Dette aux Etats-Unis : pourquoi le 14e amendement pourrait sauver le pays
Avec un Congrès dans l’impasse et ne parvenant pas à voter la hausse du plafond de la dette pour assurer le fonctionnement de l’Etat, le gouvernement envisage l’utilisation d’un outil controversé.
La secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen a évoqué lors de la réunion des ministres des Finances du G7, le 11 mai 2023 au Japon, la possibilité d’user du 14e amendement de la Constitution.
Les États-Unis pourraient être en défaut de paiement dès le 1er juin, sans accord pour relever le plafond de la dette. Le gouvernement envisage plusieurs solutions pour éviter un tel scénario. Parmi elles : le recours au controversé 14e amendement.
Ajouté à la Constitution américaine après la guerre de Sécession, en 1868, l’article 4 de cet amendement stipule que « la validité de la dette publique des Etats-Unis, autorisée par la loi, ne doit pas être remise en question ». Autrement dit : les dépenses déjà votées doivent pouvoir être honorées, que le plafond de la dette soit dépassé ou non. Il avait été créé à l’époque pour éviter aux législateurs du sud de saboter l’union fédérale américaine en répudiant la dette fédérale créée par la guerre.
Selon la théorie de certains économistes, l’utilisation du 14e amendement signifie que le département du Trésor pourrait continuer à emprunter de l’argent au-delà de la limite, en émettant de la dette fédérale pour assurer le financement des opérations gouvernementales. Pour ce faire, Joe Biden devrait simplement demander à la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, de continuer à émettre cette dette si nécessaire pour payer les factures de la nation. Cela reviendrait à donner au président le pouvoir de faire abstraction du plafond de la dette, sans demander son avis au Congrès.
Contradiction dans la loi
Il est « juridiquement discutable » de savoir si cette stratégie est viable ou non, avait relevé Janet Yellen, jeudi 11 mai, lors d’une conférence de presse en marge de la réunion du G7 au Japon. En effet, emprunter au-delà de la limite d’endettement fixée par le Congrès irait à l’encontre de la loi. Mais ne pas respecter les obligations de dépenses édictées par le Congrès pourrait être une violation plus grave encore.
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Cette contradiction dans la loi existe car le 14e amendement a été créé bien avant la naissance du plafond de la dette, ajouté à la Constitution en 1917. Dans le passé, d’autres administrations, par exemple celle de Barack Obama, ont également envisagé un recours 14e amendement, mais l’ont jugé irréalisable. Et n’ont jamais eu à poursuivre cette piste puisque le Congrès a toujours agi à temps, pointe la chaîne américaine CNN.
« Toute option d’agir sans le Congrès serait probablement soumise à une contestation judiciaire immédiate par les républicains en tant qu’abus de l’autorité exécutive », estime le quotidien américain le Washington Post, qui rapporte les craintes d’élus ainsi que de conseillers de la Maison Blanche.
Des investisseurs dans le flou
Le président américain Joe Biden et le patron républicain de la Chambre des représentants Kevin McCarthy, qui se sont entretenus mercredi, doivent de nouveau se rencontrer en « début de semaine prochaine » pour échanger à ce sujet. Janet Yellen a néanmoins assuré ne pas vouloir en arriver à devoir réfléchir aux alternatives au relèvement du plafond de la dette.
Les marchés, qui détestent l’incertitude, apprécieraient assez peu celle qui découlerait de cette situation. Selon l’économiste d’Oxford Economics Nancy Vanden Houten, le risque est que les investisseurs « anticipent que la dette vendue par le Trésor pourrait, plus tard, être considérée comme invalide en raison d’une décision de justice », indique-t-elle à l’AFP. Et donc qu’ils soient réticents à l’acheter, ou bien qu’ils n’exigent des taux d’intérêt bien plus élevés, entraînant une flambée des coûts d’emprunt fédéraux et faisant grimper les taux d’intérêt d’autres prêts.
Pour les investisseurs et le gouvernement, cela reviendrait à un coup de poker si l’affaire était portée devant un tribunal. Une confirmation de la légalité de l’opération aurait ainsi des effets positifs à long terme, permettant même d’en finir de manière permanente avec l’inexorable relèvement du plafond de la dette américaine, qui place le gouvernement au bord du défaut de paiement depuis plus de dix ans. Mais en cas de condamnation de la manœuvre, les dommages économiques seraient considérables pour le gouvernement et les investisseurs.
Selon le chercheur de l’American Enterprise Institute Philip Wash, invoquer le 14e amendement ouvrirait également la porte à un abus potentiel du pouvoir présidentiel en permettant à l’exécutif de contourner le Congrès. Et cela pourrait mettre fin à la capacité des législateurs de négocier avec le président sur le plafond de la dette, a-t-il indiqué à CNN.
D’autres propositions unilatérales étudiées en interne mais prises moins au sérieux, selon le Washington Post, incluent l’émission d’obligations qui n’arrivent jamais à échéance, et donc techniquement ne comptent pas dans la limite d’emprunt, ou la frappe d’une pièce de platine de 1 000 milliards de dollars à déposer à la Réserve fédérale. Mais comme pour le 14e amendement, les responsables de l’administration pensent que ce type de mesures pourrait se retourner contre eux.