euros de recette potentielle qui sont en jeu pour continuer à se désendetter mais qui plombent l’endettement de Pages Jaunes avec un investissement publicitaire considérable de 7 millions d’euros pour le lancement du service de renseignement téléphonique du 118008.

La belle affaire puisque France Télécom lance au même moment son service de renseignement avec le 118 712. Permettez l’expression : « Pages Jaunes » s’est fait rouler dans la farine en épongeant les pertes de l’activité internet de Wanadoo pendant trois ans. « Si lors de l’introduction, le marché donne une valeur supérieure à Pages Jaunes, la différence sera redistribuée aux actionnaires de Wanadoo  ».
Entre 2000 et 2003, la branche accès-portail (de France Télécom) a cumulé des pertes d’exploitation de 975 millions d’euro pendant que l’activité annuaire a cumulé 1,02 milliard d’euros de résultat d’exploitation.
Le rachat de la régie publicitaire Pages Jaunes a été un paravent pour masquer l’endettement du groupe France Télécom géré par des technocrates incompétents tel que Thierry Breton, mettant en danger un des fleurons de notre économie.

La vente d’une entreprise publique à un fonds d’investissement est elle une bonne opération ?

C’est une surprise mais cette vente est approuvée par le Conseil d’administration de France Télécom pour 3,3 milliards d’euros. KKR a l’intention, selon France Télécom, de continuer la stratégie mise en place par Pages Jaunes depuis son introduction en Bourse et pourrait conserver la direction actuelle. Néanmoins, le groupe a lancé un avertissement sur ses résultats du second semestre 2006. Un ralentissement de la croissance qui se justifierait par une baisse des appels sur les services de renseignements et par les dépenses publicitaires avec le lancement du 118 008. Mais déjà l’ensemble du personnel redoute le sort qui lui sera réservé. Un fond spéculatif spécialiste du LBO, ponctionne la trésorerie de la société achetée et se constitue un véritable trésor de guerre. Et ce n’est pas moins d’1,9 milliards qui vont être captés.

La vache à lait se transforme en vautour

Si l’incompétence de la direction de France Télécom devient visible par sa gestion, le personnel en charge du management Pages Jaunes n’y échappe pas non plus avec la nouvelle direction. En 2006, les nouvelles nominations aux postes de directeurs d’agence deviennent légion, la course à l’avancement se paye par l’application d’une stratégie commerciale agressive. Les réunions, les reporting, les séminaires servent à optimiser la politique sur le numérique puisque la marge commerciale des produits internet et de service de renseignement est estimée à 80 % au détriment de l’annuaire papier. Il faut savoir que les tarifs publicitaires Pages Jaunes augmentaient de 2% chaque année alors que les reconductions de commandes à l’identique ne coûtaient presque rien. Les objectifs des commerciaux n’y échappent pas. Il leur est demandé de valoriser de 10 % le budget publicitaire qui leur est confié. Sur une période de 5 ans, ce n’est pas moins de 50 % d’augmentation qui est demandé alors qu’il y a une érosion de la consultation de l’annuaire papier.

La pression financière dégrade les conditions de travail.

Depuis la réorganisation commerciale du groupe Pages Jaunes, la pression sur les employés a fait exploser le nombre des arrêts maladies. Certains sont décédés au travail, d’autres ont subi des triples pontages ou ont été victimes d’infarctus sans oublier les multiples dépressions et divorces. Tous ces salariés qui ont cru en Pages jaunes, ont contracté des crédits et subi de multiples mutations pour mieux évoluer au sein de l’entreprise afin de survivre professionnellement. Et le résultat final est bien triste puisque en 2018, 1000 salariés vont être purement et simplement sacrifiés pour éponger la dette contractée lors du rachat par KKR et Goldman Sachs. Ces sacrifiés de la dette ne se doutaient pas de ce qui leur arriverait, et ce n’est pas les piquets de grève qui ont changé grand chose. La rentabilité économique se bâti sur la formidable machine à « cash » qu’est Pages Jaunes. Même le changement de nom en Solocal ne peut altérer la très mauvaise image de marque du groupe. Passons sur les techniques de management révélées par l’émission Cash Investigation, qui sont tout simplement scandaleuses.

Pour conclure

La libéralisation des télécommunications a permis à France Telecom de sacrifier une entreprise publique compétitive en la livrant sans remord aux « vautours » spéculatifs, pour financer l’achat de la marque Orange et éponger le passif du groupe sans se soucier des répercussions financières et humaines.

Geopolintel Mars 2018

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