Geopolintel

« Iran : minorités nationales, forces centrifuges et fractures endogènes »

Octobre 2009 in « Maghreb-Machrek »

jeudi 15 juillet 2010

Voici un article de Jean-Michel Vernochet, déjà publié sur Geopolintel, que nous vous proposons en version intégrale cette fois et qu’il nous a semblé utile de nous remémorer en ces temps de « bruits de bottes » insistants.

À peine deux semaines avant les élections présidentielles controversées du 12 juin 2009, un attentat frappait en Iran, le 28 mai, une mosquée chiite de la ville de Zahedan, chef-lieu de la province du Sistan-Balouchistan jouxtant la frontière afghano-pakistanaise, faisant quelque 19 morts et une centaine de blessés. Un événement qui venait à brûle-pourpoint rappeler à la Communauté internationale que la République islamique d’Iran n’est homogène ni confessionnellement ni ethniquement parlant et que ses minorités sont, parfois activement et souterrainement, travaillées par des courants irrédentistes dont l’existence et l’activisme suscitent bien des interrogations.

Un groupe sunnite revendique l’attentat dans le sud-est de l’Iran
De Nasser Karimi— (CP) –

TEHRAN, Iran — Le groupe sunnite Jundallah a revendiqué vendredi le double attentat contre une mosquée chiite qui a fait au moins 27 morts la veille au soir à Zahedan, dans le sud-est de l’Iran, affirmant avoir agi en représailles à l’exécution de son chef le mois dernier.

Abdulmalik Rigi a été condamné à mort et pendu en juin à Zahedan, un mois après son frère Abdulhamid Rigi. Le groupe s’est choisi pour nouveau chef al-Hajj Mohammed Dhahir Baluch. Jundallah, basé dans la province du Sistan-Balouchistan, à la frontière avec le Pakistan, dit agir pour défendre la minorité balouche principalement sunnite dans ce pays à majorité chiite. Il est l’auteur de nombreux actes de violences ces dernières années, et notamment d’un attentat-suicide contre les tout-puissants Gardes de la Révolution qui a fait une quarantaine de morts en octobre. Le groupe s’en prend régulièrement à ces Pasdarans

Jeudi soir, un kamikaze déguisé en femme a fait exploser la première bombe devant la mosquée de Zahedan alors que les fidèles assistaient à des cérémonies du calendrier chiite, a déclaré un député local, Hossein Ali Shahriari, à l’agence de presse ISNA. La seconde explosion s’est produite alors que la foule accourait. Les djihadistes sunnites d’Irak utilisent fréquemment cette méthode en deux étapes pour faire autant de victimes que possible.

Plusieurs Pasdarans qui se trouvaient dans la mosquée ont été tués, selon le vice-ministre de l’Intérieur, Ali Abdollahi, cité par l’agence de presse Fars.

Le ministre de la Santé, Marzieh Vahid Dastagerdi, a fait état de 27 morts, soulignant que le bilan pourrait s’alourdir, étant donné que 270 personnes ont été blessées, dont onze grièvement. Jundallah a de son côté revendiqué plus de 100 morts dans un communiqué publié sur son site Web.

Des responsables iraniens ont de nouveau accusé les Etats-Unis et la Grande-Bretagne vendredi de soutenir Jundallah pour affaiblir le régime islamique, ce que Washington et Londres démentent.

La secrétaire d’Etat (Affaires étrangères) américain Hillary Rodham Clinton a condamné le double attentat « dans les termes les plus forts ». Le président américain Barack Obama a également condamné les attaques dans un communiqué, dénonçant un acte « intolérable » devant la mort de civils innocents sur leur lieu de culte. AP

st/v257/cr/v512

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  • Le Sistan-Balouchistan, l’une des principales voies de passage de l’opium afghan, est depuis plusieurs années le théâtre d’attaques terroristes de la part de sunnites appartenant aux Soldats de Dieu, les Jondallah en lutte pour l’indépendance de la minorité baloutche iranienne. Il est de ce point de vue tout à fait emblématique que cet attentat soit intervenu la veille de la commémoration en Iran de la mort de Fatima Zahara, fille de Mahomet, épouse d’Ali, premier des douze imams admis par le Chiisme comme successeurs du Prophète. Le 1er juillet, treize membres des Jondallah étaient pendus à la prison de Zahedan, qualifiés de « prisonniers politiques » par les grands médias occidentaux, certes moins regardants lorsqu’il s’agit opérations anti-taliban au Waziristân.

Déjà à Zahedan, en février 2007, la dissidence sunnite avait engagé les Gardiens de la révolution, tuant 13 d’entre eux. En avril 2008, un attentat (non revendiqué ?) avait causé la mort de 14 fidèles dans une mosquée de Chiraz, l’une des villes les plus importantes d’Iran, pourtant éloignée de toute frontière. A l’occasion de chacun de ces épisodes sanglants, les autorités iraniennes ne manquent pas d’accuser les États-Unis et la Grande-Bretagne, suspectant tour à tour chacun de ces pays quand ce n’est pas les deux d’en avoir été les instigateurs directs ou indirects.

Qu’elles soient fondées ou infondées, ce qui est certain, c’est que ces accusations sont là et qu’elles constituent un élément récurrent du discours iranien. Un élément d’autant plus structurant qu’il opère aussi à usage interne sur la toile de fonds d’un paysage politico-ethnique complexe marqué par l’existence de forts clivages susceptibles de servir à tout moment de prise et de support aux tentatives de manipulation et de déstabilisation imaginées par des puissances étrangères. On ne saurait pour cette raison utilement aborder la question des minorités nationales d’Iran, sans la resituer dans un contexte géopolitique plus général. De ce point de vue, il faut garder présent à l’esprit le fait que l’Iran n’est pas seulement soumis, depuis 1979 et l’avènement de la Révolution islamique, à une sévère politique d’endiguement de la part des États-Unis et du Royaume-Uni, mais qu’il se trouve aujourd’hui aussi exposé à une menace plus ou moins précise d’intervention extérieure. Politiques de rétorsion en réponse au programme nucléaire iranien dont le caractère éventuellement militaire est réputé devoir constituer une intolérable menace régionale et au-delà, pour l’Europe et les États-unis ! Argument excessif qui s’est au demeurant quelque peu étiolé au fil du temps pour se muer en un autre, tout aussi contestable et biaisé, selon lequel l’acquisition de l’arme nucléaire par l’Iran enclencherait aussitôt un processus de prolifération régionale, l’Iran constituant un mauvais exemple à ne pas suivre pour la Turquie, l’Arabie saoudite, l’Égypte… nul n’osant évoquer la question pourtant cruciale de l’armement nucléaire israélien !

L’argument américain prétendant faire de la nucléarisation de l’Iran la principale menace pour la sécurité globale du monde tient d’autant moins qu’elle inverse en réalité les rapports de causalité. Le simple rappel des faits suffit du reste à le montrer. La politique américaine d’ostracisme et de diabolisation de l’Iran a commencé bien avant que l’Iran n’envisage, et a fortiori n’évoque, l’idée même de se doter d’armes de défense stratégiques, de type nucléaire. Dès 1979 en effet, alors même que la révolution iranienne n’est pas encore consommée et que le régime des mollahs n’est pas encore définitivement installé, les Américains engagent contre l’Iran une politique de blocus. Commencée avant même la prise d’otage des diplomates iraniens, cette politique de blocus progressif ne cessera de se renforcer au fil du temps pour s’institutionnaliser sous forme d’embargo économique adopté par Parlement américain le 8 août 1996 avec le vote de la loi D’amato-Kennedy [1]. La République islamique est alors déjà cataloguée comme État voyou à une époque où nul encore ne songe à dénoncer son projet nucléaire. La communauté internationale est du reste à l’époque d’autant plus discrète sur la question qu’elle sait les principales puissances occidentales largement impliquées dans la vente aux iraniens de programmes nucléaires civils. Dès 1975, Américains et Allemands [2] ont en effet engagé un partenariat avec l’Iran du Schah pour doter ce pays de la technologie nucléaire civile. Au moment du renversement de la monarchie Pahlavi, le programme sera du reste momentanément bloqué avant d’être relancé après 1979 en partenariat avec la Russie alors soviétique. Une dangerosité cependant hypothétique si l’on en croit les conclusions de la synthèse annuelle du Renseignement américain, le National Intelligence Estimate (NIE) [3], document rassemblant les analyses de quelque 16 agences fédérales, rendu public le 3 décembre 2007, rapport concluant que le développement du programme nucléaire militaire iranien est arrêté depuis 2003. Une information validée par les services de renseignements américains qui sont parvenus à pénétrer (hacker) les bases de données informatiques et les logiciels de simulation des centres de recherche nucléaire iraniens.

Les enjeux profonds de la politique d’émancipation énergétique de l’Iran ne sauraient en outre se laisser appréhender sur la seule base d’une prise en compte de paramètres purement géostratégiques ou militaires. En réalité cette politique s’inscrit également dans un dessein d’affirmation patriotique et de consolidation nationale face aux forces centrifuges internes qui traversent et secouent par épisode le pays. Face aux menaces d’intervention et aux diverses pressions extérieures d’ordre économique et financier, lesquelles obèrent lourdement la gestion des affaires intérieures iraniennes en particulier dans le domaine économique et social – ce que les commentateurs semblent oublier trop souvent – il convient de rappeler que l’Iran doit également faire face à d’autres défis plus proches car situés sur sa propre périphérie intérieure, ceci en matière de sécurité et de stabilité.

Certaines régions plus ou moins excentrées et abritant des minorités ethniques ou éventuellement religieuses (sunnites) représentent en effet, depuis quelques années, des foyers de troubles la plupart du temps sur fond de revendications séparatistes. Des forces centrifuges plus ou moins actives mais en tout cas latentes qui pourraient constituer un outil de déstabilisation du pouvoir central en cas de crise. Il est à remarquer que si la contestation des élections présidentielles de juin a été essentiellement cantonnée à Téhéran à l’exclusion de la province, l’attentat de Zahedan [4] un mois auparavant peut apparaître comme l’un des signes précurseurs, l’un des symptômes, d’une sourde fermentation, d’une « agitation » dont le caractère spontané resterait à explorer.

Certes le Baloutchistan, région tribale à cheval entre l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan, n’a guère besoin de sollicitation extérieure pour s’enflammer. Théâtre permanent de la guerre opposant forces légales iraniennes [5] et trafiquants de drogue, territoire répondant précisément à ce que criminologues et géostratéges identifient comme une zone grise. Ce serait pourtant à tort que l’on ferait l’impasse sur la dimension « géopolitique » du dernier épisode terroriste de Zahedan survenu exactement une semaine après une rencontre à Téhéran des chefs d’État iranien, pakistanais et afghan ayant eu pour objet la mise sur pied d’une lutte conjointe contre le trafic de drogue et le terrorisme.

En avril 2007 déjà, la chaîne de télévision américaine ABC diffusait un reportage à propos du Jondallah, lequel venait de perpétrer un attentat meurtrier quelques semaines auparavant (voir supra) toujours au Sistan-Balouchistan, reportage visant à établir que les actions des islamistes de la Brigade divine participaient d’un plan de déstabilisation impliquant le Pakistan, celui-ci agissant en concertation avec Washington. Un accord serait intervenu à cet effet à l’issue de discussions s’étant déroulées à Islamabad entre Dick Cheney, vice-président des États-Unis, et le Président pakistanais, Pervez Musharraf.

Ainsi, force est de constater que l’émergence de divers mouvements de contestation au sein des minorités nationales iraniennes (Azéris, Kurdes, Arabes, Baloutches) se manifeste via une floraison d’organisations politiques dont beaucoup ont leur siège à Londres. Nombreuses sont également celles qui apparaissent soutenues par tel ou tel think-tank néoconservateur de Washington comme l’American Enterprise Institute for Public Policy Research (Institut de l’entreprise américaine pour la recherche sur les politiques publiques). Des organisations agissant, à l’instar de diverses «  fondations pour la démocratie » associées, partenaires ou relais de groupes de pression politiques, militaires et industriels qui ont promu au cours de la dernière décennie diverses révolutions colorées sur un vaste arc géographique allant des Balkans à la Kirghizie…
Mentionnons ici le congrès des nationalités qui avait rassemblé à Londres le 20 février 2005, les représentants de sept organisations appartenant aux différentes « nationalités » iraniennes pour se concerter sur les voies et moyens de conduire ensemble un combat pour la démocratie et faire avancer le droits des minorités ethniques notamment par l’établissement d’un système fédéral démocratique en Iran.

À cette conférence, qui aboutit à la création d’un « Congrès des Nationalités iraniennes pour un Iran fédéral », participaient le Parti Démocratique du Kurdistan et le Parti Komala pour le Kurdistan iranien, le Front Uni du Baloutchistan d’Iran, le Parti du Peuple Baloutche, le Parti de la Solidarité Démocratique d’Ahwa (Khouzistan), le Mouvement Démocrate Fédéraliste d’Azerbaïdjan, l’Organisation pour la Défense des Droits du peuple turkmène

Le 26 octobre suivant, dans la même optique, l’American Enterprise Institute, réunissait, sous la houlette de Michael A. Leeden (dont le nom avait déjà été associé à l’Irangate) et sur le thème de The Unknown Iran : Another Case for Federalism, les « représentants » (la question de leur représentativité restant du domaine de l’indécidable) de formations activistes plus ou moins ouvertement séparatistes de chacune des minorités nationales iraniennes. Étaient ainsi présents le Baluchistan United Front, le Democratic Solidarity Party of Al-Awhaz, le Democratic Party of Iranian Kurdistan et enfin l’Azerbaijan Societies of North America. Les porte-parole en exil des Baloutches, Kurdes, Turkmènes, Azéris et Arabes se seraient alors accordés sur une plate-forme commune sous la forme d’un « Manifeste pour un Iran fédéral, démocratique et laïque ».

En outre, selon Reuel Marc Gerecht, Director of the Project for New American Century’s Middle East Initiative, membre actif de l’American Enterprise Institute et ancien spécialiste du Proche-Orient à la CIA, des fonctionnaires du Département d’État auraient à cette occasion approché certains participants de ce Congrès. Dans le même ordre d’idée, le Président du Front démocratique populaire d’Ahwaz, militant de l’émancipation du Khouzistan, aurait, en avril 2005, rencontré à Londres Jack Straw, ministre britannique des Affaires étrangères, alors même que des troubles de développaient dans la province… Une région d’intérêt géoéconomique majeur en raison de ses gisements d’hydrocarbures (voir infra). À Washington, un autre représentant du même Front du Khouzistan reçu à la Maison-Blanche aurait eu accès pour sa part aux conseillers du Président Bush, précisément le 23 avril 2005.

En 2006, la Capitale fédérale américaine accueillait à nouveau le « Congrès Nationaliste Kurde », le « Groupe Komaleh » kurde, le « #Parti du Peuple Baloutche », la «  Mission démocratique d’Azerbaïdjan », organisations dont le degré de représentativité resterait là encore à établir. Une conférence parmi beaucoup d’autres, pour ne pas dire marginale mais qui est cependant de facto indicative quant au désir des cercles décisionnaires américains de faire avancer leurs pions sur l’échiquier de ce Grand Orient démocratique et communautariste autrement appelé Greater Middle East Initiative. Une nouvelle carte de l’Orient redessinée en suivant les contours des communautés ethniques et/ou confessionnelles…

Plus récemment encore, une conférence sur le thème de l’« Azerbaïdjan et l’Ouest : Partenariat Stratégique au Carrefour Eurasien » s’est tenue le 14 mai 2009 à Washington avec le soutien de la Fondation Jamestown. Manifestation où la Russie et sa politique dans le Caucase n’a pas été la seule à être placée sur la sellette, l’Iran y ayant également été au centre des discussions sur fond de projet d’alliance stratégique - l’un des sujets de la rencontre - entre Bakou et Tel-Aviv sur le modèle de celle déjà en vigueur entre Ankara et l’État hébreu.

Armed Forces Journal juin 2006 [6]

L’idée d’un redécoupage de la région est vulgarisée dès les années 90 dans la presse main stream américaine : le 12 septembre 1996 Jim Hoagland publie un éditorial dans l’International Herald Tribune au titre évocateur « The world would be better off with a downsized Iraq » dans lequel il soutien que “le temps est venu… pour Washington de ne plus considérer l’intégrité territoriale de l’Irak comme une valeur de référence”. Quelques jours plus tard, le 21 septembre 1996, toujours dans l’International Herald Tribune, Stephen Rosendfeld développe la même idée en commentant dans «  The idea of helping Iraq to break up has its merits » une analyse de Daniel Byman, un chercheur du MIT parue dans National Interest selon laquelle le « démembrement de l’Irak en trois entités » serait quelque chose « d’éminemment souhaitable ». Si l’Iran ni la Turquie ne sont pas directement nommés, ces deux États, par voie de conséquence, sont évidemment concernés. Un grand dessein qui n’est actuellement plus guère ouvertement évoqué dans le contexte du fiasco irakien, mais qui, n’en doutons pas, poursuit souterrainement son chemin. Un recul marqué par la volte-face inattendue des Services de renseignements américains qui ont inopinément dégonflé la baudruche d’une menace imminente de la part de l’Iran (cf. supra). Une défaite ou un recul, réel ou en tout cas apparent, du « parti » des interventionnistes naguère regroupés pendant la présidence de GW. Bush autour de la figure de proue du vice-président Dick Cheney. [7]

Cartographie du redécoupage du grand Orient suivant des tracés ethnoconfessionnels

La question iranienne et celle de ses minorités ne peuvent finalement guère être appréhendées, hier comme aujourd’hui, sans tenir compte des enjeux géostratégiques liés à la domination de l’espace géographique s’étendant de l’Atlantique (le Maroc) à l’Indus (le Pakistan), contrôle hégémonique passant par la normalisation de cet espace géopolitique en termes d’institutions (démocratie parlementaire), de normes sociétales (droits de l’homme et surtout de la femme, économie de marché et libre concurrence). Des enjeux aussi multiples que complexes qu’on ne peut cependant réduire à une simple question de concurrence énergétique, soit à la seule mainmise sur les ressources d’énergies fossiles et les couloirs d’acheminement par oléo ou gazoducs… même si ces questions jouent – évidemment - un rôle central dans ce nouveau Grand Jeu qui oppose les États-Unis à ses rivaux de l’Hearthland eurasiatique, la Russie et la Chine [8].

L’encerclement (containment) du bloc sino-russe entre en effet largement en ligne de compte (et constitue par exemple la clef de lecture de la question baloutche) et s’inscrit dans une vision à plus long terme de concurrence voire de guerre civilisationnelle, économique et politique. Or, pour autant que la chose soit rarement ou non explicitement évoquée, cette dimension architectonique de la politique diplomatique et militaire est de toute évidence surdéterminante. Un fait, sur la longue durée contemporaine, lisible sur n’importe quelle carte. Et ce fait, à lui seul, éclaire la politique subtile de Wladimir Poutine qui, à l’automne 2007, immédiatement après la publication du rapport du NIE (voir infra) s’est aussitôt engouffré dans l’ouverture ainsi créée en livrant quelques jours plus tard l’uranium nécessaire à la mise en route de la centrale de Bouchehr implantée à proximité du Chiraz.

Se surajoute aux raisons géostratégiques stricto sensu l’investissement de nouveaux espaces au commerce transcontinental en vue de l’achèvement de l’unification et de l’homogénéisation des marchés au niveau mondial. Reste que dans l’esprit des stratèges washingtonniens, c’est l’exportation de la démocratie libérale sur le modèle américain, communautariste et décentralisé, qu’il s’agit de promouvoir (l’on parle beaucoup du pouvoir présidentiel américain, mais en réalité, le dernier mot n’appartient-il pas au Congrès ?). Cela doit s’accompagner, ou ne peut apparemment se réaliser, sans procéder au préalable au démembrement des États-nations (comme ce fut le cas – archétypique - avec la Fédération yougoslave) morcellement avons-nous dit en États communautaires constitués sur des bases linguistiques, confessionnelles ou ethniques et associés au sein de structures fédérales, elles-mêmes intégrées à de super-ensembles régionaux. L’UE en est un exemple dont les États nationaux immunodéprimés sont de plus en plus travaillés par de puissantes tendances à l’éclatement régionaliste…

L’ambition à peine cachée d’un tel programme est évidemment de supprimer à tout jamais la possibilité d’émergence de puissances régionales centralisées d’échelle démographique, économique et militaire suffisante pour contrebalancer la prédominance des États-Unis (directe ou indirecte, c’est-à-dire par le biais de ses alliés locaux) dans les différentes régions de la sphère d’influence occidentale. Israël en l’occurrence dans le cas qui nous occupe, est le pivot sur lequel s’appuie la politique américaine à la charnière des deux continents, eurasiatique et africain.

Au Proche-Orient, la capacité des États-Unis à peser sur les destinées régionales est en effet d’abord relayée par l’État hébreu, puis par la Turquie, pilier oriental de l’Otan et partenaire géostratégique majeur des États-Unis dans cette région… Une Turquie qui, si elle était intégrée à l’Union européenne, comme le souhaite explicitement Washington, permettrait de coupler l’Europe et l’aire civilisationnelle islamique bouclant ainsi l’association Europe-Maghreb-Machrek déjà amorcée à travers l’Union pour la Méditerranée [9], cela sans oublier ces deux autres éléments fortement inféodés au dispositif régional des États-Unis que sont l’Arabie saoudite et l’Égypte.

Encore que ces alliances ne soient pas toutes d’une pérennité absolue ou garanties indéfiniment compte tenu de nombreuses incertitudes régionales structurelles liées, entre autres, à la force tellurique en action que représente la montée irrésistible d’un Islam plus contraignant : le parti islamique AKP est au pouvoir en Turquie et les Frères musulmans constituent la première force politique en Égypte… Des tendances lourdes dont l’évolution reste cependant incertaine, mais qui pourraient éventuellement déboucher sur des formes inattendues ou inédites de pouvoir religieux. L’Iran de ce point de vue n’a pas fini de nous surprendre ! En outre, pour ce qui regarde Ankara, on ne peut par exemple ignorer que le refus du survol de l’espace aérien turc lors de l’offensive américaine de mars 2003 contre l’Irak n’ait été, au moins pour partie, le produit de considérations d’ordre essentiellement confessionnel.

C’est donc dans le contexte général d’une volonté sous-jacente visant au remodelage de l’Orient Proche et de l’Asie centrale suivant le tracé approximatif d’une Nouvelle Route de la Soie, envisagé comme première hypothèse de travail, qu’il faut désormais considérer les diverses poussées sécessionnistes existant en Iran. Qu’elles soient encouragées, voire même soutenues, par les promoteurs du Projet Grand Orient (Greater Middle East Initiative), ou qu’elles soient tout bonnement spontanées, elles n’en existent pas moins et dessinent sur le territoire iranien un ensemble de lignes de fractures qui pourraient, le jour venu, remettre en cause l’unité territoriale du pays et peut-être, le cas échéant, servir de base de départ contre le pouvoir central [10].

De la même façon (et bien qu’officiellement niés), les plans de démantèlement de l’Irak, entre Chiites au Sud, Sunnites au Centre et Kurdistan au Nord sont établis et documentés quoiqu’ils soient toujours présentés face à des alliés inquiets, comme de pures hypothèses d’école faisant régulièrement l’objet de démentis catégoriques de la part de l’Administration américaine. On sait par ailleurs que des projets similaires existent pour le dépeçage du Liban et de la Syrie toujours selon des critères ethno-confessionnels… [nombre d’observateurs font à ce propos référence à ce qui s’apparenterait à de nouveaux accords Sykes-Picot. Accords secrets passés le 16 mai 1916 par la France, la Grande-Bretagne et la Russie établissant un partage général du Proche-Orient, et qui ne furent révélés qu’en 1917 avec l’ouverture des archives à l’occasion de la révolution bolchevique].

Parallèlement à la dimension géostratégique, les intérêts géoéconomiques jouent un rôle de premier plan dans la façon de poser la question des minorités nationales iraniennes. Ainsi au Kurdistan (pris dans son acception d’aire ethnolinguistique distribuée entre 5 États) où les poussées irrédentistes sont historiquement récurrentes, la découverte, il y a quatre-vingts ans, le 15 octobre 1927, du champ pétrolifère de Baba Gurgur, modifia en profondeur la valeur géoéconomique et partant géopolitique de la zone, ce qui eut pour conséquence humaine un large renouvellement ethnique avec une extension significative des zones de peuplement kurdes… [une question toujours lancinante avec l’expulsion des Turkmènes de la région de Mossoul et surtout de Kirkouk ; mouvement inverse de l’arabisation du Kurdistan irakien sous le régime baasiste].

Le gisement de Kirkouk, en exploitation depuis 1934, représenterait aujourd’hui encore des réserves de plus de 10 milliards de barils selon les analystes de Bloomberg Markets, ce qui porterait les réserves pétrolières de la Région autonome à un total de quelque 25 à 30 milliards de barils. Un éventuel État kurde disposerait ainsi potentiellement d’une rente pétrolière équivalente ou supérieure à celle du Mexique ou du Nigeria. Des chiffres et des perspectives qui suscitent bien des ambitions et des convoitises mais qui ne sauraient prendre corps qu’au sein d’un grand Kurdistan impliquant des révisions territoriales inenvisageables en l’état actuel des choses, que ce soit pour la Turquie et l’Iran ou tout aussi bien pour l’Irak en voie de retrouver un semblant de souveraineté. Seul un collapsus général, autrement dit une crise régionale aiguë telle que l’effondrement du régime islamique d’Iran à la suite d’une attaque concertée contre ses installations nucléaires, pourrait créer le choc et les conditions propices à un tel remodelage de la géographie politique des Monts Zagros au Nœud Arménien.

Les opérations turques contre les bases irakiennes du PKK, de fin novembre à la mi-décembre 2007, avec l’aval de l’Administration américaine, permettent par ailleurs de prendre quelque peu la mesure des difficultés croissantes rencontrées depuis 2003 dans les relations entre Ankara et Washington. Les 100 000 soldats, les chars massés en décembre 2007 à la frontière de l’Irak, les frappées aériennes et les incursions terrestres montrent d’un côté la détermination du gouvernement de Recip Erdogan – lequel dispose de la deuxième armée de l’Otan avec 515 000 hommes – et de l’autre, les concessions réticentes que Washington concède à son allié. Il aura fallu en effet des semaines de tractations et d’atermoiements pour que le Pentagone accepte de fournir aux forces turques la localisation des cibles à détruire… Des cibles qui sont aussi, à l’occasion, des instruments de Washington dans sa guerre secrète contre l’Iran.

Tout ce qui vient d’être dit à propos du seul Kurdistan, se retrouve schématiquement dans le cas de chacune des minorités iraniennes : position de valeur géostratégique des Azéris dans un dispositif de « sécurisation » du Bassin de la Mer Caspienne, valeur géoénergétique éminente du Kouzisthan dont les champs pétrolifères sont à proximité immédiate de ceux du Chatt-el-Arab, intérêt primordial du Baloutchistan pour ses réserves potentielles minérales situées de part et d’autre de la frontière irano-pakistanaise (cuivre et pétrole) et son inestimable débouché sur l’Océan Indien…

Des fissures sont cependant apparues au grand jour sur le front de moins en moins uni de la politique d’expansion internationale des États-Unis. La brèche ouverte en 2007 – insistons sur ce fait marquant révélateur des luttes fratricides des factions au sommet de l’Union - par la publication du National Intelligence Estimate qui est apparu à l’époque comme un démenti, et même une sorte de coup d’arrêt dans l’escalade verbale qui avait conduit le Ministre français, Bernard Kouchner, à la mi-septembre - quelques semaines avant la publication du rapport – à formuler l’hypothèse du pire à savoir « la guerre », terme repris peu après par le Président Bush qui lui, alla jusqu’à évoquer l’éventualité d’une nouvelle guerre mondiale !

Pour sa part, Moscou qui, après avoir gelé pour diverses raisons, dont l’attentisme politique, les travaux de la centrale de Boucherh, ne s’en est pas laissée compter et en réponse à des déclarations aussi fracassantes, avait continué à honorer ses contrats avec la République islamique et commencé d’approvisionner la centrale nucléaire en combustible fissible (voir supra). Il est vrai qu’à cette date, selon les déclarations de la présidence russe et celles de son Ministre des Affaires étrangères, Sergueï Ivanov, il n’existait pas de danger imminent de voir l’Iran se doter d’armes atomiques. Position que confortait encore le 1er septembre 2009 Mohamed El Baradeï, Directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique, jugeant à la veille de quitter ses fonctions, la menace iranienne comme « exagérée », soutenant que rien ne peut laisse penser que le pays serait en mesure à court terme de se doter de l’arme nucléaire ! Au contraire de MM. Bush, Sarkozy et Brown et maintenant Obama – en dépit de quelques nuances ajoutées - pour lesquels la menace reste, elle, inchangée, et qui par conséquent maintiennent l’Iran en ligne de mire.

Il n’en reste pas moins que la valeur politique, voire militaire, de poussées irrédentistes ou nationalitaires au sein des minorités iraniennes (s’inscrivant dans le cadre d’une éventuelle stratégie de la tension visant au renversement du régime), est indéniable. Ces forces centrifuges revêtent également, comme nous venons de le voir, un intérêt majeur dans un plan régional de reconfiguration des nations et redécoupage de la carte géopolitique. Démantèlement des États nationaux et redécoupage de la géographie politique et humaine avec pour finalité de ne laisser subsister que des entités micro-étatiques, des nains politiques dépouillés des attributs régaliens de la puissance. Un projet devant s’appliquer à terme aussi bien aux adversaires qu’aux alliés.

Ce que montre la carte publiée en 2006 (voir supra) par l’Armed force Journal pour l’Arabie saoudite, le Pakistan et la Turquie où le grand Kurdistan, fort de son pétrole mais géographiquement enclavé, ne peut se concevoir qu’en amputant à la fois l’Irak, la Turquie et l’Iran. Il faut aussi imaginer qu’un Baloutchistan unifié mais minéralement riche, se ferait au détriment du Pakistan et de l’Iran, de même que l’indépendance du Khouzistan, nommé Arabistân par les Britanniques, priverait l’Iran et l’Irak de leurs ressources pétrolières… l’Irak sunnite étant désormais lui aussi enclavé et réduit a quia.

Il va de soi que, dans cette perspective à long terme, l’Administration américaine s’est donnée pour ligne d’action de soutenir tout mouvement autonomiste, indépendantiste ou religieux susceptible de déstabiliser [plus particulièrement] l’Iran, au même titre que les sanctions économiques et financières destinées à l’asphyxier. Qu’est ce que serait en effet l’Iran sans les 80% de ses ressources pétrolières et gazières du pays concentrées au Khouzistan ?

Kurdistan

L’irrédentisme kurde, Pejak et PKK

Le Kurdistan (à savoir les zones d’habitat kurde du Nœud Arménien, région de hautes montagnes que forme la jonction de la Chaîne pontique et du Taurus), a été longtemps et est encore régulièrement pris entre le marteau turc et l’enclume iranienne. L’Iran n’hésitant pas à s’entendre, en fonction des circonstances, avec la Turquie ou la Syrie, pour utiliser ou réprimer les poussées nationalistes kurdes.

Parmi les principaux mouvements sécessionnistes, relevons l’Organisation Révolutionnaire des Travailleurs du Kurdistan Iranien (Komala), organisation d’inspiration « maoïste » qui voit le jour en 1969 et mène des actions de guérilla à partir 1979. Komala a quelquefois partie liée avec le Parti Démocratique du Kurdistan Iranien (DPIK), parti séparatiste baasiste né le 16 août 1945 mais qui a renoncé à la lutte armée en 1997 ; le Democratic Union of Iranian Kurdistan (YDKS) et le Free Life Party of Kurdistan (PJAK), le Kurdistan Organisation of the Communist Party of Iran… et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Parmi les quelque 25 millions de Kurdes majoritairement sunnites, vivant en partie sur la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie, les Kurdes iraniens sont environ 8 millions, soit 12 % des 69 millions d’Iraniens. Ils se concentrent à l’ouest du pays dans une zone limitrophe de l’Irak, de l’Arménie, de la Turquie et la Syrie et se répartissant ainsi dans les provinces de l’Azerbaïdjan occidental, de Zanjan, du Kordestan, de Kermanshah et d’Ilam.

Les villages détruits aux confins turco-irano-irakiens ne se comptent plus, de même que les civils déplacés par dizaines de milliers comme en avril 1993 lorsque des unités iraniennes sont entrées au Kurdistan irakien (territoire qui bénéficie, rappelons-le, d’une large autonomie accordée par le pouvoir baasiste depuis le 11 mars 1970, qui ira ensuite en croissant après 1991). Incursion des forces iraniennes également entre le 21 avril et le 26 avril 2006, qui après avoir bombardé les positions du PKK [11] à proximité de Haj Omran dans la province d’Erbil, franchissent la frontière irakienne et pénètrent à nouveau sur une profondeur de 5 kilomètres sur le sol irakien. Une pratique habituelle bien établie puisque l’armée turque qui n’en est pas à son coup d’essai, suit l’exemple iranien et en décembre 2007 pénètre en Irak pour y démanteler une fois de plus les bases du PKK responsable d’actions terroristes sur le territoire de la République turque.

En mars 2008 et pour la douzième fois depuis décembre 2007, l’armée turque bombarde les positions du PKK avec l’assistance en temps réel des États-Unis qui informe son allié turc des mouvements des unités rebelles en territoire irakien, détruisant de nombreux objectifs et occasionnant la perte de 150 combattants kurdes dans les monts Qandil, une zone difficile d’accès aux confins de l’Irak, de l’Iran et de la Turquie.

Osman Öcalan - frère d’Abdullah Öcalan emprisonné en Turquie et fondateur en 1978 du PKK - dans un entretien publié le 15 avril 2008 dans le Los Angeles Times, témoigne du fait que les États-Unis apportent depuis 2003 un important soutien logistique au PKK, alors que celui-ci figure sur la liste des organisations terroristes du Département d’État ! De la même façon, jouant sur les deux tableaux Washington participe en 2007 d’un côté à la planification de l’attaque turque contre les bases du PKK en Irak, et de l’autre soutient via sa branche anti-iranienne le PEJAK, pour commettre des attentats en Iran.

Les liens existants entre le PKK et les États-Unis pourraient d’ailleurs expliquer que ces derniers aient retenu, le temps des marchandages nécessaires pour des engagements réciproques, le bras de l’armée turque lorsqu’elle voulait vider l’abcès en pénétrant avant l’hiver au Kurdistan irakien, se contentant jusqu’à la mi-décembre 2007 d’escarmouches, de bombardements sans préavis (a contrario des pratiques de l’armée baasiste qui annonçait d’avance les frappes à venir) et de tirs d’artillerie jusqu’à ce que les soldats turcs enlevés (capturés) ayant servi de prétexte ou de déclencheur à l’opération, soient rendus sains et saufs.

Le 16 décembre 2007, l’aviation turque appuyée par l’artillerie, après avoir pilonné des villages situés sur le massif du Qandil, attaque ainsi la région autonome du Kurdistan irakien où 3000 membres du PKK s’étaient regroupés. Raids vraisemblablement effectués grâce aux renseignements fournis par les services de renseignement et les satellites américains. Une opération à dimension politique pour l’armée turque en ce qu’elle participe à la restauration de son image et de son autorité battue en brèche par l’influence croissante des Démocrates musulmans de l’AKP qui tiennent en mains les rênes du pouvoir civil. Une opération également indicative du haut degré de réalisme de l’Administration américaine sachant opportunément sacrifier- nécessité faisant loi - certains de ses pions. En octobre 2008, le Parlement turc accorde à l’armée un droit de suite pour la conduite en Irak d’opérations transfrontalières contre le PKK, complétant ainsi un dispositif de coopération anti-terroriste englobant l’Iran et la Syrie.

Comme dans les autres provinces périphériques, les troubles, sporadiques dans une région par excellence à vocation irrédentiste, recommencent à prendre véritablement de l’ampleur au Kurdistan à partir de juin 2005, et démarrent là également à l’occasion des élections présidentielles. La principale ville d’Azerbaïdjan occidental, Mahabad - qui fut la capitale d’une éphémère République kurde et communiste en 1946 - connaît une forte agitation après la mort, dans la nuit de 9 juillet 2005, d’un jeune militant kurde tué par les forces de l’ordre. Mars 2006 marque un nouveau retour de l’instabilité sur fond de crise internationale. Les troubles s’amplifient et vont jusqu’à s’étendre en mai 2006 à la ville majoritairement Kurde de Kermânchâh.

Pour sa part, le PEJAK, le Parti pour une Vie Libre au Kurdistan, sous-ensemble islamo-marxiste du PKK communiste anti-turc, réunit son premier congrès le 25 mars 2004 qui se donne pour objectif la « Résurrection du Kurdistan libre »… Il revendique un an plus tard plus de 80 opérations militaires. Or le PEJAK, si l’on en croit le journaliste du New-Yorker, atypique mais souvent bien informé, Seymour Hersh [citant Robert Baer, 7 juillet 2008], est un mouvement politique financé directement par les États-Unis et leur allié israélien. Il semblerait également que le Pejak et le PKK (ce dernier faisant depuis le début de l’automne 2007 l’objet d’opérations de contre-guérilla de la part de l’armée turque) soient une seule et même entité sous deux étiquettes différentes : les deux organisations partageraient en effet les mêmes bases de la région de Qandil et possèderaient en outre un commandement unifié ! Fin mai 2009, après l’attentat meurtrier contre une mosquée de Zahedan au Sistan-Baloutchistan (voir supra), le Guide suprême iranien accusait d’ailleurs les États-Unis et Israël de chercher à semer la zizanie à ses frontières en faisant explicitement référence au PEJAK [12].

Début mai 2009, simultanément avec les actions des Jondallah au Baloutchistan et du PEJAK à l’Ouest, de nouveaux troubles ont lieu. Trois attaques ont lieu presque simultanément faisant de nombreuses victimes : l’une contre un Centre de Commandement à Sanandaj (un milicien tué et 4 blessés), la deuxième contre un poste frontalier à Ravânsar (18 miliciens occis, 10 blessés) et la troisième contre une patrouille (deux policiers bassidjis sont tués). En représailles pour la perte de ces 21 membres des forces de sécurité, les hélicoptères iraniens bombardent trois villages kurdes au nord de l’Irak. Des attaques transfrontières apparemment coordonnées, qui relèvent de l’affrontement indirect entre Téhéran et Washington, et s’inscrivent dans une logique de couplage tactique Est/Ouest visant à frapper simultanément au Kurdistan et au Baloutchistan – logique mise en place en 2007 par l’Administration de G.W. Bush et dont l’opérationnalité n’est à présent plus à démontrer.

L’Organisation des Moudjahidine* du Peuple d’Iran
* Moudjahidine étant le pluriel de « moudjahid » ne prend pas de « s » ; tout comme taliban est le pluriel de taleb.

L’OMPI ou MeK [13], Moudjahidine du Peuple d’Iran, organisation militaire et sectaire protégée par Saddam Hussein, avait été, après la chute du dictateur, désarmée mais conservée au chaud par les troupes d’occupations anglo-saxonnes jusqu’au 28 juillet 2009, date de la prise de contrôle du camp par les forces irakiennes en application de l’accord de sécurité de novembre 2008 passé entre Washington et Bagdad.

Au printemps 2003, forts d’environ 2400 combattants entraînés et fortement disciplinés, perinde ac cadaver, les Moudjahidine disposaient encore de matériels offensifs lourds, artillerie et blindés, constituant ainsi une force d’intervention opérationnelle autonome susceptible d’intervenir en territoire iranien… comme ce fut le cas lors de l’offensive « Lumière éternelle » de l’été 1988 lancée peu avant la signature du cessez-le-feu entre Bagdad et Téhéran.

Bien qu’inscrite sur les listes du terrorisme international, l’OMPI bénéficie ouvertement, aujourd’hui plus que jamais, de forts appuis politiques dans les grandes capitales européennes. Tout comme à Washington où des groupes de pression institutionnels, remarquablement organisés et actifs tel le CNRI, le Conseil national de la résistance, servent de vitrine honorable à l’Organisation et de caisse de résonance aux campagnes lancées contre la République islamique. Leurs porte-parole officieux occupent ainsi une place importante sur les antennes de Voice of America dont les émissions à destination de l’Iran parviennent à échapper, selon toute apparence, au brouillage classique.

Dès avant même la Révolution de 1979, à l’époque où Zbigniew Brzeziński convainc le président Carter d’abandonner Reza Chah au moment où celui-ci laissait paraître des velléités de renationalisation du secteur pétrolier, les États-Unis auraient commencé à soutenir, voire à encourager, l’activisme terroriste des Moujahiddin e-Khalq dans la perspective d’établir une « République iranienne orientée vers le fédéralisme ». Un choix « fédéral » clairement inscrit dans la charte constitutive du mouvement et dont la logique implicite est celle d’un éclatement de la nation iranienne en provinces « autonomes ». Constatons que l’apparent échec de la politique américaine ces trente dernières années, en Iran et dans la Région (un fiasco sur lequel d’ailleurs nul n’insiste outre mesure), n’a cependant pas influencé l’Administration américaine quant à ses objectifs généraux ; ni à renoncer ou à modifier un projet qui poursuit, vaille que vaille, son bonhomme de chemin… Objectif qui miraculeusement s’est vu conférer un nouvel élan avec l’ouverture en 2004 du dossier du nucléaire militaire iranien, via la révélation par l’OMPI/CNRI de l’existence de programmes secrets d’armement, ce qui n’est sans doute pas une simple coïncidence.

Or, il semble que ce ne soient pas des considérations purement humanitaires qui aient uniquement prévalu dans le maintien des troupes, certes désarmées, de l’OMPI au Kurdistan irakien… Cela jusqu’au 28 juillet 2009 dans le contexte d’une « réorientation » de la politique américaine à l’égard de l’Iran, alors que le Parlement irakien avait voté l’évacuation de cette base depuis juin 2007. Il n’en demeure pas moins que le maintien par la précédente Administration américaine, d’une force d’intervention aguerrie, certes désarmée mais susceptible d’être réactivée, est un aspect du dossier qu’il convient de garder présent à l’esprit. Une force supplétive entraînée et disciplinée, pouvant être rendue opérationnelle selon des délais raccourcis, aurait pu, le cas échéant, participer à une « offensive » en territoire iranien comme ce fut le cas en 1989 peu avant la signature du cessez-le-feu irano-irakien… même si alors l’opération se solda par un cuisant échec !

Rien n’interdit de penser qu’une telle tentative aurait pu être un jour réitérée à l’occasion d’une crise majeure politique ou militaire voire en cas de conflit, cela en parallèle avec des actions du PEJAK appuyé par le PPK, en vue d’ouvrir un front de diversion sur le flanc ouest du dispositif de sécurité iranien. Hypothèse qui n’a rien d’absurde si l’on considère que d’autres opérations de fixation pourraient simultanément être déclenchées, au Sud, dans le Khouzistan et à l’Est, au Baloutchistan.

Ajoutons que, depuis le Camp Ashraf  [14], l’OMPI a longtemps assuré un important travail d’écoute des télécommunications iraniennes (militaires et politiques) au profit du Pentagone en continuation de la mission de renseignement effectuée avant 2003 au profit du régime baasiste. L’OMPI en outre, par le truchement de ses réseaux et ses relais dans la classe politique occidentale, possède en effet la capacité d’injecter dans les circuits médiatiques internationaux des informations obtenues par des canaux parallèles tels la NSA ou le Shin Beth, permettant aux sources originales, par ce biais, de rester dans l’ombre. Un rôle de collecteur de renseignements stratégiques mais, tout aussi important, une activité de diffuseur, de relais et de chambre d’écho, essentielle dans le cadre des stratégies indirectes mise en œuvre pour créer les conditions d’un changement de régime et faire évoluer la nation iranienne vers un fédéralisme de marché.

Interrogé sur ses sources, l’OMPI déclare faire appel au secteur privé pourvoyeur de renseignements à caractère stratégique, notamment au marché libre des images satellitaires. Ainsi, les premières révélations relatives au programme nucléaire iranien, le 14 août 2002, interviennent par le canal d’Ali Reza Jafarzadeh, analyste attitré de la chaîne Fox News et membre des Moudjahidine du Peuple. De la même façon Ali Safavi, lui aussi membre des Moudjahiddine du peuple, et qui va créer à Londres en 2003, le Near East Policy Research dont les programmes sont focalisés sur les « droits de l’homme, les menaces régionales tels le terrorisme et la prolifération nucléaire, l’expansion de l’extrémisme religieux, la construction de la démocratie et les défis économiques », remet en août 2002, à Vienne, à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), des clichés satellites relatifs aux installations de retraitement iraniennes, images qui donnent le coup d’envoi de la campagne dirigée contre l’Iran de cette date à aujourd’hui… Une campagne internationale relative au programme nucléaire iranien dont le volet communication sera d’autant plus soigné que les révélations qu’elles prétendent mettre à jour sont susceptibles de déboucher sur la politique du pire autrement dit « la guerre » comme Ministre français des Affaires étrangères, M. Kouchner l’exprima publiquement et solennellement en septembre 2007 !

Reste que, depuis le 3 décembre 2007 et le rapport du NIE, il serait loisible de supposer que ces révélations quant au caractère offensif du programme nucléaire iranien pourraient n’avoir été qu’un élément de manipulation parmi d’autres mesures actives, initiées dans le cadre d’un ambitieux plan de déstabilisation de la République islamique. Comme précédemment évoqué, dans l’hypothèse d’un changement de régime en Iran, l’OMPI pourrait être appelée à occuper une certaine place - au moins dans la phase de transition - dans la construction d’un État fédéral iranien, l’une des idées organiques de la « Constitution » interne du mouvement.

En tant qu’organisation militaire (l’arrière-salle de la vitrine politique plus familière aux élus européens), et à l’instar du PKK, l’OMPI demeure de toute évidence l’un des atouts dont disposent les États-Unis dans leur guerre cachée pour le démembrement de la puissance iranienne. Il ne s’agit évidemment pas d’une simple hypothèse d’école, mais d’une tendance géopolitique inscrite dans la longue durée contemporaine et dont nous voyons ici et maintenant les effets… avec pour preuve de la remarquable efficacité dont l’Administration américaine a fait preuve dans le dossier des Balkans : en effet il n’aura fallu que quinze ans pour achever, avec l’indépendance du Kossovo en février 2008, le démantèlement de la Fédération yougoslave, puissance régionale et ex-pourvoyeur d’armes de l’Irak baasiste.

L’OMPI, quoique privée de sa base arrière-avancée en territoire irakien, n’en demeure pas moins un atout, une carte de réserve importante en raison de son organisation et de sa pénétration de l’establishment occidental européen et nord-américain (indépendamment du camp d’Asraf liquidé à bon escient, c’est-à-dire en temps opportun selon l’agenda du Département d’État) car pouvant être appelé à jouer un rôle similaire à celui du Congrès national irakien que Washington avait instrumenté aux fins de justifier son invasion de l’Irak en 2003… Cela indépendamment du fait que le 7 mai 2009, cent trois eurodéputés issus de 24 États membres de l’UE aient envoyé un message au Président Obama pour lui demander de suivre l’exemple européen en effaçant l’Organisation des Moudjahidine du Peuple d’Iran de la liste des organisations terroristes.

La « contestation » azérie

Avec 16 millions d’âmes (25 % de la population iranienne) dans la Province d’Azerbaïdjan oriental, les Azéris constituent la plus importante minorité d’Iran. Une minorité chiite ne connaissant pas les difficultés d’ordre confessionnel rencontrées par les Kurdes et les Baloutches sunnites.

Cette importante minorité turcophone est jusqu’ici parfaitement intégrée [15] à la République islamique, elle conserve cependant un fort sentiment identitaire, suffisamment marqué pour susciter des revendications de plus en plus insistantes en matière de droits culturels et linguistiques. Par exemple l’application du droit constitutionnel d’un enseignement en langue turque. Des voix s’élèvent donc aujourd’hui (sensibles aux sirènes du pantouranisme [16]), pour réclamer le divorce de l’Azerbaïdjan iranien et sa réunion avec la République d’Azerbaïdjan, laquelle ne compte elle-même que 8 millions de citoyens.

Dans ce contexte, la diplomatie américaine a commencé d’apporter un discret soutien à la minorité azérie à partir de l’été 2003, dans le prolongement de la chute de Bagdad. Le Département d’État s’était alors efforcé de soutenir les revendications des formations politiques azéris dissidentes alors encouragées par l’effondrement du pouvoir baasiste irakien.

« Nous n’avons plus peur des mollahs » déclarait ainsi en juin 2003, au Sunday Telegraph, l’une des figures montantes de l’indépendantisme azéri [17]. Un sentiment néo-national qui s’est particulièrement manifesté comme dans les autres minorités périphériques, en juin 2005, à l’occasion des présidentielles iraniennes. Un phénomène tendanciel qui a entraîné en réponse une accentuation des mesures préventives de la part des autorités centrales. Une « agitation » qui a repris l’année suivante et a culminé le 22 mai 2006 avec un rassemblement - inouï depuis la révolution de 1979 - de quelque 200 000 personnes dans les rues de la capitale régionale, Tabriz.

En janvier 2009 un groupe de séparatistes formaient l’Azarbaijan Movement for Democracy and Integrity of Iran, Mouvement Azéri pour la démocratie et l’intégrité de l’Iran [18]. Initiative faisant suite à la création à Washington, en juin 2008, du Progressive American Iranian Committee, Comité des irano-américains progressistes, apparemment piloté en sous-main par des membres du CNRI (voir supra). Moudjahiddine-e-Kalq).

Cependant, si le sous-sol de l’Azerbaïdjan oriental ne possède pas de ressources d’intérêt immédiatement stratégiques (hormis des gisements de cuivre, de plomb et de fer), cette province iranienne occupe d’abord et surtout une position clef sur la carte régionale du Sud-Caucase et le Bassin de la Caspienne. Une mer d’un intérêt majeur aux yeux de l’Administration américaine eu égard à ses réserves d’hydrocarbures et ses « couloirs énergétiques ».

Deux stations de surveillance radar américaines sont d’ailleurs en cours de réalisation dans le voisinage des frontières iranienne et russe, qui complètent le dispositif d’encerclement de l’Iran déjà en place avec la base logistique d’Herat en Afghanistan et navale de Bahrein. De plus, les États-Unis incitent avec insistance l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan à étoffer leurs marines sous couvert de contrer d’éventuelles « menaces transnationales », terroriste entre autres mais pas seulement. Une première dotation américaine de 30 millions de dollars a été ainsi affectée à la modernisation des gardes côtes azerbaïdjanais, aide s’inscrivant dans l’Initiative pour la sécurité de la mer Caspienne (Caspian Guard Initiative) lancée en 2003 par Donald Rumsfeld alors Secrétaire à la Défense.

Si l’on prend finalement en compte la possible installation d’une base américaine sur le sol de la République azérie, on comprendra mieux quels enjeux politiques et militaires se trouvent désormais liés au maintien de la stabilité en Azerbaïdjan oriental. Une province dont il s’agit de maintenir l’intégration au sein d’une nation iranienne dont la vigilance a été prise en défaut au cours de ces dernières années - comme l’a révélé une succession malheureuse d’événements symptomatiques - quant au respect des identités minoritaires nationales.

Le symposium de la Fondation Jamestown du 14 mai 2009 à Washington (voir supra) et dont précisément l’un des thèmes était «  l’Azerbaïdjan partenaire majeur des USA et de l’Europe dans la Sphère de Sécurité » éclaire sur les enjeux dont le plus immédiatement perceptible est bien entendu le contrôle des ressources gazières de Bakou.

Khouzistan

Région située au sud-ouest de l’Iran, la province du Khouzistan est majoritairement peuplée d’Arabophones (généralement estimés à 2 millions soit près de 3 %) et, de ce fait, parfois appelée « Arabistan » [19]

Cette région éminemment stratégique recèle la majeure partie du pétrole iranien (80 % de la production nationale). Cependant, si la province - quoique arabe mais avant d’être chiite - ne s’est pas ralliée à Saddam Hussein lors de son offensive de septembre 1980, elle n’en est pas moins, depuis 2004, le théâtre d’une agitation croissante en rapport évident avec l’évolution de la situation dans le Sud chiite irakien.

La résistance au pouvoir central y est ancienne et les phases de révolte y alternent avec les massacres. Dès 1960, le Front national de libération de l’Arabistan et du Golfe arabe (fondé en 1956 et qui se transforme en 1967 en Front de libération d’Al-Ahwaz) se donne pour programme le rattachement de la région à l’Irak. Une revendication qui prend tout son sens si la division de l’Irak entre aire sunnite et chiite devait permettre la création d’un état chiite englobant les champs pétrolifères tant iraniens qu’irakiens.

En sens inverse, dans le conflit irano-irakien (80-89), Bagdad aurait eu pour objectif de constituer une République arabe d’Arabistan, dessein auquel les États-Unis auraient mis leur veto. L’éclatement de l’Iran n’était pas en effet encore à l’ordre du jour car n’ayant pas fait l’objet d’une théorisation unifiée dans le cadre de l’Initiative Greater Middle East [20]. Ce donc pour reprendre - entre autres - l’Arabistan dont l’Irak aurait été historiquement spolié, que Bagdad aurait lancé sa première offensive en 1980. La province sera alors le théâtre des combats les plus durs et les plus coûteux en vies humaines d’une guerre largement encouragée en sous-main par les puissances occidentales qui alimentent en armes les deux camps.

Or, après leur victoire de 2003, il semble bien que les États-Unis aient repris pour leur propre compte le projet de Saddam Hussein comme tend à l’indiquer le regain d’intérêt du Pentagone pour cette province iranienne. Pour preuve, le fait qu’ils ont été commanditaires d’une étude holistique remise en février 2006 relative à l’ensemble des minorités iraniennes et conduite par le consultant Hicks and Associates l’un des plus importants prestataires de services de l’Administration américaine pour ce type d’étude, celui ayant déjà été abondamment sollicité pour la préparation et la planification de la guerre de 2003 contre l’État irakien. Ajoutons que depuis 2004 les missions de reconnaissance aérienne au moyen de drones, des engins robots, se sont multiplié au-dessus du Khouzistan. Est-ce simple coïncidence ?

Depuis mars 2006, le Front populaire et démocratique des Arabes d’Ahwaz, basé à Londres, dispose d’un canal satellite australien par lequel il diffuse des programmes audiovisuels réguliers dans lesquels sont dénoncés « quatre-vingts années d’occupation iranienne ». Relation de cause à effet, des troubles, vite réprimés, se déclarent à partir d’avril 2005 à Ahwaz, chef-lieu du Khouzistan et à Mahshahr dans le sud de la province sur fond de rumeurs relatives au déplacement des populations arabes (et alors même que ceux-ci s’estiment plus ou moins laissés pour compte par la République islamique alors qu’ils habitent la région pétrolière la plus riche du pays). En janvier et en février 2007, Amnesty International qui s’intéresse ex abrupto aux minorités iraniennes, déplore l¹exécution de huit Arabes iraniens reconnus coupables, à l’issue de procès jugés inéquitables, d¹attentats à la bombe commis dans la province du Khouzistan en 2005.

C’est en effet autour du 17 juin 2005, date des élections présidentielles iraniennes que, là encore, selon la loi des séries ou par une invraisemblable coïncidence, démarre au Khouzistan une campagne d’attentats. Le 16 juin 2005, le « Mouvement de lutte arabe pour la libération d’Ahvaz » revendique par le truchement d’une vidéo mise en ligne sur la Toile, les attentats perpétrés à Ahwaz. Le 3 septembre 2005, trois bombes détruisent des oléoducs reliant Ahwaz à la raffinerie d’Abadan (principale raffinerie iranienne avec une capacité de 450.000 b/j et 30 % de la capacité totale de raffinage de l’Iran). Le 16 octobre 2005, c’est au tour de l’oléoduc de Maroun d’être saboté.

C’est donc entre juin et octobre 2005 que des attentas retentissants commencent à ouvrir les colonnes de la presse internationale aux indépendantistes khouzistanais. À Ahwaz même des actes terroristes revendiqués par les Brigades des martyrs révolutionnaires Ahwazi vont s’enchaîner, tels ces deux attentats à la bombe qui font 8 morts et 48 blessés en janvier 2006. Le journaliste américain et ancien agent de la NSA, Wayne Madsen [21], réputé pour la fiabilité de ses sources, annonce à la même époque qu’une République Démocratique d’Ahwaz serait automatiquement reconnue par les États-Unis et certains de ses alliés les plus proches au cas où elle serait unilatéralement instituée… Le gouvernement britannique aurait par ailleurs facilité l’ouverture d’un bureau de la mouvance séparatiste arabe à Londres.

En parallèle, le site Internet de la chaîne Al Jezirah multiplie les informations suivant lesquelles seraient en préparation « un projet d’épuration ethnique du Khouzistan » : Téhéran est accusé de chercher à modifier la composition ethnique de la population du Khouzistan au profit des Persans délibérément privilégiés en termes d’emploi, et donc au détriment des Arabes… ce qui laissait supposer l’existence d’un plan pour « iraniser » et/ou « désarabiser » la province.

Le 24 janvier 2006, deux nouveaux attentats touchent une nouvelle fois la ville d’Ahwaz où le président Mahmoud Ahmadinejad était attendu, sa visite ayant été inopinément annulée. À cela s’ajoute l’incendie en mars 2007 de l’oléoduc reliant les villes d’Abadan et Ahwaz ; un sinistre à mettre peut-être en relation avec l’incendie d’origine criminelle qui avait en partie détruit, le 19 février précédent, la raffinerie de Téhéran, hypothéquant ainsi lourdement la production de carburant en Iran. Chacun garde en mémoire les « émeutes de l’essence » de juin 2007 qui ont embrasé l’Iran justement en raison des difficultés d’approvisionnement en produits raffinés dans un pays soumis à un sévère embargo et dépendant à 40 % de ses importations pour ses approvisionnements de carburants [22]. Toutes choses qui en disent long sur la vulnérabilité potentielle de la République iranienne pour laquelle un Khouzistan relativement excentré constitue un « ventre mou », susceptible de devenir très rapidement une sorte d’abcès de fixation pour des factions dissidentes.

Plus récemment, l’édition d’Israelinfo du 2 septembre 2008 annonçait la naissance assez discrète en Égypte, et pour la première fois dans un pays arabe, d’une revue trimestrielle militant en faveur de l’indépendance politique, religieuse, linguistique et culturelle du Khouzistan présenté comme « un territoire occupé par la République islamique d’Iran ». Notons que la création de cette revue intitulée « Arabes d’Ahwaz » est intervenue après le passage au Caire au cours mois d’avril 2008 d’une délégation de militants ahwazis reçus afin d’exposer à leurs interlocuteurs officiels leurs revendications d’indépendance…

Fin 2008, l’Ahwaz Human Rights Organization diffusa une lettre ouverte à l’adresse du Premier ministre japonais, M. Koizumi et du Secrétaire général du Conseil de l’Union européenne et Haut représentant pour la Politique Extérieure et de Sécurité Commune, M. Javier Solana, afin d’exposer leurs griefs après la signature par la société japonaise Inpex Corporation et le gouvernement iranien d’un accord pétrolier (recherche) d’un montant de 2,3 millions d’euros. Aux termes de ce courrier, l’accord ne pourrait que renforcer la « politique d’assimilation forcée et de répression » dont les Ahwazis s’estiment les victimes.

Baloutchistan

Les Baloutches représentent environ 3 % de la population iranienne, soit 2,1 millions d’âmes et sont essentiellement présents dans les régions du Sud-Est de l’Iran principalement les provinces du Sistan-Baloutchistan, du Khorassan et du Golestân.

Les Baloutches, au nombre de 5 millions, se trouvent de part et d’autre des frontières pakistanaises, afghanes et iraniennes. Sunnites à l’instar de Kurdes, les Baloutches à la périphérie iranienne, comme toute communauté excentrée (pensons par analogie aux diverses ethnies du Darfour au Soudan) forment des griefs à l’égard du « Centre » estimant ne pas bénéficier suffisamment des retombées de l’exploitation des ressources naturelles (mines de cuivre et or) exploitées sur leur territoire et d’être l’objet de discriminations institutionnelles, notamment confessionnelles, du fait du jacobinisme d’un État centralisé et concentré à Téhéran.

De fait, les postes de la fonction publique et plus particulièrement dans la police, sont réputés être attribués à des persanophones ; dans les écoles, la langue baloutche est interdite. Des incitations matérielles à s’installer dans les provinces du Sud-Est sont accordées à des Persans, comme des logements subventionnés ou des terres agricoles de telle façon que, tout comme les Arabes iraniens du Khouzistan, les Baloutches soupçonnent aujourd’hui le gouvernement iranien de vouloir modifier l’équilibre démographique de la région et de chercher à minorer la place et le rôle pris par les autochtones dans les centres urbains locaux, en particulier à Zahedan, Iranshar, Chabahar et Khash.

À l’Est, l’irrédentisme baloutche crée depuis longtemps de réelles difficultés au Pakistan ; une question qui déborde en vérité largement la frontière et se développe sur fond des convoitises multinationales suscitées par les richesses minières – or et cuivre – dont les déserts du Baloutchistan regorgent. De même la province de Kerman [23] immédiatement à l’ouest du Baloutchistan, également riche en ressources minérales, constitue par sa contiguïté avec le Sistan-Balouchistan un pôle d’intérêt supplémentaire pour des mouvements indépendantistes que l’on peut supposer soutenus en sous-main par des intérêts transnationaux et des acteurs étatiques ou privés.

Parmi les protagonistes de la rébellion des provinces de l’Est, mentionnons en outre le Front du Baloutchistan Uni né en 2003 et basé à Londres [toujours cette étonnante concordance de date ! Notons que c’est à la même époque qu’une nouvelle flambée de violence interethnique intervient dans la province soudanaise du Darfour [24]. Formations politico-militaires, l’Organisation démocratique du peuple du Baloutchistan et le Conseil national baloutche, ce dernier né en 1994, revendiquent l’indépendance à des degrés divers, tout comme leurs homologues déjà mentionnés. Toutes ces organisations sont accusées, à tort ou à raison, de participer à la fois du terrorisme et du grand banditisme.

S’il est à l’arrivée cependant assez difficile d’évaluer précisément la nature des troubles dans une province où le banditisme, la piraterie routière, le trafic de drogue avec le narco-État afghan voisin et la contrebande, sont des activités établies qui se mêlent et s’entremêlent à loisir, les faits publiés et l’information accessible conduisent malgré tout au constat d’une instabilité croissante, d’abord en effet liée au développement constant du trafic de drogue, mais aussi à l’intensification de l’irrédentisme baloutche au Pakistan.

En mars 2006, le groupe sunnite Jondallah, les soldats de Dieu, autrement appelé Mouvement de Résistance du Peuple iranien, tue 22 personnes qui circulaient en voiture non loin de la frontière pakistanaise. Groupe déjà présent au Kurdistan irakien où leur village avait été bombardé par l’US Air Force peu avant le déclenchement de l’Opération Choc et Effroi. Ce groupe avait commencé à se manifester en décembre 2005 à l’occasion de l’enlèvement de neuf soldats sur la frontière pakistanaise dont huit furent libérés, le neuvième exécuté. Le même mois, un attentat à la bombe perpétré à Tasuki fut suivi d’une prise d’otages. Dix sept personnes furent alors condamnées à mort ou exécutées pour ce dernier attentat. En mai, il s’agissait de douze passagers de quatre véhicules qui étaient tués dans la province de Kerman (voir supra) jouxtant le Sistan-Balouchistan. Le 15 décembre, peu avant des élections locales, c’est une voiture piégée qui explosait à Zahedan faisant une seule victime. Les autorités exécutèrent les sept responsables présumés des attentats de mars 2006… Le 14 février 2007, un bus transportant des Gardiens de la révolution, Pasdaran explosait à Zahedan causant la mort de 14 personnes. Le 27 mai suivant, l’un des 7 prévenus arrêtés dans cette affaire était pendu au grand dam de la Communauté internationale…

D’après Amnesty International[communiqué du 5 juin 2007], le député iranien Hossein Ali Shahryari aurait signalé que plus de 700 détenus au Sistan-Baloutchistan se trouvaient à cette date sous le coup d’une condamnation à la peine capitale. Et que sur les quelque 177 condamnés exécutés en Iran en 2006, un tiers environ appartenaient vraisemblablement à la minorité baloutche. Ceci comme indication quant au niveau d’intensité des troubles et de l’instabilité chronique auquel cette province doit faire face.

Le Jondallah commence pour sa part à se manifester le 31 décembre 2005. La chaîne Al-Arabiya avait annoncé depuis Dubaï l’enlèvement spectaculaire de 9 soldats iraniens lors de l’attaque d’un poste de police de la région de Sarevan où le 15 décembre précédant le cortège du président Ahmadinejad avait été attaqué par « des bandits » et deux de ses gardes du corps abattus. En 2006, le groupe, au moyen d’une prise d’otages dont plusieurs seront exécutés, exige la libération de ses membres emprisonnés. Une opération apparemment revendiquée sur une chaîne de télévision appartenant aux Moujahidine du Peuple d’Iran (voir supra) ! Du Kurdistan au Baloutchistan, il semble ainsi qu’il existerait une sorte de « régie » ou en tout cas une certaine coopération en matière de communication.

En juillet 2008, c’est au Baloutchistan Pakistanais que des combats faisaient une quarantaine de morts dont une trentaine de dissidents prés de la ville d’Uch, à l’occasion d’une opération lancée contre deux bases rebelles. Dernier épisode spectaculaire documenté, le 28 mai 2009, un attentat contre une mosquée chiite de Zahedan fait 25 morts, attentat auquel les autorités iraniennes répondent le 1er juillet par treize pendaisons… Événement conduisant la revue de West Point, CTC Sentinel, à publier le commentaire suivant de Chris Zambelis : « Etant donné l’escalade du groupe en termes de tactiques et de choix des cibles ces derniers mois, la prochaine étape dans l’évolution des Jondallah pourrait être de mener des attaques à l’extérieur du Baloutchistan iranien… une nouvelle phase, plus dangereuse dans sa guerre contre le gouvernement iranien  » [Reuters - 19 juillet 2009]… S’agirait-il d’une prophétie auto-réalisatrice ? Déjà en 2007, CTC Sentinel s’était signalé en reprenant la déclaration du chef du Jondallah, Abdolmalek Righi, justifiant son engagement armé en raison du génocide perpétré par Téhéran au Sistan-Baloutchistan. Pour mémoire, l’ancien chef d’antenne de la CIA au Kurdistan, Robert Baer, aurait, selon Seymour Hersh [25] [The New Yorker 7 juillet 2008], financé via ses services le groupe armé sunnite iranien Jondallah (soldats de Dieu) .

En 2002, la lettre confidentielle israélienne Dekka-net-Weekly [26] signalait la possibilité que des éléments de la CIA infiltrés en Iran par la province afghane de Zabol, eussent commencé à opérer au Sistan-Balouchistan. Ce qui en soi n’aurait rien d’extraordinaire sachant que de telles missions de « reconnaissance » [covert actions] sont vraisemblablement et régulièrement conduites depuis 2003 à partir d’Erbil au Kurdistan irakien et au Khouzistan depuis le Chatt-el-Arab. Laissons à nouveau la parole à Seymour Hersh [27] qui écrivait en avril 2006 « As of early winter, I was told by the government consultant with close ties to civilians in the Pentagon, the units were also working with minority groups in Iran, including the Azeris, in the north, the Baluchis, in the southeast, and the Kurds, in the northeast. The troops “are studying the terrain, and giving away walking-around money to ethnic tribes, and recruiting scouts from local tribes and shepherds,” the consultant said. One goal is to get “eyes on the ground”- quoting a line from “Othello,” he said, “Give me the ocular proof.” The broader aim, the consultant said, is to “encourage ethnic tensions” and undermine the regime ».

Ajoutons que le Baloutchistan dans sa totalité joue dès à présent un rôle clef dans la recomposition géostratégique de l’Asie centrale. Non seulement ses déserts servent aux essais nucléaires et balistiques d’Islamabad, mais cette province est également appelée à servir de débouché sur l’Océan Indien pour la Chine, laquelle construit un port en eau profonde à Gwandar par lequel transiteront produits et marchandises à destination de la Chine via le Xinjiang. Un partenariat stratégique Chine-Pakistan que devraient compléter des facilités portuaires accordées à la marine de guerre chinoise dans la nouvelle base navale pakistanaise d’Omara, toujours sur la côte de Makran, notamment en vue d’exercer un contrôle des voies maritimes d’approvisionnement pétrolier et gazier dans une région d’instabilité chronique. Les hydrocarbures étaient acheminés jusqu’ici vers la Chine par des routes maritimes placées sous la surveillance exclusive des États-Unis [28], celle-ci se montrant aujourd’hui plus que jamais soucieuse, tout en prenant pied dans les pays détenteurs de réserves comme l’Iran, de sécuriser ses routes d’approvisionnement maritimes mais aussi et surtout continentales - ces dernières étant jugées plus sûres que les premières [29] - afin d’assurer à tout moment et en toutes circonstances la continuité de ses approvisionnements stratégiques.

À ce titre, il existe depuis juillet 2005 un projet de gazoduc irano-indien [30] devant passer à travers le Baloutchistan, projet qui s’est, en toute logique géostratégique, heurté à une vive hostilité de la part du Département d’État. Pour les États-Unis en effet, le rapprochement en matière d’énergie de la Russie, de l’Iran, de l’Inde et de la Chine, amorcé depuis le printemps 2005 et qui progresse actuellement à travers l’Organisation de Coopération de Shanghai, constitue un véritable cauchemar dont il convient d’éviter à tout prix l’achèvement... lors de la dernière réunion de l’OCS [31], le 15 juin 2009 dans l’Oural, à Ekaterinbourg avec l’Iran et l’Inde invités au statut d’observateurs, les participants n’ont pas manqué de souligner que « les États-Unis n’apprécient pas que la Russie et la Chine fassent cause commune pour résoudre certains problèmes, qu’ils n’aiment pas que l’Inde et le Pakistan y participent, que l’Iran soit attiré. Ils n’ont cependant pas la capacité d’influer sur l’organisation et cela les inquiète ». De fait, si l’OCS s’élargissait à l’Inde et à l’Iran pour constituer un bloc régional stratégique fondé, notamment, sur les intérêts énergétiques de la mer Caspienne, la donne géostratégique globale s’en trouverait à n’en pas douter changée et le leadership américain sérieusement mis à mal.

Conclusion

Dès mai 2006, le Président Ahmadinejad confronté à des séries de faits de plus en plus difficiles à passer sous silence, avait établi un rapport entre la montée des tensions au sein des minorités périphériques de l’Iran et le procès d’intention instruit contre l’Iran, procès relatif à son programme nucléaire. Le chef d’Etat iranien avait, à ce propos au cours d’un Conseil des ministres, le 28 mai, avancé que « …le complot ennemi visant à créer des différends ethniques dans le pays avait été ourdi en raison de la résistance du Peuple iranien quant à la question nucléaire ». Le jour suivant cette déclaration, l’Ayatollah Ali Khamenei, le Guide de la Révolution, avait lui aussi ouvertement dénoncé dans une intervention télévisée le « complot » visant à fomenter des affrontements interethniques, reconnaissant de facto que la question était devenue un sujet majeur de préoccupation nationale.

Actuellement, depuis la réélection contestée du Président Mahmoud Ahmadinejad, le 12 juin 2009, les autorités iraniennes qui doivent contenir une puissante vague de contestation politique, ont resserré les dispositifs sécurité dans les provinces abritant les minorités nationales où des manifestations d’irrédentisme armé se sont multipliées au cours du second semestre 2009, Téhéran, accusant la nouvelle Administration américaine de poursuivre la politique intensive de « déstabilisation de l’Iran par sa périphérie » mise en œuvre sous l’autorité de George Walker Bush.

Il est ici important de souligner que c’est au début de l’année 2005 que des troubles assortis d’attentats commencent à éclater simultanément, et avec une intensité inhabituelle, au sein des différentes minorités nationales éthiques et confessionnelles [ n’oublions pas en effet les Chrétiens, les Zoroastriens, les Juifs – trois religions révélées, « Gens du Livre », représentées au Parlement iranien – ainsi que les les Sabéens, les Bahai’s, … et les sunnites 9%] composant la mosaïque iranienne quand plusieurs régions deviennent tout à tour le théâtre de violences.
Au Khouzistan d’abord ; en Azerbaïdjan occidental ensuite, quelques mois plus tard, ; à Mahabad, où les troubles culminent après le 9 juillet 2005avec la mort d’un manifestant kurde abattu par les forces de police, puis en Azerbaïdjan oriental et au Baloutchistan à la fin de l’année 2005.

Simple coïncidence exprimant un malaise conjoncturel de la part de minorités se sentant délaissées par le pouvoir central ou plus encore ? La situation perdure en 2006. Au Baloutchistan apparaît un groupe sunnite radical ; vraisemblablement « l’essaimage » d’un groupe salafiste établi avant 2003 au Kurdistan irakien, le Jondallah, lequel se manifeste spectaculairement par l’enlèvement de 9 soldats iraniens le 25 décembre 2005. Opération réitérée en mars 2006 avec l’attaque du convoi du gouverneur de la province dans laquelle une vingtaine de fonctionnaires iraniens trouvent la mort. À quelques jours de là, toujours en mai 2006, de violentes manifestations ont lieu dans plusieurs villes d’Azerbaïdjan occidental.

Certes, dans chaque situation préexiste un vieux fond plus ou moins actif de revendication identitaire généralement nourri par le moindre souci du Centre à l’égard de la périphérie et par l’exploitation de ressources locales, notamment pétrolières ou minières, sans bénéfice direct ou contrepartie palpable pour les occupants historiques de la province concernée. À cela s’ajoute, la crainte persistance d’une éviction de la communauté ethnique d’origine, à laquelle seraient peu à peu substitués des éléments persanophones. Le fait saillant commun à toutes ces manifestations d’irrédentisme est bien entendu leur simultanéité suivant un schéma quasi identique dans des régions sans contact entre elles, cela tout autant dans l’actualisation et la définition des termes de ces revendications, que dans le calendrier et le modus operandi des actions visant le pouvoir central.

À chaque fois nous retrouvons pour point de départ une rumeur se nourrissant de faits de discrimination avérée (ou ressentis comme telle), par exemple en matière préférence donnée dans les emplois publics aux iranophones (dans l’enseignement ou la police)... Ou encore des bruits faisant état de plans de déplacement de populations et de modification de la composition ethnique de la province, de menaces sur l’enseignement de la langue nationale, tous faits réels ou supposés qui serviront de catalyseurs à une inquiétude ou à un ressentiment latent qui, à un moment X, se cristallisera en mouvement collectif de colère se traduisant par des manifestations, des émeutes qui peu ou prou créeront un environnement et un climat favorables – un support en quelque sorte - au déclenchement d’actions terroristes.

Selig S. Harrison, Directeur à Washington du Center for International Policy, décrit abondamment dans la livraison d’octobre 2007 du Monde diplomatique comment la Maison-Blanche a lancé une offensive en vue de déstabiliser l’Iran de l’intérieur « en aidant des groupes séparatistes, qu’ils soient arabes, kurdes, baloutches ou azéris ». À l’appui de son propos, le journal rapporte que la « Secrétaire d’Etat Condoleezza Rice… n’a obtenu l’ajournement d’une décision relative à l’option militaire qu’au moyen d’un compromis dangereux : une intensification des opérations clandestines visant à déstabiliser la République islamique, lesquelles ont été confirmées par une directive présidentielle fin avril 2007 »… « Ces opérations se poursuivent depuis une dizaine d’années ; mais en l’absence d’une couverture officielle, la Central Intelligence Agency n’a agi que par personnes interposées. Le Pakistan et Israël, par exemple, ont fourni des armes et de l’argent à des groupes rebelles dans le sud-est et le nord-ouest de l’Iran, où les minorités baloutche et kurde, sunnites, combattent de longue date le pouvoir central perse et chiite. L’autorisation présidentielle d’avril permet l’intensification des opérations « non létales » conduites directement par les agences américaines [compétentes]. En plus d’une multiplication des émissions de propagande, d’une campagne de désinformation et de l’enrôlement d’exilés en Europe et aux États-Unis afin d’encourager la dissidence politique, le nouveau programme privilégie la guerre économique, notamment la manipulation des taux de change et d’autres mesures propres à perturber les activités internationales bancaires et commerciales de l’Iran ».

Pour compléter ces lignes directrices, l’Agence Reuters, s’appuyant sur une enquête de Seymour Hersh publiée par The New Yorker [32], signale que les têtes de file Républicains et Démocrates du Congrès américain auraient accordé fin 2007 au Président George Bush les financements nécessaires à l’intensification des opérations secrètes contre l’Iran en vue de déstabiliser le régime. Selon le «  presidential finding » paraphé par G. W. Bush « l’objectif [poursuivi serait de] saper les ambitions nucléaires de l’Iran et d’essayer de fragiliser le pouvoir par une évolution du régime… ».

Dans un entretien accordé à Farred Zacharia, le 9 août 2009 sur CNN, le Secrétaire d’État US, Hillary Clinton, a finalement confirmé ce que ses services refusaient d’admettre jusque-là, à savoir que les États-Unis ont joué un rôle important dans l’amorce d’une « révolution verte » en Iran, en fabriquant notamment de faux messages diffusés sur Twitter. «  En coulisses, nous avons beaucoup fait. Comme vous le savez, la jeunesse…, un de nos jeunes du département d’Etat a été twitté « Continuez », malgré le fait qu’ils avaient planifié un arrêt technique. Ainsi nous avons fait beaucoup pour renforcer les protestataires sans nous afficher. Et nous continuons à parler avec et à soutenir l’opposition … »

Téhéran, de son côté, demeure soucieux de renouer les fils du dialogue. Sachant - au-delà des gesticulations que constituent les tirs à répétitions de missiles à plus ou moins longue portée, que les États-Unis ont un urgent besoin de sa coopération pour parvenir à stabiliser la situation tant en Irak qu’en Afghanistan, le gouvernement iranien souhaite éviter pour l’heure les polémiques excessives sans rien céder sur le fond quant à ses ambitions nucléaires. De ce point de vue, Téhéran s’efforce de ne pas « faire perdre la face » à ses interlocuteurs potentiels, pas plus qu’il ne veut se risquer à les mettre en porte-à-faux vis-à-vis de leurs alliés israéliens et arabes. Notons à ce propos que les dirigeants iraniens n’apprécient les rapports de force qu’en fonction de leur propre psychologie, autrement dit à travers le filtre de leur idiosyncrasie culturelle… Ce qui leur interdit de percevoir qu’en matière de négociation du fort au faible, la culture américaine ne procède pas de l’échange équitable, mais du contrat léonin : l’acceptation sans barguigner des termes inégaux d’un marché, autrement dit sans contrepartie ou presque, en un mot, acceptables sans condition.

À ce titre, très vraisemblablement, il ne saurait y avoir dans le cas d’une négociation directe de véritable marchandage avec l’Iran toujours a priori désigné schématiquement comme l’ennemi et l’incarnation du mal. Bien sûr on a pu se féliciter (voir supra) du changement de ton adopté par Mme Rice en fin de mandat de la précédente Administration américaine, suivant les conclusions du rapport Baker-Hamiton… celui-ci constituant désormais l’axe visible de la politique du président Obama. Rapport qui préconisait alors de placer l’Iran, pour ce qui est de l’établissement d’un dialogue, sur un pied d’égalité avec la Corée du Nord. Mais cette position de principe elle-même ne prend pas en compte les incessantes fluctuations et oscillations qui affectent les relations entre les États-Unis et les États voyous ou simplement non-alignés]

On sait aujourd’hui, dans le contexte de la crise mondiale que la politique de la main tendue risque rapidement de tourner court. Aussi laisserons-nous le dernier mot à Clément Therme, chercheur à l’Institut français de recherche internationale (IFRI) qui, en février 2009, reprenait à son compte les conclusions de Vali Reza Nasr, professeur à la Fletcher School of Law & Diplomacy de la Tufts University (depuis 2006 Adjunct Senior Fellow for Middle Eastern Studies au Council on Foreign Relations), suivant lequel la stratégie consistant à instrumenter les minorités ethniques pour ébranler l’Iran est viciée à la base : « ce n’est pas parce que le Liban, l’Irak et le Pakistan connaissent des problèmes ethniques que l’Iran se trouve confronté à des difficultés identiques… L’Iran est un pays ancien - comme la France ou l’Allemagne - et ses citoyens sont tout aussi nationalistes. Or l’Administration américaine surestime les tensions ethniques en Iran… L’on peut toujours trouver des groupes militants qui iront tuer des policiers, mais, au final, travailler avec les minorités se retournera contre nous et nous aliènera la majorité de la population. »

Parallèlement, dans « Démocratie et ingérence étrangère : «  le cas iranien » Clément Therme parvenait à des conclusions très similaires, notant par exemple : « l’intérêt très important accordé aux minorités religieuses et ethniques suscite le désaveu d’une grande partie des citoyens iraniens qui ont en partage un fort sentiment nationaliste (...) Cette tentation stratégique américaine de soutien financier aux minorités ethniques iraniennes en général, et baloutche en particulier, semble cependant contre-productive en raison de la force du nationalisme iranien qui transcende la diversité ethnique du pays  ».

Visant à l’exportation du modèle démocratique et afin de parvenir à un changement de régime, l’administration Obama semble avoir, pour le moment, renoncé à l’emploi de la force ouverte préférant l’option plus aléatoire et apparemment moins risquée d’une stratégie indirecte.

Ainsi le soutien de l’Administration américaine aux éléments dissidents des minorités iraniennes pourrait donc finir par agir à contresens du but recherché comme le souligne Clément Therme, en confortant « les dirigeants de Téhéran qui peuvent justifier des difficultés à intégrer les minorités ethniques ou les sunnites par l’action d’un Etat étranger… » il ne faut en effet pas perdre de vue que la base électorale populaire du Président Ahmadinejad est empreinte d’un sentiment nationalitaire aujourd’hui en Europe bien oublié. Bien évidemment, la réélection contestée du Président Ahmadinejad a révélé de profondes cassures dans la classe politique iranienne et jusqu’au cœur de l’appareil d’État, cassures qui fragilisent l’édifice national et offrent des conditions favorables à consolider contestations et forces centrifuges qui travaillent à la périphérie du pays. Reste donc à savoir jusqu’où celles-ci trouveront un terrain propice à leur développement ?

Jean-Michel VERNOCHET -juillet 2009

En résumé, le calendrier sommaire de la montée en puissance de l’agitation périphérique en Iran en décalque de la montée en puissance du contentieux nucléaire.

Les prémisses de la poussée récente des forces centrifuges apparaissent proprement dit en 2004, au Khouzistan et au Kurdistan avec le Congrès fondateur du PJAK, lequel depuis lors se prévaut de quelque 80 opérations militaires dans le Kurdistan iranien. Ces actions de déstabilisation conduiront, en avril 2006, les forces iraniennes à entrer à deux reprises au Kurdistan irakien. Elles conduiront de même les forces turques, à pénétrer dans le Kurdistan irakien à la fin de l’année 2007.

C’est en avril 2005 que des émeutes éclatent au Khouzistan, ce qui coïncide avec la possible rencontre à Washington, le 23 du même mois, de Said Taher Naamahad, l’un des dirigeants du Front du Khouzistan, avec certains Conseillers de la Maison-Blanche. À partir de septembre, une série d’attentats détruisent des installations pétrolières d’intérêt vital de la province (oléoducs), actions terroristes qui se prolongent au printemps 2006 (attentat contre une raffinerie de Téhéran). Le gros de la vague, le tsunami irrédentiste, a cependant déferlé en accompagnement des élections présidentielles dont les deux tours ont lieu les 17 et 24 juin 2005. Une agitation violente qui peut s’interpréter sans absurdité comme une tentative de déstabilisation intérieure de la République islamique. Une secousse dont les répliques se sont répétées jusqu’à présent même si l’amplitude n’a plus été équivalente.

Il faut ici rappeler que le 20 février 2005, les représentants officiels de sept organisations représentant les diverses « nationalités » iraniennes, s’étaient réunis à Londres. Une conférence prolongée à Washington le 26 octobre 2005 suivant par un forum organisé à l’initiative de Michael A. Leeden et de l’American Enterprise Institut. Et faut-il voir là plus qu’une troublante coïncidence au risque d’établir une éventuelle relation de cause à effet ?

L’agitation a donc repris au printemps 2006, notamment dans la communauté azérie, Tabriz connaissant le 24 mai une poussée d’effervescence populaire sans équivalent depuis 1979 et la Révolution, ce qui induisait M. Ahmadinejad à désigner le 25 mai, le lendemain des événements, les ennemis extérieurs de l’Iran comme source des troubles ethniques. Selig S. Harrison, Directeur à Washington au Center for International Policy, dans un article paru dans le numéro d’octobre 2007 du Monde diplomatique, décrit abondamment comment la Maison-Blanche a lancé, selon ses sources, une large offensive en vue de déstabiliser l’Iran de l’intérieur « en aidant des groupes séparatistes, qu’ils soient arabes, kurdes, baloutches ou azéris ».

L’attentat survenu le 28 mai à Zahedan, au sud-est de l’Iran, contient tous les ingrédients du scénario catastrophe : celui d’un débordement de l’instabilité pakistanaise sur le territoire iranien et d’un renforcement des tensions régionales entre chiites et sunnites.

Notes

[1La loi d’Amato-Kennedy votée par le Parlement américain entend sanctionner les États voyous (Rogue states) en raison de leur soutien supposé au terrorisme international ou de leurs démarches pour se procurer des armes de destruction massives (NBC).
Dès 1979, des sanctions multiples sont prises par les Etats-Unis contre l’Iran : les avoirs iraniens aux États-Unis sont gelés après la prise de l’ambassade américaine à Téhéran par des étudiants islamiques, ce qui représente environ 12 milliards de dollars en comptabilisant divers comptes en banque, l’or et autres biens mobiliers. Selon Washington, la plupart de ces avoirs auraient été restitués en 1981 en contrepartie de la libération des 63 otages de l’ambassade américaine à Téhéran et de trois autres diplomates américains séquestrés au Liban. Néanmoins une part de ces avoirs représentant presque 10 milliards de dollars serait toujours entre les mains du Trésor américain ! Les sanctions financières constitueront par la suite l’essentiel du dispositif américain visant à contraindre l’Iran de renoncer à ses « ambitions » nucléaires. Au fil des années l’Europe ne cessera de s’aligner sur cette politique répressive s’associant de plus en plus étroitement à la politique américaine de containment, notamment en bloquant l’activité de la Banque Melli, première banque iranienne. Pour les États-Unis comme pour l’Union européenne, l’enjeu est dès cette époque clair : il s’agit de tarir les flux financiers, les investissements et les échanges extérieurs de l’Iran et ce dans le but avoué d’asphyxier économiquement et socialement ce pays. Tour à tour, des dizaines de produits dits stratégiques seront ainsi classés dans la liste des produits sous embargo et de ce fait interdits à la vente vers l’Iran. Tout récemment les États-Unis ont ainsi développé une politique de lobbying intense auprès de leurs alliés pour faire interdire et bloquer tout approvisionnement de l’Iran en produits pétroliers raffinés.

Emboîtant le pas aux membres de l’Alliance atlantique, le Conseil de sécurité des Nations-Unies adopte le 31 juillet 2006 une résolution exigeant de l’Iran qu’il « suspende toutes activités liées à l’enrichissement d’uranium » avant, le 31 août suivant, de menacer la République islamique de sanctions économiques et diplomatiques. Depuis, le Conseil de sécurité de l’ONU n’a cessé d’aggraver la nature de ses sanctions. Le 24 mars 2007, il alourdit les sanctions imposées à l’Iran dans sa première résolution (1737), décision aggravée le 25 octobre par les États-Unis qui prennent unilatéralement de nouvelles mesures contre l’Iran. Elles visent les Gardiens de la révolution, l’unité d’élite Al Qods, et les trois principales banques du pays. Le 3 mars 2008, le Conseil de sécurité, puis le 23 juin, l’UE alourdissent à leur tour le régime de sanctions économiques et commerciales en vigueur depuis décembre 2006.

[2La coopération nucléaire Iran/États-Unis démarre en 1957 ; celle avec l’Allemagne se concrétise en 1975 avec Kraftwerk Unin AG, groupe associant Siemens et Telefunken. Un contrat de 5 milliards de dollars auquel participera ultérieurement Thyssen Krupp.

[3Washington Post 5 décembre 2007, page A28. « The National Intelligence Estimate on Iran contains some unambiguously good news : that Tehran halted a covert nuclear weapons program in 2003, and that it is responsive to the sort of international pressure applied by the United States and other Western governments. Iran’s « decisions are guided by a cost-benefit approach rather than a rush to a weapon irrespective of the political, economic and military costs, » says the public summary released Monday. That sounds like an endorsement of the diplomatic strategy pursued by the Bush administration since 2005, which has been aimed at forcing Iran to choose between the nuclear program and normal economic and security relations with the outside world. It strengthens the view, which we have previously endorsed, that this administration should not have to resort to military action to destroy Iranian nuclear facilities. »

[4L’attentat de Zahedan, un mois avant le scrutin national, n’a évidemment aucun lien direct avec la situation post-électorale que nous avons connue au mois de juin 2009. Il convient cependant de mentionner les propos du gouverneur de la province, M. Ali Mohammad Azad, selon lequel le groupe responsable de l’attentat « comptait tirer profit de la situation trouble en Afghanistan et au Pakistan, au moment où notre pays s’achemine vers l’élection présidentielle », analyse qui semble d’ailleurs frappée au coin du bon sens. De la même façon, quelques semaines auparavant, le Guide suprême avait ouvertement reproché aux États-Unis de « former des terroristes » à l’Ouest, au Kurdistan irakien, par le truchement des séparatistes kurdes du Pejak.

[5Le 20 mai 2009, le ministre iranien des Affaires étrangères Manouchehr Mottaki, à l’occasion d’une rencontre avec le directeur exécutif du bureau de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime organisé (ONUCD), Antonio Maria Costa, soulignant l’approche négligente des grandes puissances quant à la culture, la production et le trafic de drogues illégales à partir de l’Afghanistan, a signalé que l’Iran avait perdu en totalité plus de 4.000 hommes de ses forces de police dans la lutte contre le trafic illicite de drogues. Un chiffre vraisemblablement exact même s’il apparaît considérable et que l’ONG Amnesty international oublie curieusement de mentionner dans son décompte annuel des exécutions de trafiquants dans l’Est et le Sud-Est de l’Iran.

[6Carte parue en juin 2006 dans l’Armed Forces Journal. Fondé en 1863, ce mensuel appartient au groupe de presse Army Times Publishing Company, filiale depuis août 1997 de l’empire de presse Gannett fondé en 1906. Un méga-groupe qui en 2005 avait dégagé 7,6 milliards de dollars de profits et publie quelque 90 quotidiens sur le territoire des États-Unis parmi lesquels USA Today et USA Weekend. Il contrôle en outre 22 chaînes de télévision et au Royaume-Uni 17 quotidiens.

[7Juin 2009, dans une étude conduite à la demande de l’U.S. Air Force, la Rand Corporation en complète rupture avec le discours stratégique dominant à Washington cette dernière décennie, mais dans le droit fil du rapport Baker-Hamilton de fin 2006, recommande au Pentagone un dialogue stratégique avec l’Iran assorti d’une reconnaissance claire de son rôle régional, l’abandon de toute tentative d’isolement ou de containment, un dialogue constructif sur les sujets d’intérêt commun comme l’Irak et l’Afghanistan.

[8L’idée étant que le contrôle des ressources naturelles et notamment celui des énergies fossiles n’est pas une fin en soi, mais qu’il est in fine destiné à brider les puissances émergentes d’Asie suivant le principe que celui qui tient le « robinet » est le maître du jeu. Quant aux hydrocarbures précisément (ce que nous écrivions en 2003 dans notre ouvrage L’Islam révolutionnaire, Éditions du Rocher), ils valent aujourd’hui non seulement en tant que ressource énergétique mais également et peut-être surtout parce qu’ils maintiennent la valeur du dollar comme une monnaie d’échange internationale.

[9À propos de cette question, on se reportera utilement à Europe, chronique d’une mort annoncée, de Jean-Michel Vernochet, Éditions de l’Infini, 2009. Notamment le chapitre « Les nouvelles frontières de guerre de l’Europe. »

[10Le 3 juillet 2009, le quotidien français Le Figaro signalait que l’Iran avait creusé un réseau de tranchées doubles, larges de 3 m, courant sur 180 km le long de sa frontière avec l’Afghanistan, officiellement afin d’interdire l’entrée sur son territoire de la contrebande d’opium et des djihadistes sunnites balouchtes. En réalité, il s’agirait de tranchées antichars destinées à prévenir une offensive terrestre de l’armée américaine depuis le territoire afghan

[11Le PKK opère essentiellement en Turquie, pays avec lequel il est en guerre ouverte depuis 1984 (on estime à plus de 37 000 morts le produit des ses actions). Cependant il est aussi actif en Syrie, en Irak et de plus en plus en Iran. On estime à 3.000 le nombre de peshmergas intervenant depuis le territoire du Kurdistan irakien et à 2.500 autres le nombre de peshmergas intervenant au Kurdistan turc

[12Les Jondallah baloutches ont de toute évidence des liens avec leurs frères du Kurdistan irano-irakien dont le village (la base) fut détruit par l’aviation américaine en avril 2003. Fait peu connu, des tribus kurdes ont été transférées au XIXe siècle par la Sublime Porte à l’Est de l’Iran sur les marches afghanes dans le dessein de contenir les turbulentes tribus locales. Cf. Basil Nikitine, Politique étrangère, Année 1946, Volume 11, n°3, pp. 251-262

[13L’Organisation des Moudjahiddine du peuple d’Iran, les Mujaheddin-e-Khalq (MeK), se présente comme un mouvement de résistance armée au régime des mollahs. À l’origine, cette organisation islamo-marxiste se voulait un mouvement d’opposition à la monarchie Pahlavi. Après avoir collaboré à la Révolution islamique en 1979, ses positions se sont ultérieurement radicalisées jusqu’à une pratique revendiquée et assidue du terrorisme contre les intérêts iraniens, en particulier depuis leur sanctuaire irakien du camp Asraf, ceci sous couvert du régime baasiste. Cataloguée « organisation terroriste » depuis mai 2002 par l’UE, l’OMPI, grâce à d’efficaces actions de lobbying (par exemple en ralliant à sa cause l’ancien Premier ministre et commissaire européen Édith Cresson), est parvenu en 2009 à se libérer de cette étiquette infamante, pourtant, dans son cas, largement justifiée. Rappelons qu’en 1971, les Moudjahidine du Peuple inaugurent leur lutte armée en tuant 6 conseillers américains ; le 28 juin 1981, le MeK revendique un attentat qui décime les dirigeants du Parti de la République Islamique, tuant l’ayatollah Behechti ainsi que quatre ministres, six vice-ministres et le quart du groupe parlementaire du PRI, soit 72 morts au total. Une organisation terroriste et sectaire donc qui en juin 2003, après les arrestations de leurs dirigeants en exil à Auvers-sur-Oise, en France, sur l’initiative du juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguière, suscite chez ses militants une vague d’immolations par le feu à Paris, à Rome, Londres, et Bruxelles ; sacrifices fanatiques et commandés qui ont fait en France l’objet d’un procès à l’automne 2007

[14Construit dans les années 80 et situé dans le gouvernorat de Diyala, à 100 km de la capitale irakienne et à moins de 80 km de la frontière iranienne, la prise de contrôle par la force (un millier d’hommes) du camp Asraf où se trouvait regroupé quelque 3500 combattants et cadres des MeK (désarmés par les forces d’occupation en 2003), aurait occasionné 200 blessés parmi les Moujahidine du peuple d’Iran et 60 parmi les membres des forces de sécurité dont 20 grièvement. Une prise de contrôle qui s’inscrit dans le cadre de l’accord de sécurité signé en novembre 2008 entre Washington et Bagdad et aux termes duquel l’autorité sur le camp devait passer aux forces irakiennes. On imagine mal cependant que ce tardif passage à l’acte, le 28 juillet 2009, ait relevé de la seule initiative du gouvernement Al Maliki, autrement dit sans feu vert de l’Administration américaine… laquelle se défausse, au moment opportun choisi par elle, d’une carte devenue sans valeur. Également, une concession irakienne à Téhéran, qui ne coûte guère à Bagdad mais constitue un indéniable élément de satisfaction pour les Iraniens dont c’était là une demande aussi pressante que récurrente

[15Quoique le pouvoir de l’Iman Khomeiny ait trouvé son assise définitive en 1980 après l’élimination des « modérés » de l’ayatollah Chariat Madari, un Azéri, des membres de cette minorité nationale sont présents à tous les échelons de la sphère gouvernementale et de la vie publique ; citons quelques noms particulièrement bien connus à l’Ouest : celui d’Ali Khaménei, le Guide suprême, Azéri par son père, Mir-Hussein Moussavi, ancien Premier ministre et actuel chef de l’opposition, l’ancien Président Mohamed Katami, Medhi Bazargan premier Premier Ministre de la Révolution ; nombreux sont également les Grands Ayatollahs issus de la communauté azérie.

[16A pan-Turkist website led by Mahmoud Chehregani, the Iranian-Azeri self-styled leader of the « National Movement of Southern Azerbaijanis » who has ties to the US and Baku, expressed disappointment with Turkey’s « indifference toward the heroic uprising of Azeri Turks against the bloody suppression in Iran. » « openDemocracy  » Nayereh Tohidi, 29 juin 2006

[17Cité dans « Le réveil nationaliste des Azéris d’Iran et ses conséquences virtuelles sur la stabilité du pays » par David Rigoulet-Roze. 15 mars 2007. Institut Français d’Analyse Stratégique.

[18The « South Azerbaijan Television » (Gunaz TV), based in Chicago, the first twenty-four-hour TV station in the Azeri-Turkic language. Gunaz TV proclaims its struggle against « Farsi chauvinism » and aims for the revival of « Azeri national identity. » The station is broadcast via the Turkish satellite TurkSat 2A, leading Iranian officials to request Turkey to suspend its licence. Gunaz TV claims to be independent, but the government in Tehran perceives it to be part of the US state department’s $75 million programme to help promote regime change in Iran. « openDemocracy » N. Tohidi, 29 juin 2006.

[19« L’Arabistan – ou région d’Al-Ahwaz - est plus connu sous le nom de Khouzistan – le Pays des tours – depuis la « persianisation » de la province par Reza Chah Pahlavi en 1925. Il est situé à l’extrême sud-ouest de l’Iran, entre le Golfe, le Chatt Al Arab, les montagnes du Kurdistan iranien et les monts Bakhtiar de la chaîne du Zagros. Il est peuplé majoritairement d’Arabes chiites, issus de tribus venues de la péninsule arabique dès l’époque akkadienne, ou qui se sont installées après l’islamisation de la Perse... » extrait de « La libération de l’Arabistan », Gilles Munier, 17 juin 2006.

[20Notamment avant l’exposé panoramique de la grande stratégie eurasiatique élaborée par Zbigniew Brzezinski et publié en 1997 sous le titre Le grand échiquier. Voir infra.

[21Wayne Madsen Report – 10 août 2005 - http://waynemadsenreport.com/2005_0...

[22En Iran - riche de pétrole mais démuni d’essence – le raffinage ne produit que 45 millions de litres d’essence/jour pour une consommation quotidienne d’environ 80 millions de litres. La différence étant importée, l’État iranien s’est donné pour objectif une réduction de 25 % soit 20 millions de litres/jour de la consommation. Le 26 juin 2007, du gouvernement annonçait son intention de rationner l’essence (100 litres/mois par véhicule privé) déclenchant immédiatement des émeutes spectaculaires

[23La Société nationale iranienne des industries du cuivre, créée en 1972 gère dans la province de Kerman la mine à ciel ouverte de Sarcheshmeh, le second plus grand dépôt de cuivre mondial (1milliard 200 millions de tonnes de sulfates de cuivre et d’or). 365,000 tonnes de cuivre y sont produits chaque année ; le gisement contient aussi également de fortes quantités de molybdène, et d’or soit plus 3500 ans de réserves au rythme actuel d’extraction qui est de 100 tonnes par jour ; les 2/3 de la production sont exportés pour 1,5 milliards de dollars annuels.

[24Voir à ce sujet Jean-Michel Vernochet, « Le Darfour, de la crise politique au choc pétrolier », Maghreb-Machrek, n°193, 2009. Egalement disponible en version électronique aux éditions de l’Infini, www.editions-infini.fr

[25Seymour Hersh, The New Yorker, 7 juillet 2008

[26Dekka-net-Weekly, n°76. 26 septembre 2002. Information reprise par l’Ifas, Institut français d’études stratégiques. Voir notamment, David Rigoulet-Roze, article du 20 juin 2006

[27Seymour Hersh, « The Iran Plans : Would President Bush go to war to stop Tehran from getting the bomb  ?”. The New Yorker, 17 avril 2006.

[2812000 kilomètres séparent le détroit d’Ormuz de Shanghai, sous le contrôle de l’US Navy ce qui n’empêche pas ses eaux d’être infestés de pirates au niveau du détroit de Malacca. Des routes maritimes qui pourraient être fermées par les États-Unis en cas de crise internationale majeure… un moyen de pression inappréciable pour le cas où États-Unis ou Israéliens se décideraient à frapper les installations nucléaires iraniennes

[29Chacun comprendra également l’intérêt d’un éventuel Baloutchistan unifié (en amputant l’Iran et le Pakistan) si l’information, lancé en août 2005 et discutée sur le site Pakistan defence - Web’s Authoritative Source on Pakistani Security and Strategic Affairs - et selon laquelle reposeraient quelque 5 milliards de barils de brut [la rumeur s’étant enflée jusqu’à 6000 milliards !] dans le sous-sol baloutchistanais…

[30L’Inde important plus de 70% de sa consommation énergétique ce projet est pour elle d’une importance vitale quelles que soient les réticences les Washington. Le projet en 2005, les négociations ayant démarré en 1994, représentait un coût estimé alors à 4,7 milliards d’euros pour un gazoduc devant parcourir 2.600 Km. Le débit du gazoduc Iran-Pakistan-Inde devrait être de 21,1 milliards de m3 de gaz naturel par an pour être ensuite multiplié par 2,5 ; sa mise en service étant programmée pour 2011.

[31Créée le 15 mai 2001, l’OCS rassemble la Russie, la Chine, le Kazakhstan, la Kirghizie et le Tadjikistan

[32Seymour Hersch, The New Yorker, 29 juin 2008. Texte repris par « LEMONDE.FR » - voir également l’article du New Yorker du17 avril 2006

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