Non, les masques ne font pas « respirer de la moisissure »
Anne-Dominique Correa Publié le vendredi 31 juillet 2020 à 15:40
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Un « témoignage » anonyme d’une personne affirmant avoir travaillé « 5 ans » en « salle blanche » et avoir « reçu des formations sur l’équipement médical » circule sur les réseaux sociaux depuis le 21 juillet. Partagé plus de 1000 fois sur Facebook, il explique que le port du masque fait « respirer de la moisissure » et favorise « le développement d’un champignon interne » dans les poumons. Plusieurs experts ont expliqué à l’AFP pourquoi ces affirmations sont fausses.
« Le fait de porter un masque rend malade, tout comme le fait de mettre son lit dans une pièce humide et pleine de moisissures, en quelques semaines, vous allez faire de l’hyperventilation, vous allez tousser, mal de gorge, vous allez avoir d’énormes soucis de bronches, car vous allez développer un champignon interne dû à la respiration de la moisissure », indique le message, posté en commentaire d’une vidéo Youtube du 20 juillet.
Capture d’écran YouTube prise le 31/07/2020
Le message, non sourcé, a ensuite été repris par d’autres internautes. Il a notamment été relayé sur le site complotiste Qactus et la page Facebook de l’avocat Carlo Alberto Brusa, fondateur de l’association Réaction-19, qui milite contre l’obligation du port du masque.
Capture d’écran Facebook prise le 31/07/2020
Le port du masque ne favorise pas les infections fongiques
« Les infections fongiques [liées aux champignons] graves sont rares », explique à l’AFP Françoise Dromer, responsable de l’unité de Mycologie moléculaire et du Centre national de référence des Mycoses invasives et des antifongiques de l’Institut Pasteur. « Dans les conditions d’utilisation recommandées, il n’y a aucun moyen que des champignons se développent à l’intérieur d’un masque », assure-t-elle.
Contrairement à ce qu’affirme la publication Facebook, « le fait de dormir dans une pièce pleine de moisissures n’a rien à voir avec le fait de porter un masque », affirme la chercheuse. « Pour qu’un masque moisisse, il faudrait le laisser, par exemple, humide dans une pièce pleine de moisissure, ou dans un compost, pendant des semaines. La moisissure serait alors visible, comme un citron qui pourrit dans le frigo », ajoute-t-elle.
Pour éviter que le masque moisisse, « il suffit de le remplacer toutes les quatre heures et de laver les masques en tissu au moins une fois par jour à l’eau chaude et avec du savon de Marseille, par exemple. Le virus, les bactéries et la mycose n’y résistent pas », détaille Jean-Luc Gala, chef de la clinique Saint-Luc à Bruxelles et professeur à l’Université catholique de Louvain.
L’OMS a publié des recommandations relatives au port du masque ici.
Une rame de métro à Hong Kong, le 29 juillet 2020 (Anthony Wallace / AFP)
Le « témoignage » anonyme affirme aussi que le masque a « un effet statique et de ce fait absorbe tous les microbes qui l’entourent », comme « des lingettes swiffer qui attirent la poussière ».
« Cette affirmation n’est pas complètement fausse », explique Florence Elias, professeure de physique à l’Université de Paris et chercheuse au laboratoire Matière et systèmes complexes. « Les masques chirurgicaux sont effectivement traités pour avoir un effet électrostatique et attirer les plus petites particules suspendues dans l’air —les aérosols— qui auraient pu être inspirées par le nez », explique-t-elle. Mais contrairement à ce qu’insinue le message vérifié par l’AFP, c’est cet effet électrostatique qui « protège la personne qui porte le masque des champignons dans l’air » : « il permet de bloquer les aérosols », corrige la physicienne.
Les différentes manières de filtrer les particules par le masque avaient aussi été expliquées à l’AFP par le physicien Jean-Michel Courty ici.
« On ne retrouve pas plus de microorganismes – des bactéries, des virus ou des champignons – sur le masque que ce qu’on aurait de toute façon inhalé », précise Florence Elias.
« En conditions normales, les humains ont des bactéries normales dans leur bouche et leurs fosses nasales, et quand nous parlons, nous expulsons des gouttelettes de salive. Il peut y avoir des champignons ou des bactéries qui restent sur le masque », expliquait fin juin à l’AFP Daniel Pahua, professeur de santé publique à l’Université nationale autonome du Mexique (Unam). Cependant, « la plupart de ces agents ne produisent pas de maladie, parce que ce sont des bactéries que nous avons dans la bouche. A moins que nous soyons malades. [Mais] si je suis libre d’agents pathogènes et que quelqu’un me parle, tousse ou éternue, ceci restera sur la partie extérieure du masque », ajoutait-il.
D’après les normes du ministère de la Santé, les masques vendus au grand public doivent filtrer au minimum 70% des particules – toutes tailles confondues.
Il est aussi faux de dire que ces « ces bactéries qui se collent continuellement sur les masques se transforment en champignons ». « Les champignons et les bactéries sont deux catégories d’être vivants différentes qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre. Il n’y a aucune possibilité qu’un l’un se transforme en l’autre », assure Françoise Dromer.
Plage de Quiberon (France), le 27 juillet 2020 (Fred Tanneau / AFP)
Les infections fongiques sont rares
« Les champignons sont entre 10 et 100 fois plus gros que les bactéries. Et le contact avec un champignon ne rend pas forcément malade », ajoute Jean-Luc Gala.
« Tous les individus rencontrent des champignons en grande quantité dans l’environnement, mais ils ne font pas tous une infection », abonde Françoise Dromer. Pour faire une infection grave comme celle dont parle la publication Facebook, « il faut rencontrer un champignon très virulent ou en très grande quantité, et que l’individu présente des facteurs favorisant son développement comme une blessure ou des pathologies qui affaiblissent son système immunitaire, comme un cancer ou le VIH », précise la chercheuse.
En France, les infections fongiques graves touchent en moyenne chaque année 5,9 personnes sur 100.000 et ont un taux de mortalité de 27,6%, estiment les auteurs d’une étude publiée dans la revue scientifique Emerging Infectious Diseases en 2014.
Par ailleurs, les symptômes d’hyperventilation, toux, essoufflement ou mal de gorge, évoqués dans la publication Facebook, ne sont pas spécifiques à une infection fongique : « Ils correspondent à ceux de n’importe quelle irritation ou inflammation qui pourrait être liée à un virus, une bactérie, un champignon ou même une maladie chronique respiratoire comme l’asthme », explique Françoise Dromer, qui précise que ce sont des tests spécifiques qui permettront de faire le diagnostic de l’une ou l’autre de ces causes.
La publication affirme aussi qu’« en lavant ses mains avec des lotions de base d’alcool toutes les heures, on réduit les bactéries à environ 2000 au centimètre carré ». « Les solutions hydroalcooliques comme la chlorhexidine éliminent la quasi totalité des bactéries au lavage des mains », corrige Jean-Luc Gala.
L’OMS comme les autorités sanitaires considèrent le port du masque comme une mesure efficace pour limiter la propagation du virus, en plus de la distance physique et du lavage de mains. Il est d’autant plus efficace qu’il est massivement porté, car les porteurs se protègent mutuellement les uns les autres.
En outre, il existe plusieurs travaux scientifiques relevant l’efficacité des masques, comme expliqué par des chercheurs des universités de Pennsylvanie et de Cambridge, qui soulignent que « les preuves continuent à s’accumuler montrant que les masques, y compris ceux en tissu, préviennent la transmission de l’infection ».
Aux Etats-Unis, les Centres de prévention et de lutte contre les maladies (CDC) ont publié mardi 14 juillet 2020 une étude après que deux employés d’un salon de coiffure du Missouri ont été testés positifs au coronavirus. Ils avaient continué pendant plusieurs jours à travailler en portant un masque et avaient été en contact avec 139 clients. 67 de ces clients ont été testés négatifs au Covid-19, les autres n’ont développé aucun symptôme.
Anne-Dominique Correa
Journaliste réseaux sociaux - fact-checking
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