Dans l’arsenal des dispositifs mis en place ces dernières années pour affaiblir la fonction et le secteur publics, les partenariats public-privé (PPP) tiennent un rôle sans cesse croissant. Créés par ordonnance en 2004, libéralisés par une loi de 2008, les PPP visent, officiellement, à faciliter la réalisation de projets d’investissements, d’équipements, destinés au service public, en la confiant au secteur privé. Celui-ci assure le financement, la construction, la maintenance et la gestion, et reçoit en contrepartie une redevance de la collectivité publique qui a passé la commande. Selon ses promoteurs, ce système devait être garant d’une efficacité supérieure et d’un coût plus avantageux, comparé au financement et à la conduite des projets par la puissance publique. En quelques années, le marché des PPP a explosé, la France prenant la première place en Europe en la matière. Selon le ministre Besson, ils représentent 18 milliards d’euros d’investissements depuis 2002. Des projets d’hôpitaux, de lignes ferroviaires à grande vitesse, de stades, de prisons, d’universités ont ainsi été lancés.
Or, à l’heure du bilan, le moins que l’on puisse dire est que les PPP n’ont pas prouvé leur efficience économique. Ils s’avèrent être « une machine à masquer la dette et à goinfrer Bouygues, Eiffage et autres » grands groupes, constatait le député communiste Roland Muzeau, lors du débat qui s’est tenu le 2 février à l’Assemblée nationale sur cette question, à la demande de son groupe. Le dossier de l’hôpital sud-francilien en offre une spectaculaire démonstration. Au lieu d’être plus rapide et moins onéreuse, comme promis, sa réalisation par Eiffage s’est soldée par un retard de près d’un an, des milliers de malfaçons et un surcoût faramineux ; l’hôpital devra payer un loyer de 40 millions d’euros par an, au lieu des 29 millions prévus au début. Autre exemple cité dans le débat : le PPP réalisé sur le zoo de Vincennes pour lequel le Museum devra s’acquitter d’un loyer annuel de 12,25 millions, soit, sur vingt-cinq ans… deux fois l’investissement total. Ou encore le projet de Pentagone à la française (regroupement à Paris des services du ministère de la Défense), qui représente pour le constructeur privé un investissement de 1,8 milliard, et pour le partenaire public un coût de 4,2 milliards… Présentés comme la panacée pour économiser la ressource publique, limiter l’endettement, les PPP conduisent à la gabegie budgétaire, pour le seul profit de groupes industriels, au détriment du contribuable. Bilan si accablant qu’Éric Besson, sans les remettre en cause, a dû exprimer des doutes sur leur « efficacité à long terme » et admis la nécessité d’une « sélectivité accrue » dans le choix des projets et des partenariats.
SENAT : Projet de loi relatif aux contrats de partenariat
III. UNE RELANCE DES PPP QUI NE DOIT PAS ÊTRE DE PURE OPTIMISATION BUDGÉTAIRE
Si le PPP, dans sa logique économique, constitue un outil d’optimisation de l’investissement public, rien ne parait justifier qu’il soit utilisé comme un outil de déconsolidation de la dette, et nuise à la lisibilité des engagements financiers de long terme des administrations publiques. L’expression en deux ratios (un déficit inférieur à 3 % du PIB et une dette inférieure à 60 % du PIB) du principe de soutenabilité des finances publiques peut conduire à des exercices de comptabilité créative, ce qui est le risque lié à toute règle de discipline budgétaire.
Selon M. Frédéric Marty dans un document de travail23(*) de l’Office français des conjonctures économiques (OFCE) d’octobre 2007, « l’analyse des pratiques britanniques peut s’avérer particulièrement fructueux pour illustrer les risques et les difficultés auxquels les PPP français auront à faire face. Tout d’abord, (...) la tentation du hors bilan ne peut être écartée pour s’engager dans des solutions partenariales au détriment de motivations relevant de l’efficience économique. (...) Le recours au PPP comme instrument de hors bilan pourrait paradoxalement caractériser non pas un comportement opportuniste ou « court-termiste » des décideurs publics mais la volonté de contourner des règles publiques sous-optimales au point de vue collectif ».
A. DE RÉELS EFFETS DÉCONSOLIDANTS DES PPP
Comme l’indique le « Guide pratique des contrats de partenariats » publié par le ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, « l’enjeu du traitement comptable de ces montages, au regard des finances publiques, est de déterminer si le contrat de partenariat est « consolidant » (c’est-à-dire si la dette et le déficit publics s’accroissent du montant des tranches d’investissement réalisées par le partenaire privé indépendamment des versements annuels de l’Etat) ou « déconsolidant » (seuls les paiements annuels de l’Etat viennent dégrader le déficit) ».
Impact sur la dépense, le déficit et la dette publics en comptabilité nationale de la décision de classement d’un PPP
Consolidation
Déconsolidation
- dépense à la livraison de l’actif (impact sur le déficit) ;
- imputation d’un prêt au passif de l’acteur public (dette) ;
- loyers décomposés entre remboursement du principal (neutre sur le déficit) et charge d’intérêt/fourniture de services (non neutre).
- pas d’effet initial sur le déficit ;
- loyers intégralement enregistrés en dépense (effet sur le déficit) ;
- aucun effet sur la dette.
Source : INSEE
La question du traitement comptable des PPP pose de réelles difficultés au regard de leur caractère récent, et de la relative complexité des montages, qui ne permet pas d’identifier aisément qui est le propriétaire, au sens économique du terme, de l’actif faisant l’objet du contrat de partenariat public-privé.
1. Des règles comptables encore lacunaires
Lors de sa participation à la table-ronde du 19 mars 2008 relative aux enjeux budgétaires et comptables des PPP, Mme Nathalie Morin, chef de service à la direction générale de la comptabilité publique, a fait valoir que, « s’agissant de la comptabilité générale de l’Etat, l’environnement normatif n’était pas stabilisé, le conseil national de la comptabilité n’ayant pas encore pris position sur les PPP. Elle a indiqué que l’Etat s’était inspiré des règles privées IFRIC 12 tout en remarquant que la puissance publique n’était pas un opérateur économique comme un autre ».
Ainsi, il n’existe toujours pas de norme comptable internationale spécifiquement applicable aux PPP : la norme IFRIC 12, qui constitue une interprétation des normes IFRS en ce qui concerne l’évaluation comptable des contrats de PPP, publiée par l’International Accounting Standards Board (IASB) de l’IFAC (International Federation of Accountants), ne s’applique pas expressément au contractant public. Toutefois, l’International Public Sector Accounting Standards Board (IPSASB) de l’IFAC a publié, en mars 2008, un document de consultation relatif au traitement comptable des Services Concessions Arrangements (SCA), notion couvrant tous les montages de PPP, à l’exception de ceux relatifs à l’affermage des opérations de conception/construction. Ce document soumis à consultation propose, dans le choix entre consolidation et déconsolidation, des investissements le critère de contrôle des actifs24(*).
Cette proposition porte sur la comptabilité d’engagement et non sur la comptabilité budgétaire.
* 23 Partenariats public-privé, règles de discipline budgétaire, comptabilité patrimoniale et stratégies de hors bilan. Frédéric Marty. OFCE, octobre 2007.
* 24 On le verra, Eurostat a opté pour un autre critère, à savoir l’attribution comptable de l’actif à l’acteur qui supporte la majorité des risques.