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Du secret défense à la défense des secrets d’Etat

jeudi 26 février 2009

Le projet de loi n° 1216 relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 (articles 12 à 14) va accroître sans limites précises les zones d’influences protectrice du secret défense en laissant le dessin de ses contours, au coup par coup, entre les mains du gouvernement. Le voile du secret va donc s’étendre sur de grands pans de l’activité gouvernementale.

Dès que l’Etat estimera que cela peut gêner ses petites et grandes manœuvres d’arrière-cuisine, citoyens, journalistes, magistrats, associations de défense se verront opposer à leurs questions un secret étendu : sur les risques d’une explosion, une fuite nucléaire, un accident maritime, un trafic d’arme, un fichage en réseau.
Le verrouillage des secrets d’Etat est donc en bonne voie et dans de bonnes mains bien contrôlées. L’extension du sanctuaire de secret défense vise à entraver la manifestation de la vérité. Ce pouvoir, qui s’expose, comme aucun autre pouvoir avant lui, au regard de la presse et du peuple, se prépare à jeter un voile protecteur sur toutes les activités qu’il estimera lui-même secrètes. Que le peuple surtout ne sache rien ; après la concentration du pouvoir dans les mains de l’exécutif se prépare la création des zones de pouvoir furtives.

Ainsi, dès que de près ou de loin, un bureau, un processus informatique, un lieu de stockage, un document, une entreprise, du matériel, des produits chimiques ou nucléaires, des images, des fichiers pourront se rattacher d’une façon ou d’une autre à un supposé intérêt supérieur de la nation, tombera sur lui l’écran protecteur de l’exécutif drapé dans un intérêt d’Etat fort indéfini. Nous savons tous depuis le célèbre « l’Etat c’est moi » que, de secret de la défense en secret d’Etat puis en secret du monarque, on finit toujours en secret de cabinet ou en cabinet des secrets. D’évidence, si le tout-à-l’égout voit le jour au Cap Nègre, ses confidentiels tuyaux qui conduiront au sein des seins des vacances présidentielles deviendront des « lieux classifiés secret défense ».

Cette réforme crée un risque majeur d’étendre à l’infini la liste des lieux et des personnes intouchables

Seront d’abord créés des lieux classifiés —à discrétion d’un décret gouvernemental. Le seul fait d’y pénétrer « donnera connaissance d’un secret ». Puis une liste des lieux susceptibles d’abriter des secrets défense sera également établie. Enfin, un lieu dans lequel on découvrira un document concernant un secret défense deviendra de ce seul fait protégé. Il suffira donc que lors d’une perquisition, par hasard, une petite enveloppe avec une inscription « secret défense » traîne sur la baignoire pour que l’appartement de tel ou tel haut dignitaire devienne un lieu intouchable.

Dans ce projet de loi, l’incrimination des atteintes au secret de la défense nationale est modifiée par la substitution de la notion de « renseignements » à celle d’« informations » totalement indéfinie et extensible à l’infini. La conception de l’atteinte au secret de la défense nationale sera tellement étendue que l’on sombrera dans la défense du secret d’Etat.

Tout est fait pour rendre les perquisitions impossibles ou totalement inefficaces.

Les perquisitions réalisées dans les lieux sensibles ou dans des lieux neutres où sont découverts incidemment des éléments classifiés couverts par le secret de la défense nationale ou dans les lieux classifiés seront excessivement encadrées. L’article 12 transforme les perquisitions en mascarade judiciaire avec tambours et trompettes, sans aucun effet de surprise, il s’agit d’un pur habillage pour les interdire sans le dire. L’article 12 oblige même le juge à révéler les motifs de sa perquisition et à décrire ce qu’il vient chercher ce qui est absurde car impossible et contraire à l’objectif d’une perquisition. Dans les lieux qui se révèlent abriter un secret défense (article 12 II), le juge d’instruction devra informer le président de la commission consultative du secret défense qui contrôlera les éléments saisis. Le caractère insaisissable et inutilisable dans la procédure judiciaire d’éléments classifiés qui auront été fortuitement découverts et n’auront pas été préalablement visés sera généralisé, même s’ils prouvent la réalisation d’un crime.

La population et les victimes des catastrophes risquent d’être privées d’éléments importants dans les dossiers judiciaires face à un secret défense qu’on leur opposera à tout bout de champ.

En cas de fuite nucléaire, d’explosion, d’accident chimique, de vente d’armes illicite, de détournements financiers, d’utilisation d’images ou de réseaux par des moyens anormaux, voire de mort suspecte, le ou les victimes ne pourront plus obtenir de la justice qu’une enquête incomplète et partiale. Il suffira qu’au niveau gouvernemental on exhibe le secret de la défense devenu tellement extensif. C’est un festival de défiance à l’égard du juge : même le PV de saisie ne peut être joint à la procédure ! Comme si les juges et les procureurs étaient par essence des traîtres à la nation dont le seul but serait de transmettre nos très chers secrets aux puissances ennemies. Or aucun juge d’instruction n’a jamais voulu connaître des informations liées au secret défense à l’état pur. Le secret défense a toujours été utilisé par le pouvoir pour entraver la justice et la manifestation de la vérité en l’utilisant comme prétexte et pour servir de protection aux basses œuvres appelées secrets d’Etat.

Ne nous y trompons pas, derrière cette paranoïa anti-juge c’est bien le peuple, dont il est un des derniers recours, qui est visé. Nos dirigeants ne souhaitent pas que les citoyens mettent leur nez dans la réalité de l’exercice du pouvoir. Pourtant, démocratie et transparence sont indissociables. Quand le secret d’Etat devient la préoccupation d’un pouvoir cela signifie qu’il estime avoir des secrets à cacher, lesquels ? La liste est longue des affaires dans lesquelles la vérité a été dissimulée en opposant le secret défense : de l’assassinat du juge Borel, à celle des frégates de Taiwan en passant par celle du Rainbow Warrior ! Va-t-on l’allonger ?

• Dominique Barella •

(Ancien membre du Conseil Supérieur de la Magistrature, ancien président de l’Union syndicale des magistrats)
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