Geopolintel

Le désordre organisé, démocratie et corruption.

Pierre Dortiguier

dimanche 21 novembre 2010

« Un membre du Parlement anglais a laissé échapper dans l’emportement : tout homme a un prix auquel il se laisse acheter » Kant

Une inspiration réformatrice chrétienne de la vie politique.

L’expression française de « Désordre organisé » est d’inspiration chrétienne et philosophique, puisqu’elle vient du fondateur grenoblois de la revue Esprit, Emmanuel Mounier (1905-1950) que peu de professeurs citent encore, et qui fut à la tête du personnalisme. Ce mouvement de réforme voulait donner, après la première guerre mondiale, une âme à la vie politique, ou mieux, selon les termes par lesquels Rousseau avertit, au livre quatrième de l’Emile, du danger qui mine les régimes en place : « Ceux qui voudront traiter séparément la politique et la morale n’entendront jamais rien à aucune des deux ». Ce sont deux piliers d’un effort commun, interne et externe, semblable, selon une métaphore favorite de cette génération qui idéalisait l’architecture spirituelle, à l’arc-boutant des cathédrales. Bien sûr, le Grenoble d’Emmanuel Mounier n’était pas celui d’aujourd’hui et il n’eût pas reconnu sa ville devenue plaque tournante des vices de notre civilisation, mais aussi un centre, scientifique plus encore qu’artistique, universitaire international de bonne réputation.

Ngô Đình Diệm (1901-1963) disciple d’Emmanuel Mounier et martyr.

Son disciple et patriote déclaré fut le premier Président de la République du Vietnam à partir de 1955, et dont l’esprit d’indépendance causa la chute, étant tombé sous les coups des agents des américains à Saïgon, ceux-ci préférant corrompre la liberté et donner aux communistes le privilège de la lutte nationale ainsi amoindrie par la lutte des classes permanente ou la jalousie sociale, faiblesse chronique d’un pays égalitaire de nom. Chacun sait que nous parlons de la ville dite d’Hô Chi Minh, surnom porté par Nguyễn Sinh Cung, leader marxiste-léniniste et ancien correspondant de l’espionnage U.S. contre les japonais pendant les années quarante. A cet égard n’oublions pas que celui qui proclama l’indépendance au pays et le tira de la servitude coloniale fut l’Empire japonais en 1945.

Ngô Đình Diệm et Henry Cabot Loge

Contre Ngô Đình Diệm et ses frères, dont l’un était l’archevêque de Hué et l’autre formé à l’école du nationalisme européen, qui voulut rétablir un ordre moral au Sud Vietnam en réprimant drogue, prostitution, etc, l’administration Kennedy, avec son représentant Henry Cabot Loge (1902-1985), fit se soulever les bouddhistes sous prétexte de résistance à une politique catholique et le caractère spectaculaire en fut l’immolation des bonzes. Une des voix les plus éloquentes pour faire entendre cette corruption comme le terreau de la politique de désordre organisé aboutissant au monde de la stagnation présente, fut l’aussi belle qu’instruite et fidèle femme du Président. Seul un frère survécut, l’archevêque de Hué qui termina ses jours en France, près de Montauban, en odeur de sainteté.

La mort de deux frères exécutés dans le dos, et celle du Président sur son trajet de prisonnier à la base militaire, ouvrit la porte au protectorat américain. Le gain en fut pour les États-Unis que les patriotes grossirent les rangs des communistes, sous un Front Patriotique en permettant de ruiner ainsi toute énergie nationale dans une géopolitique asiatique autonome.
Ce crime politique ordonné par le protectorat U.S. contre le Ceaucescu asiatique s’est produit le 1er novembre 1963. Et de manière identique. Une rafale et votre compte en banque est approvisionné, celui de l’État en revanche est vidé ! Vietnam, Roumanie, demain... Iran, aujourd’hui Irak, Afghanistan, même combat, disent les révolutionnaires de profession. C’est cela le désordre organisé.

L’Américanisme, hérésie oubliée des Catholiques.

Quiconque retourne à Jean-Jacques Rousseau – à moins d’être de la secte des Illuminés de l’École de Francfort stipendiée par les États-Unis, comme l’aura été le fonctionnaire U.S. Herbert Marcuse (1898-1979), pour meubler les cerveaux aux lignes du design que vous observez quotidiennement dans votre presse, ou même en déambulant dans nos rues, en respirant l’odeur de nos entreprises et l’esprit des sociétés - ne peut qu’approuver ces lignes sur l’égoïsme de ceux qui nous gouvernent et nous défendent démocratiquement. Parlant des polonais qu’il entend éduquer ainsi, le philosophe genevois écrit : « Vous développerez en eux ce levain qui n’est pas encore éventé par des maximes corrompues, par des institutions usées, par une philosophie égoïste qui prêche et qui tue...  » et de préciser dans un avertissement : «  sans ces précautions n’attendez rien de vos loi s : quelques sages, quelques prévoyantes qu’elles puissent être, elles sont éludées et vaines ; et vous aurez corrigé quelques abus qui vous blessent, pour en introduire d’autres que vous n’aurez pas prévus.  » [1]

C’est de cette «  philosophie égoïste qui prêche et qui tue », selon la rhétorique rousseauiste, qu’est constituée cette déviation que le Pape Léon XIII entend par Américanisme, dans sa Lettre à l’archevêque de Boston [2]. Il s’agit évidemment d’une défense des vertus religieuses que des opposants américains estiment passives, alors que seule la vertu active est digne d’intérêt, selon l’esprit de la société nouvelle. Le Pontife répond par le bon sens que toute vertu est active puisqu’elle repose sur une décision du libre-arbitre. Mais pour nous l’intérêt est dans la description de ce qu’est l’Américanisme, et c’est une citation traditionnelle qui le fixe à notre attention, à présent que le monde rechercherait, selon Zbigniew Brjezinski, le leadership des États-Unis : « Cette surestimation (over-esteem) », d’après Léon XIII que nous citons en sa version anglaise, « de la vertu naturelle trouve une méthode d’expression dans l’entreprise de diviser toutes les vertus en actives et passives, et que l’on prétend que tandis que les vertus passives trouvaient une meilleure place dans les temps passés, notre âge doit être caractérisé par l’active.[sous entendu : la vertu]. Qu’une pareille division et distinction ne puisse être maintenue est patente car il n’y a pas, il ne peut y avoir, de vertu passive ».

Cette surestimation donc de certaine vie active, artificiellement détachée de l’ensemble des facultés humaines, est mentionnée ici comme toile de fond de la corruption nécessaire à la marche de ce type de société. Le pape juge que la société américaine ainsi définie par elle-même est privée d’une grâce supérieure et quelques lignes plus haut cite une phrase d’un Père de l’Église que la tradition nomme saint Augustin : «  Extraordinaire est la force, et rapide le cours, mais hors du vrai chemin ».

Trouverions-nous présentement une analyse de la sorte ? Aucunement. On dénonce les excès sexuels comme la pédophilie, les perversions, comme des occasions de scandale et d’agitation ruinant une bonne réputation ; mais c’est entre l’être et le paraître que s’écoule une inévitable corruption que chacun peut lire, éprouver ou supposer bien plus élevée que ce qui lui en est dit. Mais quant à découvrir l’espace de cette scène, il n’en est point question, à vouloir rester « politiquement correct ».

Exemple de corruption des Grands de l’Europe.

De Gaulle était probe, reconnaissent ses adversaires, le Maréchal, son parrain militaire aussi. Et la liste n’est pas exhaustive. Tout le monde ne peut évidemment, comme tel chef d’État dormir avec une relique du bras de sainte Thérèse d’Avila dans sa chambre ! Il est également difficile en visitant le palais d’été de Bad Ischl, près de Salzbourg, comme nous eûmes l’occasion avec l’Archiduc d’Autriche Markus Salvator, et en voyant le lit de camp où dormait l’Empereur après l’assassinat de sa femme par un « anarchiste » bien préparé, que cet illustrissime Autrichien eût pu être corrompu. Assassiné oui, comme ce fut le cas pour ses deux héritiers, au village de Meyerling le 30 janvier 1889 et à Sarajevo, ce pétard qui fit exploser le monde. Le premier maquillé en suicide, son garde-chasse croate étant mort accidentellement après la guerre à Zagreb ! Le second reconnu et honoré par la visite de François Mitterrand en Bosnie. Remarquez bien qu’il y a deux mesures dans les jugements des puissants du jour, puisque le « Serbe » Gavrilo Prinzip, athée, vit sa peine commuée en quelques années de prison et termina son existence brûlé par la tuberculose cependant que celui qui prit le surnom de Tarak Aziz, assez malade, de rite assyrien, n’aura pas le même destin !

Nous ne voulons pas opposer une dynastie républicaine à une monarchique, ni ironiser facilement sur ce mot du ministre, Président du Conseil et deux fois maire de Lyon Édouard Herriot, que nous redisait au lycée Henri IV le professeur de philosophie et médecin Henri Dreyfus-Le Foyer : «  Je vous le dis le cœur sur la main », à quoi quelque conservateur lui rétorqua : « Mais on a deux mains ! ». Ce préliminaire étant accordé, nous allons passer en revue quelques personnalités de la construction européenne qui n’ont point pu arrêter le mouvement d’une main désireuse de puiser dans le cours américain, fût-il, «  hors du vrai chemin . »

Ambrose Evan Pritchard

Les documents déclassifiés U.S. sont ainsi autant de révélation sur le soutien accordé par l’administration à Paul-Henri Spaak (1899-1972) père de la célèbre artiste Catherine Spaak, avocat de l’Europe supranationale qui dit ainsi, en novembre 1957, la main certainement sur le cœur et l’autre occupée, en qualité de Secrétaire général de l’OTAN combien le rapport « des trois sages » le satisfait : «  par ce qui a été dit par les trois Sages d’abord, par la dernière phrase du rapport, dans son paragraphe I, du rapport que je commande, il est fait allusion à la nécessité pour l’OTAN d’adopter une politique mondiale, ce qui implique pour les petits pays ou pour les pays moyens des responsabilités tout à fait nouvelles auxquelles ils vont devoir s’adapter et, pour eux aussi, cela représente quelque chose de complètement différent de ce qu’ils ont l’habitude de faire. Je m’empresse aussi, je crois devoir le faire, de souligner cette expression « une politique mondiale », c’est ce que les rapporteurs semblent réclamer c’est peut-être ce que vous confirmerez ».

Est-ce que le Premier ministre de Belgique s’exprime librement ou servilement ? Comment pourrait-il être libre si l’on en croit le document U.S. : il est dû au journaliste américain et entré au Daily Telegraph en 1991, Ambrose Evan Pritchard : «  Les chefs du mouvement européen (European movement) Retinger, le visionnaire Robert Schuman et l’ancien Premier ministre de Belgique Paul-Henri Spaak étaient tous traités comme des mercenaires (fhred-hands) par leurs sponsors américains. Le rôle américain était joué grâce à une opération de couverture. Les fonds de l’ACUE venaient des fondations Ford et Rockfeller aussi bien que de groupes d’affaires, aux liens étroits avec le gouvernement américain. » [3]

Pierre Dortiguier pour Geopolintel

Notes

[1Jean-Jacques Rousseau : Considérations sur le Gouvernement de Pologne et sur sa réformation projetée en avril 1772, etc., chap.IV, Éducation.

[2Encyclique, « Testem nostrae benevolentiae », « témoin de notre bienveillance », du 22 janvier 1899, « en ce qui concerne les opinions nouvelles, la vertu, la nature et la grâce, à propos de l’Américanisme ».

[3« The leaders of the European Movement - Retinger, the visionary Robert Schuman and the former Belgian prime minister Paul-Henri Spaak - were all treated as hired hands by their American sponsors. The US role was handled as a covert operation. ACUE’s funding came from the Ford and Rockefeller foundations as well as business groups with close ties to the US government. » Daily Telegraph, 19 septembre 2000.

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