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Le choix géopolitique de la partition, un projet déjà ancien.

Leon Camus

dimanche 24 juillet 2011

Le Soudan était jusqu’au 9 juillet 2011, le plus grand pays d’Afrique, cinq fois la France, et la guerre qui voyait s’affronter le Sud chrétien et animiste au Nord arabe et musulman, aura duré vingt quatre ans. Elle s’achève officiellement en 2005 par l’accord de Nairobi. Officieusement elle se poursuit toujours. Au bout du compte, quelque deux millions de morts, dit-on, principalement causés par d’effroyables famines comme celle de 1998 au Bahr el Ghazal… un millions de réfugiés au Kenya, en Ouganda et deux millions de Sudistes déplacés au Nord, autour de Khartoum.

La première guerre Nord-Sud commence lorsque le Soudan est encore sous tutelle britannique, trois ans avant l’indépendance, le 1er janvier 1956. Elle va durer dix-sept ans. Le Foreign Office souhaite conserver son emprise sur Soudan et opte pour ce faire en faveur d’une partition du pays en deux entités distinctes. À peu près à la même époque, le Premier ministre de l’État hébreu, David Ben Gourion, inscrit le Soudan dans le second cercle de sécurité dont le contrôle, indispensable à la pérennité d’Israël. Cela implique également une partition territoriale, confessionnelle et humaine, du pays partageant ainsi - même si les buts différent - une impressionnante communauté de vue avec les ennemis d’hier. Il est vrai que les lois de la géopolitique n’ont pas de parti et qu’elles sont les mêmes pour tous.
À partir de 1956, le germe étant semé, la rébellion commence à s’enraciner peu à peu dans une résistance ethno-identitaire au centralisme jacobin du pouvoir de Khartoum… Jacobinisme qui se traduit par d’une volonté d’unification du pays au moyen de l’islamisation du Sud animiste et terre de mission pour les rivaux que sont l’Église catholique et l’Évangélisme protestant… au moyen du bras séculier de l’Islam qu’est la Charia et de la langue arabe.

Cependant la guerre de sécession n’en est à cette époque qu’à ses prémices et n’a pas encore pris la dimension religieuse qu’elle acquerra beaucoup plus tard avec l’appel au Djihad lancé en mai 1989 contre le Sud par l’idéologue de la révolution panislamiste, le pape noir du sunnisme, Hassan el-Tourabi. Avant également que les enjeux pétroliers n’entrent dans la danse, et ils ne sont pas minces avec des réserves estimées à 6 milliards de barils situées exclusivement au Sud.

Mars 1972, les accords d’Addis Abeba parrainés par l’empereur d’Éthiopie Halie Sélassié, achèvent ce premier cycle d’affrontements. Les hostilités reprennent en 1983. Elles coïncident alors avec la découverte des premiers gisements exploitables d’hydrocarbures. Ajoutons ici, pour bien saisir l’enjeu géopolitique dans toute son ampleur, que celui qui tient le Sud contrôle le Nil Blanc et sa source, à savoir de la Région des Grands lacs. Or qui commande au Nil tient entre ses mains le sort de l’Égypte… On comprendra de cette façon que les luttes qui ont déchiré le Soudan pendant plus d’un demi-siècle, aient largement dépassé – en raison des enjeux colossaux qu’elles supposent - un simple projet de colonisation intérieure du Sud par le Nord et une guerre schématiquement religieuse entre Chrétiens et Musulmans comme les médias, paresseux et partisans, en ont complaisamment popularisé la fable. Parce que les vrais acteurs se sont toujours tenus en embuscade derrières les protagonistes africains… la Grande-Bretagne, les États-Unis et Israël soutenant évidemment les Sudistes avant que d’épouser la cause, en 2003, des rebelles du Darfour.

Pour ceux qui en douteraient effectuons un rapide retour historique… En 1955, de retour aux Affaires du « fondateur » d’Israël (parce qu’il a lu la déclaration d’indépendance de l’État hébreu le 14 mai 1948), et grand prévisionniste, David Ben Gourion donnait pour instructions aux Services de renseignement hébreux d’établir des contacts opérationnels avec les représentants des minorités et des oppositions en Irak, au Soudan, en Ethiopie, en Ouganda, au Kenya et au Congo. Ce faisant Ben Gourion perpétuait la politique de l’Empire britannique : en 1897 le ministre anglais des colonies, J. Chamberlain, ne proposait-il pas déjà la création d’un État Juif en Ouganda connexe du Sud Soudan ? En 1907, à Londres, toujours dans la même veine, l’écrivain Abraham Galant propose à l’Agence Juive de faire figurer le Soudan parmi les pays susceptibles d’accueillir et de rassembler la diaspora israélite… un choix précèdant celui de la Palestine, laquelle, il est vrai, n’était pas encore placée sous « Mandat » britannique (elle ne deviendra « mandataire » qu’en 1920 avec le démembrement de l’empire ottoman).

En 2002 une monographie de Moshe Fraji, ancien de la communauté du renseignement, confirme la grande continuité de la vision stratégique du sionisme* détaillant en quoi « la séparation du Sud Soudan et la transformation de son armée en une armée régulière, serait d’une grande importance… car il s’agirait d’une armée entraînée et équipée entièrement par Israël de manière à ce que l’influence israélienne s’impose [indirectement] sur Khartoum, ceci en vue de réaliser le rêve stratégique d’Israël en Egypte, et faire avorter d’emblée toutes les sources de danger potentiel  ».

Dans cet ordre d’idée, l’ancien ministre de la Sécurité intérieure, Avraham Moshe Dichter pouvait déclarer en septembre 2008 à l’Institut de recherche pour la sécurité nationale : «  Le Soudan représente une indéniable profondeur stratégique pour l’Egypte… après la guerre des Six Jours en 1967, il a hébergé les forces aériennes égyptiennes et ses forces terrestres tout comme la Libye, et donc il était urgent de travailler à l’affaiblissement du Soudan en bloquant la construction d’un État unifié et fort en dépit de sa diversité ethnique, ceci dans l’intérêt de notre sécurité nationale ».

On comprendra donc pourquoi Israël, s’exprimant par la bouche de son Premier ministre Benjamin Netanyahou, a été parmi les tout premiers avec la France, le Royaume-Uni et l’Union européenne, les États-Unis, la Chine et l’Égypte, à reconnaitre officiellement le nouvel État du Sud Soudan. Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage… le but poursuivi depuis plus de soixante ans est en effet apparemment atteint : le Soudan se trouve aujourd’hui amputé du Sud, viendra ensuite le Darfour, puis les régions riveraines de l’Océan Indien ! Apparemment seulement parce que dans le domaine mouvant de la géopolitique, les succès se convertissent souvent en déboires tant le torrent des forces sociales et historiques parait impossible à maîtriser… Surtout pour les apprentis sorciers qui se sont si lamentablement enlisés en Mésopotamie, en Asie Centrale et en dernière date, quelque part du côté de la Tripolitaine !

*« Israël et le Mouvement de libération du sud du Soudan » 2002 Centre de recherche sur le Moyen-Orient et sur l’Afrique - Université de Tel-Aviv.

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