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Le pouvoir socialiste, la Syrie et Genève II

Léon Camus

jeudi 30 janvier 2014

« Nous étions en capacité de frapper la Syrie. Peu de pays peuvent avoir cette souveraineté, cette liberté, cette capacité ». Une déclaration on ne peut plus péremptoire de la grenouille qui se veut aussi grosse que le bœuf, alias Mister Hollande au cours de sa conférence de presse du 14 janvier. Une conférence devant six cents pékins se tenant cois, pas une question plus haute que l’autre, face à un énergumène gonflé de suffisance, chantant sa propre louange devant Rome en flammes. Reste que la petite phrase levantine mérite commentaire au moment même où la diplomatie française s’emploie discrètement à faire capoter les pourparlers de paix de Genève et de Montreux.

Pour mémoire, le samedi 31 août 2013, alors que dix Rafale de l’armée de l’air française attendaient sur le tarmac l’ordre de décollage, sans en informer directement son homologue élyséen, le président américain annonçait à la presse son intention de soumettre toute intervention armée contre Damas à l’approbation du Congrès. À Paris, retour brutal sur le plancher des vaches. Un sévère camouflet pour le tandem Hollande/Fabius qui s’était engagé très loin dans l’affaire, les deux hommes s’étant retrouvés seulabres aux côtés d’Obama après la défection deux jours auparavant de l’anglais Cameron, celui-ci lâché par son Parlement.

Un truqueur pathologique

Or, cinq mois après cette guerre manquée, M. Hollande s’en vient nous susurrer que la France avait ou aurait eu la capacité d’aller frapper à sa guise le territoire syrien ? De créer derechef un brouillard électromagnétique suffisant pour leurrer non seulement les défenses antiaériennes de la République arabe de Syrie, mais plus encore les Russes dont les bâtiments de guerre s’interposaient entre les forces navales occidentales et leurs objectifs sur le sol syrien [1]. Sachant que les aéronefs français étaient censés délivrer des missiles Scalp d’une portée - presque dérisoire - de 250 Km, il fallait être un journaliste habilité par la présidence pour ne pas se rendre compte, ce fatidique 14 janvier, du ridicule des tartarinades présidentielles [2] [lepoint.fr23jnv14].

Indépendamment de l’inconnue mathématique que représentait fin août une éventuelle réaction russe, la Maison-Blanche était alors confrontée à une opinion majoritairement hostile à toute guerre. Selon un sondage Reuters-Ipsos conduit entre le 19 et le 23 août 2013, 60% des américains se montraient résolument opposés à tout engagement armé au Levant contre 9% favorables. Tandis que 140 membres du Congrès dont quatorze Démocrates (le parti du président), lui faisait parvenir un placet par lequel ils alertaient Barack Obama contre un viol de la Constitution au cas où celui-ci recourait à l’usage de la force à l’égard du régime baasiste de Damas en se dispensant d’un vote conjoint des deux chambres… « Engager nos forces en Syrie en l’absence de toute menace directe et sans autorisation préalable de la part du Congrès, transgresserait la séparation des pouvoirs telle que clairement établie par la Constitution » [thehill.com28août13].

Nous n’irons pas jusqu’à dire que la présidence américaine serait en soi plus respectueuse de la volonté populaire que les socialistes au pouvoir en France, reste qu’en la circonstance la Maison-Blanche a su se montrer plus circonspecte que la clique parisienne. Celle-ci, indifférente à la vox populi, était décidée à passer outre tous les signaux d’alarmes tel ce sondage de l’institut BVA qui le 30 août signalait que 64% des français consultés refusaient catégoriquement toute intervention armée au Levant. Et cela malgré un matraquage médiatique incessant, notamment quant à l’attaque au gaz de la Gouta de Damas avec l’étalage d’une ribambelle de jeunes cadavres passés et repassés en revue par l’œil malsain des caméras.

Les mensonges ont la peau dure

Notons à ce sujet que plus le temps passe et plus les belles certitudes d’alors s’évanouissent quant à la responsabilité de cette tuerie chimique, vraisemblablement organisée ou couverte par ceux-là même qui cherchaient un prétexte ou une occasion de frapper. Les mêmes qui occultent, travestissent, adultèrent la réalité pour mieux tromper les foules et pouvoir se prévaloir d’un consentement en réalité inexistant de la part de l’opinion… telle est la sinistre nature de la démocratie moderne totalement asservie au mensonge médiatique.

Ajoutons à ce sujet qu’au 31 mai 2013, plus de 70% des Syriens déclaraient soutenir le régime du président Assad. C’est en tout cas ce qu’indiquait une enquête tenue secrète de l’Otan mais malgré tout publiée par le « World Tribune ». Domicilié à Springfield en Virginie, ce médium on line est un équivalant américain du Mediapart hexagonal, par conséquent relativement crédible [3].

Néanmoins les mensonges ont la peau dure lorsqu’ils deviennent des vérités officielles assenées du haut des tribunes internationales – selon le principe de Pascal - avec des trémolos d’indignation dans la voix. La lettre d’invitation du Secrétaire général des Nations-Unies, M. Ban Ki-moon s’adressant à toutes les parties impliquées dans le conflit syrien - sauf l’Iran ! - stipulait très raisonnablement que « face aux effroyables souffrances en Syrie, notre mandat est de parvenir de toute urgence à un règlement négocié, un règlement politique qui mettra intégralement en œuvre le communiqué de Genève I, à commencer par un accord sur une autorité de transition dotée des pleins pouvoirs exécutifs, formée sur la base du consentement mutuel ».

Or dès l’ouverture des négociations de paix, M. Fabius est venu nous chanter une toute autre chanson. Dans son « discours d’ouverture de la Conférence Genève II » [4] le 22 janvier dernier, forçant le ton, Fabius persévérait dans un langage pétri d’inversion accusatoire… « Les affrontements sanglants en Syrie et dans toute la région, l’horreur des exactions montrée encore hier — nous n’oublions pas le massacre chimique commis à Damas par Bachar Al-Assad qui quelques jours avant jurait ne pas détenir ce type d’armement —, le recours à des crimes de masse, les famines organisées, tout cela et bien d’autres monstruosités ne peuvent pas être oubliées. Le régime porte une responsabilité écrasante dans cette situation et, du même coup, dans la montée d’un terrorisme criminel, qu’il prétend combattre mais qui est en réalité objectivement son allié. La Coalition nationale syrienne agit courageusement contre l’un et contre l’autre, et nous la soutenons pleinement ».

Culot, chuztpah et tentative de sidération

Quelle équité dans le partage des responsabilités et dans la représentation - nuancée - de la tragédie syrienne ! M. Fabius ne manque pas de toupet (chuztpah). Si en effet les brigades internationales takfiristes de l’État islamique en Irak et au Levant financées par Riyad - et accessoirement armées par Paris et Ankara - qui affluent de toutes parts, d’Orient et d’Occident, livrent bataille aux djihadistes du Front al-Nosra, ceux-ci affrontant à leur tour les tribus kurdes, c’est la faute à Bachar… lequel arme, comme de bien entendu, les terroristes que l’armée loyaliste affronte. Bachar el-Assad qui aurait nié, avec l’aplomb d’un vulgaire Cahuzac [5], être en possession d’armes chimiques… alors que la présence de ce type d’armes est un leitmotiv et un argument de guerre diplomatique utilisé contre Damas depuis au moins une grosse décennie [6]. Mentez, truquez, falsifiez autant qu’il est possible, à l’arrivée il en restera toujours quelque chose

Dernier exemple du discours nimbé de pathos du chef de la diplomatie hexagonale : « Parce que cette situation terrible existe, qu’elle tue chaque mois des centaines, des milliers de femmes, d’enfants, d’hommes innocents, nous demandons dès l’entrée de cette conférence que, de toute urgence, un ou des cessez-le-feu soient pratiqués, des couloirs humanitaires ouverts, des vivres et des médicaments apportés aux survivants ». Heureusement que les mots sont volatiles et que les diplomates sont par définition des sortes de pachydermes de l’intellect sinon certaines phrases prononcées dans les enceintes internationales pourraient s’avérer immédiatement létales. Le ridicule ne tue plus parce les mots ne font plus sens.

Il est cependant vrai que la situation de la ville de Homs assiégée depuis juin 2012 par l’armée régulière, est particulièrement préoccupante. D’autant que les centaines de civils, femmes, enfants, vieillards - ces derniers toujours oubliés dans la rhétorique larmoyante des fauteurs de guerre - sont également retenus en otages par les insurgés sunnites… un recours navrant à des « boucliers humains » de la part des bons amis de M. Fabius que celui-ci se garde bien de dénoncer.

L’axe du mal manœuvre en coulisses

Reste qu’avant même l’ouverture de la Conférence, chacun aura compris que M. Fabius, avec l’aval de son patron coureur de jupons, n’était pas là, surtout pas, pour chercher et trouver un compromis honorable en vue d’un retour à la paix civile. D’entrée de jeu, dès les premières minutes, M. Fabius donnait le ton en dénigrant de façon peu élégante son homologue syrien, Walid Mouallem dont il qualifiait les interventions « d’élucubrations longues et agressives »… tout en accusant Damas - un comble - « d’alliance objective avec les terroristes » djihadistes [7]. Lesquels perdent en effet du terrain chaque jour davantage, décevant et inquiétant leurs commanditaires effrayés d’avoir libérés de tels Golem.

Il n’est au final pas inutile d’insister sur le comportement diplomatiquement ahurissant du Ministre socialiste en ce qu’il est emblématique de l’arrogance et de l’impudence de certains représentants du bloc occidentaliste. Des individus remarquables par leur capacité à nier ou à inverser la polarité du réel, pouvoir qu’ils tirent de puissantes et virulentes cryptarchies financières, politiques, militaro-industrielles dont le pouvoir d’ultra nuisance n’est plus à démontrer… D’autant que ces pouvoirs de l’ombre s’appuient eux-mêmes in fine sur la détention - encore inavouée à ce jour - de l’arme nucléaire par l’État hébreu. Un jour viendra peut être où la dimension cachée, sous-jacente, la matière invisible composant l’essentiel de la substance des relations internationales, sera enfin exposée en pleine lumière. En attendant cette clarté salvatrice, chacun fait semblant de ne pas savoir !

Dans cet ordre d’idée, sans doute - c’est un euphémisme - n’eut-il pas fallu exclure Téhéran de la Conférence. L’Iran, présent et courtisé à Davos eu égard à ses ressources pétrolières et gazières, probablement désormais supérieures à celle de l’Arabie, est pourtant l’un des protagonistes majeurs de la crise. Si important qu’il est - par extraordinaire - interdit de négociations ! Ce fait seul montre s’il en était besoin que Genève II, est un échec programmé et au mieux, permettra de commencer à débrider la plaie. Russes et Américains s’y emploient. Washington à d’ailleurs mieux à faire avec la montée d’une crise économique en Chine et l’antagonisme croissant qui oppose Pékin à Tokyo. Le sort du monde se situe là et non plus au Levant, n’en déplaise à Tel-Aviv, Paris, Ryad et Ankara.

Un axe du mal qui n’a pas épuisé son pouvoir de nuisance

Un axe du mal que dénonce en termes choisis ce fin connaisseur de la Syrie et des arcanes de nos Services, Alain Chouet, un homme du sérail qui n’hésite pas à mettre, une nouvelle fois, les pieds dans le plat… « Il est légitime de demander à l’Iran de cesser d’intervenir dans le conflit. Encore faudrait-il que d’autres puissances extérieures cessent aussi d’en alimenter la violence et de rendre la crise insoluble. En particulier l’Arabie, qui ne se cache même plus d’entretenir et armer les groupes djihadistes, le parti islamiste turc qui leur offre asile et facilités, certains pays occidentaux qui fournissent assistance logistique et formation sans trop savoir à qui elle est destiné » [8].

En dernier ressort aucune paix n’est évidemment envisageable sans l’Iran, protagoniste diplomatique, géopolitique et militaire dont l’alliance stratégique avec Damas n’a jamais été démentie au cours de ces trois dernières décennies. Alliance entre des islam minoritaires - alaouite et chiite - face à l’ambitieux sunnisme politique des Frères musulmans et aux théocraties wahhabites, Arabie et Qatar… Face également à Israël, cette autre théocratie sous habillage parlementaire… dont nul actuellement ne souffle mot quoiqu’il soit, behind the curtain, l’un des acteurs déterminants, même si indirect, de toutes les crises de l’Orient proche du Liban à l’Irak via la Syrie, la Libye, le Soudan, et cætera.

Lundi matin les négociations directes opposition/gouvernement ont tourné court. Ce qui était éminemment prévisible. La coalition qui n’a de coalition que le nom - une entité fantoche constituée d’éléments disparates, fabriquée de bric et de broc, tous tirant à hue et à dia - ne veut parler que de « l’organe gouvernemental de transition » [9]. Autrement dit, en langage ordinaire, ne veut entendre parler que de la reddition sans condition du pouvoir actuel assortie du départ obligé du président el-Assad. Plus raisonnable ou plus réaliste le régime baasiste entend négocier « un gouvernement d’union élargi » en partant de l’idée directrice que « la délégation gouvernementale à Genève II ne participe pas à la Conférence pour remettre le pouvoir à ceux qui ont comploté contre le peuple pendant les trois dernières années » [ibid]. Ce qui semble de bon sens, mais… n’a pas l’heur de plaire à M. Fabius et son compère Hollande, défenseurs d’intérêts résolument étrangers à la paix au Levant et à la Nation française qu’ils prétendent si bien représenter… comme chacun peut le constater.

Notes

[1Moscou avait prépositionné au cours du mois d’août, le long des côtes syriennes, trois bâtiments porteurs de vecteurs nucléaires et de missiles anti-missiles qui avaient rejoint en Méditerranée orientale plusieurs autres unités de détection électronique, elles-mêmes équipées de missiles de croisière. Se trouvaient en outre sur zone plusieurs navires de guerre chinois et iraniens.

[2Tartarinades : vantardises propres à Tartarin de Tarascon, chasseur légendaire et personnage drolatique créé en 1872 par Alphonse Daudet. Figure destinée à passer à l’histoire aux côtés du Tartuffe de Molière (1664) ou du Topaze de Marcel Pagnol (1928).

[3Voir l’article bien documenté d’Agoravox du 2 septembre 2013 « À MM. Hollande et Fabius : 12 points contre le permis de tuer en Syrie »

[4diplomatie.gouv.fr22jnv14

[5Le 5 décembre 2012, Mediapart publie un enregistrement où le député véreux Cahuzac nie posséder un compte en Suisse. Interpellé à l’Assemblée nationale il ment effrontément devant la représentation nationale affirmant : « Je n’ai pas, je n’ai jamais eu de compte à l’étranger, ni maintenant, ni avant » http://www.youtube.com/watch?v=Bxem... – t=61

[6Selon l’encyclopédie en ligne Wikipedia, c’est à partir de 1973 que les réserves d’armes chimiques syriennes auraient commencé à se constituer avec du gaz ypérite d’origine égyptienne. Au cours des années quatre-vingt ce sont des entreprises pharmaceutiques françaises et des intermédiaires européens, principalement hollandais, suisses, autrichiens et allemands qui participeront à alimenter cet arsenal.

[7AFP 22jnv14

[8atlantico.fr22jnv14

[9AFP27jnv14

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