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La Chine, ses faux amis et vrais alliés

Pierre Dortiguier

samedi 4 février 2012

Un auteur belge de talent, connu pour ses bons livres sur le Congo de l’époque du roi Léopold II et le pays des grands lacs, Pierre Daye, écrivit un essai ironique, bientôt centenaire, « La Chine est un pays charmant ». La manière de traiter de cet « Empire du Milieu » Zong Kouo - qui est son nom authentique et définit à lui seul toute sa politique - consistait à opposer une férocité de mœurs à la courtoisie nationale apparente. La veine française, mais qui eut un grand succès, fut, dans un ton à la fois léger, mais en réalité plus violent et malsain, quoique écrit en 1898-99, avec rigueur, « le jardin des supplices » d’Octave Mirbeau. Chaque cœur décadent occidental redisait comme un personnage exalté de la colonie de Canton : « En Chine la vie est libre, heureuse, totale, sans préjugés, sans lois, pour nous du moins. Pas d’autres limites à la liberté que soi-même ». Tout cela est, direz-vous, littérature. Mais les médiats sont aussi des lettres à usage propagandistique et servent à échauffer les esprits et les préparer à accepter une stratégie, dont justement la rumeur ou le portrait diffusé du pays visé sert d’allumage !

L’ouvrage de Mirbeau était contemporain de la répression de la révolte des Boxers et la révolution, autant que son contraire, fut, entre deux guerres, présentée comme une anarchie dictée par le plaisir d’inspirer la souffrance à tout un peuple, depuis les dits « seigneurs de la guerre » jusqu’au communisme ! Encore aujourd’hui, des épisodes, très contestés par les historiens sérieux, et reproduits pour intoxiquer la jeunesse, en bande dessinée, comme je le regardais hier dans une vitrine parisienne du Palais Royal devant la Comédie française, évoquent les prétendus massacres de masse japonais à Nankin qui donnent bonne conscience aux atomiseurs du pays. S’agit-il de remuer le passé ou de pourrir le présent de l’Asie ?
Dès que les symptômes de la crise économique ont causé ces soucis, des médecins de nos corps économiques et financiers, la Chine a surpris par son aide à l’Europe, ou à parler médecine encore, par son soulagement aux douleurs des poisons du crédit absorbés par les Grecs actuels, depuis déjà des générations ! Que l’Allemagne réclame de l’ordre pour continuer de jouer le rôle de vache à lait, dans les pâturages de la démocratie, la voici caricaturée en Merkel « hitlérisée », portant sur les affiches grecques vareuse marron et simple croix de seconde classe, à quoi se réduisait, comme on sait, l’ostentation de la dite innommable et pourtant si popularisée personne ! Que la Chine propose de racheter un part du Pirée et aille se proposer de la sorte chez les Portugais qui trônaient jadis à Macao, le spectre des nouveaux Mongols semble percer derrière la bonhomie des dirigeants confucéens, très occupés de se défendre, comme ils le firent durant la guerre de Corée, contre les « libérateurs américains » et tenant toute agression présente contre l’Iran, avec raison, comme dirigée avant tout contre elle-même, selon l’aveu de ses généraux énoncé dès l’éclatement de la guerre libyenne !

Mais est-ce vraiment la Chine que l’on attaque ainsi seulement ? Ce pays qui absorbait la dette américaine, comme il apprenait le catéchisme marxiste et se laissait conduire par des commissaires du peuple, avant la dernière grande guerre, aux noms si peu Han que Borodine et consort, se développe trop. Si au moins cette Chine produisait des fantasmes pour Européens ou pour une moindre humanité américanisée : elle avait séduit les tendances libertaires des années 70 et devrait s’y contenir, selon l’évangile de l’autre siècle prêché par Mirbeau, qui avait aussi des accents de vérité, comme dans ces pages pourtant dangereuses : « Partout où il y a du sang versé à légitimer, des pirateries à consacrer, des violations à bénir, des hideux commerces à protéger, on est sûr de le voir, ce Tartufe britannique, poursuivre, sous prétexte de prosélytisme religieux ou d’étude scientifique, l’œuvre de la conquête abominable. Son ombre audacieuse et féroce se profile sur la désolation des peuples vaincus, accolée à celle du soldat égorgeur et du shylock rancunier. Dans les forêts vierges, où l’Européen est plus justement redouté que le tigre, au seuil de l’humble paillote dévastée, entre les cases incendiées, il apparaît, après le massacre, comme les soirs de bataille, l’écumeur d’armée qui vient détrousser les morts. Digne pendant, du reste, de son concurrent, le missionnaire catholique qui, lui aussi, apporte la civilisation au bout des torches, à la pointe des sabres et des baïonnettes. Hélas ! La Chine est envahie, rongée par ces deux fléaux. Dans quelques années, il ne restera plus rien de ce pays merveilleux, où j’aime tant vivre ».

Cette situation de la Chine s’est aujourd’hui renversée ; le monde poursuit son mouvement, mais le poids de ce pays, demeuré encore en grande partie dans la situation de tiers-monde, à tant d’égards, présente un visage inquiétant pour les partisans du statu quo des conquêtes anciennes : on l’accuse de manger l’Europe, alors que c’est l’Europe active, en son centre, qui trouve dans la Chine une occasion de respirer et de se développer librement ! Comptez, par exemple le nombre de voitures étrangères produites sur le marché chinois. Plus de la moitié est d’Outre Rhin ! Cela nuit-il à l’Europe ou agace-t-il le leadership des Etats-Unis ? A quoi sert cette zone autrefois concédée par les U.S.A à l’armée Rouge pour y installer une administration dans l’ancien centre de l’Allemagne bousculé par la Pologne rapprochée de Berlin ? A doter l’Empire du Milieu de la perfection mécanique, qui vaut mieux que tous les bons du trésor américain. Là est le péril jaune nouveau, celui de tirer l’Allemagne vers l’Est. Et les médiats nous entretiennent, pour inoculer une dose de sinophobie, dans la crainte d’un non respect des droits de l’homme, comptent les prisons chinoises tout en refusant d’améliorer les conditions désastreuses des nôtres.
Dans les « Echos » de ce premier week-end de février, on lit, sous la plume du correspondant de ce quotidien de l’économie à Pékin une opinion de Christine Lambert-Goué, qui dirige en Chine Invest Securities : « Dans le domaine de l’automobile, de la machine-outil ou des technologies environnementales, les investisseurs chinois que nous rencontrons ont le plus souvent les yeux rivés sur l’Allemagne. » Question d’affinité, commente le quotidien, peut-être compte tenu du nombre d’étudiants chinois formés en Allemagne et du prestige, en Chine, de la rigueur à l’allemande ».

Ainsi va le monde et une dernière citation de Mirbeau, qui s’exprime par la bouche d’une Anglaise : « Je suis sûre que tu crois les Chinois plus féroces que nous ? Mais non, mais non ! Nous les Anglais ? Ah, parlons-en ! Et vous les Français ? Dans votre Algérie, aux confins du désert, j’ai vu ceci. Un jour, des soldats capturèrent des Arabes, de pauvres Arabes qui n’avaient pas commis d’autre crime que de fuir les brutalités de leurs conquérants. Le colonel ordonna qu’ils fussent mis à mort sur-le-champ, sans enquête, ni procès. Et voici ce qui arriva. Ils étaient trente, on creusa trente trous dans le sable et on les enterra, jusqu’au col etc. » La suite est devinable. Comparer avec l’Afghânistân, l’Irak et partout où les amis du peuple et les libérateurs armés deviennent les ennemis et les démons du peuple, et ensuite craignez la Chine plus que vous-même, alors qu’en toute justice, c’est l’inverse qui devrait apparaître, si du moins le chemin vers la guidance divine et ses parfaits envoyés n’était obstruée par la liberté de quelques-uns !

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