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L’ex 14e province d’Iran : Bahreïn

Pierre Dortiguier

mardi 15 mars 2011

La plèbe au travail : l’exemple bahreïni !

Un monde stupéfait assiste à des révolutions annoncées qui se terminent en échos de révolte, en soubresauts sanglants où des morts s’alignent sans qu’il y ait d’ébranlement de la base de l’Etat, comme le Yémen en donne la preuve. Le cas d’école restera Bahreïn où la répression fut une fusillade des manifestants par des forces de l’ordre instruites par des experts étrangers au pays. Ce pays, chacun le voit, est la base de la cinquième flotte états-unienne et une sorte de pistolet braqué contre l’Iran. La formule de la docilité du gouvernement est connue : il s’agit de rendre l’Etat ingouvernable, en le confiant à une minorité de fait, en l’occurrence une famille sunnite contre une population chiite dont le lien avec l’Iran est historique.

Comment se maintient cette couche de dirigeants ? Par la voyoucratie dont le dernier exemple aura été l’attaque d’étudiantes bahreïnis du Centre d’études anglaises par des jeunes gens et des auxiliaires de la police en civil qui, brandissant le portrait du Premier ministre en poste depuis 1971, ont attaqué et dévasté le local universitaire, au point que les garçons ont dû former un corps de protection de ces filles apeurées.

La direction, dit-on, était chiite ? Autant s’étonner qu’une institution corse soit catholique ! Mais sous le voile de cette attaque et de ces saccages de locaux nous reconnaissons la patte du chat qui se glisse pour attraper les souris, et celle des conseillers en communication répressive, si l’on veut ainsi désigner ce laboratoire que constitue le monde arabe pour les maîtres de la révolution permanente ou du chaos minimum qui animent ces « troubles ».

Pourquoi Bahreïn est-il la clef des troubles actuels ? Parce que dans l’ouragan que l’on nous présente, dévastateur des oligarchie arabes, il est l’œil immobile du cyclone, ce qui désigne l’intouchable présence du cerveau qui entend mesurer la sensibilité des pays à l’entour qu’il réajuste à sa politique impériale : « Rome n’est plus dans Rome, elle est toute où je suis. » [1]

Cela désigne l’âme du corps états-unien qui est étendue comme un fantôme à l’extérieur du continent, hors de son corps naturel, et forme une entité multipliant ses pentagones parmi les pays entraînés à un soulèvement contre ses propres dirigeants, surtout lorsqu’il s’agit de plier ces derniers aux injonctions nouvelles de la politique états-unienne d’encerclement et d’étouffement du voisin iranien.

Le différend anglo-iranien et la prise de Bahreïn en 1906.

Une citation de Winston Churchill devant le Parlement en 1913, du temps où il était Premier Lord de l’Amirauté renseignera sur les intentions britanniques : « Le but final de notre politique est de faire de l’Amirauté le propriétaire et le producteur indépendant du pétrole dont elle a besoin. »

« On ne pouvait être plus clair. A la fin de la première guerre mondiale, la production du seul bassin de Masjed-Soleimann dépassait le million de tonnes, et les deux millions étaient atteints en 1922. La courbe allait régulièrement croître au fils des années. » [2] L’auteur défunt de ce commentaire, petit-fils de l’ambassadeur de Perse à la Cour de Russie, présente ainsi la question de Bahreïn, dont la signification géopolitique est invariable depuis ce temps qui n’est reculé qu’au regard de la sensibilité et non de la raison humaine : « Le différend pétrolier anglo-iranien ne fut pas la seule question délicate qui opposa dans l’entre-deux guerres les gouvernements de Londres et de Téhéran. Il y avait également la fameuse affaire des îles Bahreïn, sises dans le golfe Persique, riches en pétrole et considérées aujourd’hui encore par les Iraniens comme partie intégrante de l’Iran ; elles constituent d’ailleurs, du point de vue administratif la 14e province iranienne. Depuis 1906, profitant de la faiblesse des gouvernements qui se succédèrent sous Mozaffar-ed-Din Shah, puis sous Mohammad-Ali Shah, les Anglais avaient placé cette île sous leur protectorat. Afin de faire valoir les droits iraniens sur Bahreïn, le gouvernement de Reza Shah saisit à plusieurs reprises entre 1928 et 1936 la Société des Nations de cette affaire. Ces tentatives n’ont jamais abouti et le problème reste entier aujourd’hui encore . » [3]

Le sens de la révolte arabe ou la ruse de l’Histoire.

La perplexité dont font preuve les experts européens, hormis MM. Cameron et Sarkozy, envers le mouvement initié en Tunisie et qui entraînerait par un effet de dominos l’ensemble de cette nation arabe supposée, repose sur un antécédent : la dernière révolte de 1915, sous l’égide de Mac Mahon, depuis le Caire, conduisit au renforcement de l’emprise anglo-américaine, et à cet égard la politique des Berlusconi ou de l’Europe traditionnelle, autour de l’axe allant du Benelux à l’Italie du Nord, marquée par les déclarations d’un Yves Leterme, ministre des Affaires Etrangères du Royaume de Belgique ou de la Hollande bientôt reconstituée comme avant 1830, ne veut pas s’engager dans une stratégie contraire aux intérêts à long terme de l’Europe réelle.

Bien sûr le temps n’est plus exactement celui où la compagnie aérienne allemande Junkers assurait de 1927 à 1932 la quasi totalité du trafic aérien à l’intérieur de l’Iran, où le gouvernement iranien chargeait en 1927 un expert financier comme le dr. Boetzke puis le dr. Lindenblatt convaincu plus tard d’affaires frauduleuses et qui dut quitter le pays, d’organiser la Banque nationale (Melli Iran) qui venait d’être fondée [4].

Mais l’Europe a ses intérêts naturels, tout comme l’Iran, tout comme la population de Bahreïn, et c’est pour empêcher la croissance de ce lien naturel, pour affaiblir les pays européens et l’Iran, que le chaos est maintenu avec renversement ou pression sur des dirigeants arabes qui ne voudraient pas se lancer dans la nouvelle campagne anglo-américaine, tout comme leurs pères étourdis avaient obéi aux injonctions de Londres et du Caire occupé contre l’Empire ottoman.

La ruse de l’Histoire est que le tableau de l’avant-scène qui est représenté, celui d’une marche vers la liberté est en réalité l’exercice d’une double répression, contre les populations, ainsi que le démontre ce qui se passe à Bahreïn et au Yémen notamment, et aussi contre les dirigeants indociles auquel le sort de Ben Ali est promis ! Ce dernier et son équipe ont été dégagés par les Etats-Unis non parce qu’ils étaient trop, mais pas assez soumis aux injonctions stratégiques, notamment anti-iraniennes et anti-européennes et manifestaient des velléités d’autonomie, d’où l’accusation de tyrannie lancée par Obama contre le général exilé de force.

Et la pression se prolonge sur tous les dynastes qui pourront se racheter s’ils montrent du doigt l’antre de la Bête, celle qui a tant de fois failli manger la liberté anglaise, et recevait en 1939 -à l’université de Téhéran-7500 volumes dans la langue et souvent l’esprit même de Martin Heidegger. Voyez que l’on a le droit de s’inquiéter et de demander à nos laboratoires de l’agitation une recette pour maintenir la jeunesse arabe dans un état d’inquiétude. Qu’elle revendique, pourvu qu’elle craigne l’Iran et ceux qui freinent le gouvernement global.

Dernière question : a-t-on effectivement consulté par référendum la population de Bahreïn pour son indépendance en 1971 ? A votre avis ?

Notes

[1Corneille, Sertorius, 1662, III, 1

[2Freidoune Sahebjan, « L’Iran des Pahlavis », Berger-Levrault, 1966,405 pp., p. 85

[3ibidem, p. 87

[4Sur la popularité continue, économique et culturelle, de l’Allemagne en Iran depuis 1873, cf. http://www.iranica.com/articles/ger... et à propos du lycée allemand de Téhéran « In the late 1960s and early 1970s this school became extremely popular with Persian students, including those without any German background at all.  »

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