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Un camouflet pour les puissances émergentes ?

Pierre dortiguier

lundi 31 mai 2010

La conclusion de l’accord entre deux membres non permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies et l’Iran pour l’enrichissement de l’uranium, et la réaction qui s’en est suivie, a provoqué cette réaction diplomatique, c’est-à-dire mesurée et ferme, comme il se doit, de M. l’ancien ambassadeur de France à Téhéran, M. François Nicoullaud, interrogé par RFI. Il n’en est que plus intéressant de constater que cette opinion trouve un écho dans la presse américaine, sous la plume d’éditorialistes qui ne peuvent être suspectés de travailler contre les intérêts des Etats-Unis.

Quel est donc ce « camouflet » pour la Turquie et le Brésil, au seuil de la Conférence des G-15 regroupant désormais 19 pays ? Est-ce l’annonce du quatrième train de mesures, dites sanctions, dont on sait qu’elles ont lieu pratiquement sans besoin d’une législation supplémentaire, tout comme s’agissant de la vente d’armement lourd ? Certains observateurs, réalistes et assez bornés, insistent sur l’inefficacité des sanctions, alors que l’Iran, par un fonctionnaire autorisé, annonce que les investissements étrangers se sont récemment accrus de 66%. Il y a donc une suite de mesures menaçantes, à côté d’un essai de régler diplomatiquement un faux-problème, puisque l’Iran ne demande que l’application du droit découlant de sa signature du Traité de Non-prolifération Nucléaire.
M. Kouchner, le ministre-camarade de Nicolas Sarkozy, et connu pour son appartenance aux groupes d’intérêts états-uniens, a précisé que ce n’est point l’enrichissement de l’uranium lié aux besoins du réacteur nucléaire installé autrefois par les Américains à l’université de Téhéran et qui est nécessaire aux soins médicaux, qui serait en cause, mais, d’un mot clinquant, « le programme nucléaire ». Cette remarque a le mérite de poser clairement la difficulté ; il s’agit d’un programme nucléaire de développement qui fera accéder l’Iran au rang de puissance. Sans aucune crainte, pas plus que celle que pourrait inspirer l’Inde, le Pakistan ou quiconque, car la bonne foi et la confiance sont les garanties de la sécurité, de façon générale. Il est de plus connu que l’Iran, religieusement, s’interdit la possession des armes de destruction massive, au contraire des régimes libéraux ou libertaires issus des révolutions américaines et françaises qui estiment que la démocratie ou la politique des urnes et des comités électoraux, des Caucus, des lobbyings est, comme le Destin, supérieur aux dieux mêmes, l’Etre Suprême restant une abstraction, nullement attaché à la jugulaire de l’homme, selon la formule du fidèle.

Il semble que le bon sens l’ait donc emporté, chez ceux que sournoisement la presse américaine et ses échos dans le monde qualifient de puissances émergentes « post-occidentales ». Or ce terme est en effet dangereux, car il reprend la théorie huntingtonienne du clash des civilisations, parallèlement aux étourderies de publicistes orientaux évoquant une nouvelle croisade contre l’Islam, précédée par une islamophobie médiatique.

Dans ces considérations, trois points sont oubliés :
· L’Iran n’est pas attaqué pour être dangereux pour les Etats-Unis, ceux-ci n’ayant d’intérêt qu’à normaliser des rapports déstabilisés depuis l’invasion anglo-américano-soviétique de 1941. De Gaulle décrit, dans ses Mémoires d’Espoir (1970) cet Empire, « voisin des Russes et exposé, de tout temps, aux empiètements des Anglo-Saxons » ; il est plus avantageux pour les puissances mondiales de négocier leurs relations avantageusement, plutôt que de demeurer sur le pied de guerre. L’Iran est attaqué pour être le seul obstacle au progrès de l’entité sioniste dans la région, ou en d’autres termes le point d’appui de la résistance à ce même Etat qui reçut conditionnellement sa légitimité des Nations Unies, à savoir d’appliquer « le droit de rapatriement » exposé par le médiateur des Nations-Unies, comte Bernadotte, dans son rapport soumis à l’Assemblée Générale, la veille de son assassinat le 17 septembre 1948.
· La Turquie et le Brésil ne sont pas des puissances émergentes post-occidentales, mais appartiennent à l’Occident. Quel pays plus proche de la finance et de l’industrie européenne, allemande en premier, que le Brésil, avec ses dynamiques colonies intérieures, et la Turquie ? Les opposer à l’Occident est donc une manière de mobiliser l’Occident contre eux, c’est ce que nous nommons un jeu sournois.
· La Turquie s’émancipe du nationalisme étroit, qui était dans l’intérêt de ses vainqueurs, imposé après sa défaite de 1918 et reprend la politique protectrice du khalifat ottoman.
Cette Turquie renaissante, après la Turquie agonisante, pour reprendre le titre de l’ouvrage boycotté de Pierre loti, et la Turquie, laïque ou décapitée, ayant son corps, mais empruntant sa tête à ses anciens ennemis, est l’événement de cette première décennie du siècle. Y réagir par toutes les violences possibles est le mot d’ordre de ceux qui prennent l’occident pour bouclier de leurs intérêts personnels.

Enfin la seule réponse des milieux états-uniens, non pas dirigeants, mais, pour le dire exactement, dirigés par des spéculateurs, est de laisser libre champ à la violence antiiranienne et derrière elle anti-pays émergents ; ce qui préfigure une mobilisation économique et militaire contre ceux qui, immigration incluse, seront progressivement présentés comme les fauteurs de la récession occidentale.

Marc Fiorentino, banquier d’affaires et trader, confiait à l’émission télévisée de notre ancien collègue d’histoire, Guillaume Durand, que la responsabilité de la crise qui, après la Grèce, et autres maillons faibles, frappera l’Angleterre et les Etats-Unis, pays hyper-endettés, n’est pas celle de financiers avares, voraces ou cupides, mais l’inefficacité des Etats, l’indiscipline nationale, Hegel aurait dit au XIXe siècle, l’irréligiosité, ou le manque de sérieux ; il explique ainsi que trente personnes réunies à Manhattan, au témoignage de La Une du Wall Street journal, ont pu décider, avec un minimum d’investissements de spéculer à la baisse sur l’euro. On songe à ces vers de Voltaire dans sa tragédie Œdipe (IV, 1), « Nos prêtres ne sont pas ce qu’un vain peuple pense. Notre crédulité fait toute leur science ».

Parmi ceux qui abusent de notre crédulité, nous citerons de faux loups déguisés en agneaux, comme cet éditorialiste du New York Times qui était naguère en Iran, avant les événements électoraux, pour remuer le fond de la soupière avec une grande cuiller médiatique, Roger Cohen qui prétend ce 20 mai que « le Brésil et la Turquie représentent le monde émergent post-occidental. Et il va continuer à émerger. Hillary Clinton devrait être moins irresponsable en torpillant les efforts de Brasilia et d’Ankara et en rendant hypocritement hommage à leurs efforts sincères. » [ America Moves the Goalposts , 20 mai 2010]. Comment supposer qu’un géant puissamment armé puisse être étonné de voir deux honnêtes nations conclure, dans une atmosphère de coopération des plus naturelles, un accord diplomatique du même type que celui réclamé par les diplomates unanimes, quelques mois auparavant ?

En réalité, les médias, ou fabricants de rumeurs qui annoncent quotidiennement aux lecteurs d’une nation française - dont 30% des citoyens sont dispensés de l’impôt sur le revenu à cause de la paupérisation ambiante - que les sanctions contre l’Iran viennent de recevoir l’accord sino-russe, ne visent qu’un objet : préparer l’opinion à absoudre un coup de force contre l’Iran venu du seul Etat disposant dans « la région », comme on dit, traduisez en Asie occidentale, de plus de deux cents ogives nucléaires avec des sous-marins extorqués aux allemands. Ce ne sont pas des Grecs, direz-vous, oui, car les Grecs quand ils commandent un sous-marin à la Germanie, ne le paient pas ; ce qui met en colère le contribuable allemand ; alors que ce dernier sait que payer la plus grande partie de sous-marins susceptibles d’être équipés d’armes atomiques à l’entité sioniste est un devoir moral. Bien sûr, tous ne disent pas la même chose ; c’est normal au pays qui a vu naître la contestation de la Réforme.

Concluons, comme le journaliste bien formé, Alain Gresh, fils naturel du célèbre agitateur marxiste, ayant vécu en Egypte et assassiné à Paris par des inconnus, Henri Curiel (1914-1978), dans son article « Iran, vers une « communauté internationale post-occidentale », citant les propos du ministre brésilien Celso Amorim le 19 mai, parlant de l’accord de Téhéran, qu’ : « Ignorer l’accord refléterait une attitude de dédain pour une solution pacifique. »
Oui, mais en précisant que le dédain est négatif, alors qu’en l’occurrence nous avons affaire à une guerre totale avec l’Iran, guerre, pour ainsi dire, misanthropique, puisqu’elle est l’opposition au monde lui-même, menée par ceux que, soutiendrait-on avec esprit, le genre humain lui-même, et non pas le seul Niqab, importune.

Nous sommes d’avis que cette situation diplomatique, qui porte dans un lointain avenir le germe d’un nouvel ordre mondial, et point seulement « tiers-mondiste », selon la formule usée forgée par le polytechnicien et statisticien, issu de la Catalogne française, Alfred Sauvy (1898-1990), sera dans un proche futur, le prélude ou prétexte d’une action violente dirigée contre le Grand Iran, toujours envahi et jamais envahisseur depuis le traité de Golestân, du 24 octobre 1813 qui lui arracha la Géorgie, dans un traité avec la Russie rédigé sous dictée anglaise ! Mais dans cette période terrible de guerre totale contre le pays qui produisit l’armoirie de l’aigle bicéphale répandu en Europe, nous pourrions vérifier cette vérité de Hegel (1770-18301) que le négatif est le moteur du développement historique !

Pierre Dortiguier pour Geopolintel

Le 21 mai 2010

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