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Le crépuscule de l’Ukraine

La guerre du 2 mai 2014

mercredi 7 mai 2014

Comme annoncé et comme prévu la guerre a commencé en Ukraine le 2 du mois de mai 2014. Le chaos s’installe tranquillement dans le silence radio des médias qui selon leur vieille habitude regardent ailleurs. Samedi 3 mai, alors qu’à Odessa 42 personnes venaient de périr la veille dans l’incendie de la Maison des syndicats, les gens de presse hexagonaux - dont certains ne manquent vraiment pas d’air - n’hésitaient pas à imputer aux russophones eux-mêmes la mort de leurs infortunés concitoyens [1]. Un procédé d’inversion accusatoire utilisé à l’identique, il y a deux ans, en juillet 2012, à l’occasion des sanglants attentats de Damas… le pouvoir syrien avait été alors accusé d’être le propre organisateur de cette campagne de terreur ! Or le jour même du drame d’Odessa, le seul sujet brûlant que trouva à traiter la bonne presse fut la libération des douze officiers de Renseignement de l’OSCE [Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe] « retenus en otages par le maire autoproclamé de Sloviansk ». Seuls les pro-russes ont, notons-le, droit à bénéficier de la marque déposée « autoproclamé », laquelle ne s’applique évidemment pas aux dirigeants - pourtant ouvertement putschistes - de Kiev…

Soulignons que lors de l’offensive des forces antiterroristes ukrainiennes deux hélicoptères de combat furent abattus. Un autre depuis, lundi 5. Des faits là encore à peine relevés par la grande presse libre. Cependant il ne s’agit pas du tout d’un épisode anodin ! Réfléchissez ! Qui a déjà entendu parler d’hélicoptères descendus par le Hamas pendant les multiples opérations israélienne de tir au lapin à Gaza. Ou au Liban par le Hezbollah ? Dans ce dernier cas l’on peut imaginer que la cavalerie aérienne de Tsahal s’est toujours tenue à distance respectueuse des lignes ennemies, laissant faire le sale travail par ses chasseurs-bombardiers F16. Ou encore en Syrie ? Là quelques hélicos gouvernementaux ont été envoyé au tapis, mais nulle trace d’armes anti-aériennes. Des armes à ne pas mettre entre toutes les mains et que les Alliés – Israël en tête, l’on comprend bien pourquoi – se sont bien gardés de confier aux fous d’Allah. Ce pourquoi Damas a pu garder la maîtrise – relative – de son espace aérien. Cela aussi parce que la participation occidentaliste, quoiqu’elle soit un secret de Polichinelle, se devait de sauver les apparences et de protéger les arrières de Tel-Aviv.

Guerre ouverte niveau 3

Tout cela pour dire que le conflit qui vient de s’ouvrir sur le flanc sud-est de l’Ukraine, pourrait être classé « niveau 3 »… si cette classification existait. Il ne s’agit pas bien entendu d’une confrontation entre armées conventionnelles, reste néanmoins que nous nous trouvons face à un conflit à un stade avancé. Non pas, répétons-le, un « pré-conflit », mais une guerre asymétrique entre des forces dont l’une est adossée à une super puissance militaire, la Fédération de Russie. L’autre étant officiellement une armée professionnelle, peu motivée, sous équipée, travaillée par le doute quant à la légitimité des donneurs d’ordre et de la cause à défendre.

Car après tout, au sujet de la légitimité de l’intervention (intempestive) de Kiev, quoiqu’en disent les experts juridiques de Bruxelles, du Quai d’Orsay, des médias et d’ailleurs, depuis juin 1919 et le Traité de Versailles, c’est le principe des nationalités qui prévaut sur celui de l’intangibilité des frontières. La Ve République naissante avait ce titre organisé sa politique de décolonisation sur l’idée générale « du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » ! Or nos commentateurs impartiaux ont aujourd’hui la fâcheuse tendance de l’oublier et de vouloir tricher en jouant sur les deux tableaux… en fonction des circonstances et de leurs intérêts opportunistes. Très souvent, dans ce genre d’affaire, plus on invoque la légalité et plus on la bafoue !

Prospective belliciste

Maintenant, contrairement à ce que vont dire les perroquets médiatiques, primo il n’y aura pas de guerre civile, mais une lutte sévère entre formations paramilitaires et de milices, celles que l’on a vu par exemple à l’œuvre sur le Maïdan, tirant, tuant, mutilant les unités de maintien de l’ordre, les Bercout. Deusio les forces russes, sauf situation d’urgence absolue, ne franchiront pas la frontière. Il suffira à la Fédération de reprendre la complète maîtrise des eaux pontiques [la Mer Noire] afin de la constituer en vitrine de sa puissance restaurée [2]. Ensuite, l’imbécillité des dirigeants de Kiev, de Bruxelles, de Paris continuera de faire le travail à sa place.

Les morts qui continuent à s’accumuler créent peu à peu l’irréversible. Le ministère de l’intérieur ukrainien annonçait le mardi 6 qu’au cours de la nuit les combats aux abords de Sloviansk venaient de faire une trentaine de morts supplémentaires. Lundi au cours d’une embuscade tendue aux forces ukrainiennes quatre soldats ukrainiens ont été tués, et vingt autres blessés pour quatre dissidents… simultanément un hélicoptère Mi-24 a été abattu « à l’arme lourde » (!) [3].

Bref gageons que les élections présidentielles prévues le 25 mai, non seulement ne résoudront rien, mais qu’elles sont a priori irréalistes voire déraisonnables ou absurdes dans l’actuel contexte de guerre ouverte. Un avis partagé le ministre des Affaire étrangères Sergueï Lavrov qui se faisait le 6 mai, une fois de plus, le porte-parole des doutes que conçoit le gouvernement russe quant à la légitimité en soi de ces élections « alors même que l’armée est déployée contre des civils  ». En effet ! Déjà à Vienne, fin avril à l’issue d’une réunion du Conseil de l’Europe, Sergueï Lavrov avait souligné la totale absence d’intérêt qu’il y aurait à organiser de nouveaux pourparlers internationaux. Ceci dans la mesure où le précédent accord conclu à Genève le 17 avril entre l’Ukraine, la Russie, les États-Unis et l’Union européenne, n’avait pas été appliqué une seule minute [4].

L’accord prévoyait notamment le désarmement des milices et la libération des bâtiments publics illégalement occupés… Texte original extrait : « La réunion de Genève sur la situation en Ukraine est convenu d’étapes initiales concrètes pour désamorcer les tensions et rétablir la sécurité pour tous les citoyens. Toutes les parties doivent s’abstenir de toute violence, intimidation ou actes de provocation. Les participants ont fermement condamné et rejeté toutes les expressions d’extrémisme, de racisme et d’intolérance religieuse, y compris l’antisémitisme. Tous les groupes armés illégaux doivent être désarmés ; tous les bâtiments occupés illégalement doivent être restitués à leurs propriétaires légitimes ; toutes les rues, places et autres lieux publics occupés illégalement dans les villes et villages ukrainiens doivent être évacués. Une amnistie sera accordée aux manifestants et à ceux qui ont quitté les bâtiments et autres lieux publics et remis leurs armes aux autorités, à l’exception des personnes reconnues coupables de crimes capitaux ».

Désormais la négociation n’est plus à l’ordre du jour

On voit ce qu’il en est à présent. Reste que la voie suivie par les ultras de Kiev, bien mal conseillés par leurs mentors de Londres, Washington et Paris, est sans issue. Qu’elle les conduits à rebours des objectifs poursuivis. Raison pour laquelle les Euratlantistes réduits à l’impuissance – parce que personne ne veut la guerre ni d’ailleurs n’a la capacité de la conduire, et surtout pas les États-Unis qui se retranchent derrière leurs alliés et comparses – vont en toute logique rallumer d’autres feux pour se donner de nouveaux moyens de pression sur Moscou. Pensons aux foyers d’instabilité dans le Caucase, mais aussi et surtout à la Syrie où justement, après avoir transitées par l’Allemagne, parviennent actuellement des armes ukrainiennes [5]. Là également les élections présidentielles du 3 juin prochain pourraient être l’occasion – comme pour les législatives irakiennes qui viennent d’avoir lieu – de relancer la guerre par le truchement de vagues d’attentats sans précédent. L’Ukraine n’est au fond qu’un nouveau front parmi d’autres dans le cadre de cette nouvelle Guerre Froide qui n’ose pas dire son nom, mais qui n’en existe pas moins pour autant.

Léon Camus 6 mai 2014

Notes

[1Des militants prorusses avaient trouvé refuge dans la Maison pour se protéger des nervis de l’Euromaïdan qui les poursuivaient. Ces derniers ont alors lancé des cocktails Molotov provoquant ainsi l’incendie. La plupart des victimes ont été brûlées vives à l’intérieur et huit personnes se sont tuées en sautant depuis les étages. Témoignage d’une survivante, médecin de son état : « Les pompiers ont mis un temps impardonnablement long à venir, 20 minutes, et je présume que ce n’est absolument pas par hasard. Pas plus que l’absence totale de la police. Quand j’ai réussi à me sauver, les pompiers n’étaient pas encore là, des gens en civil m’ont aidé à descendre – visiblement, des citoyens ordinaires… des ultras et autres « patriotes ukrainiens » étaient arrivés de partout en courant armés de bâtons, de chaînes, de pierres et de cocktails Molotov. Il n’y avait aucun autre endroit où aller, ce qui me fait penser qu’on nous a délibérément poussé dans un piège… Il y avait beaucoup de femmes [avec nous], des gens âgés, qui étaient venus apporter des médicaments, des Odessites ordinaires [donc pas un seul militaire professionnel]. Très vite un cocktail Molotov a volé par une fenêtre et le feu a pris dans le couloir… À côté de moi des gens gémissaient, priaient et téléphonaient à leurs proches pour qu’ils appellent les secours  » [CourrierdeRussie3mai14].

[2La Russie va consacrer plus de 86 milliards de roubles [1,75 milliard d’€] d’ici 2020 au développement de sa flotte militaire en mer Noire selon le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou…« Nous allons créer cette année de nouvelles unités de défense anti-aérienne et d’infanterie de marine dans les bases de notre flotte, a déclaré le ministre, cité par l’agence Interfax. La flotte de la mer Noire va recevoir cette année de nouveaux sous-marins, des navires de surface de dernière génération ». À ce titre un patrouilleur et deux navires de débarquement ont déjà rejoint la flotte basée à Sébastopol [Interfax/LeMonde.fr6mai14].

[3AFP6mai 14

[4Reuters6mai14

[5Le magazine allemand Der Speigel [14avril14] : « La coopération solidement ancrée au fil des années avec la Russie a été abandonnée officiellement la semaine passée. En conséquence, Moscou n’est plus un partenaire, mais un adversaire  ». Dans cette perspective, un contrat d’armement aurait été signé avec la société ukrainienne Ukroboronprom en vue d’exporter des armes semi-automatiques SKS Simonow en Allemagne. Les autorités de Berlin ayant donné leur feu vert, selon Der Speigel « ces armes livrées à l’Allemagne pour y être optimisées puis être acheminées à destination de l’opposition syrienne ». Entre 2011 et 2012, ce sont 54 000 armes individuelles qui seraient de la même manière parvenues aux rebelles via le territoire allemand.

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