L’enquête est glaçante et révoltante. Après deux ans de travail, le Sunday Times a révélé samedi dernier un scandale d’escroquerie par des gangs pakistanais et indiens, avec un détournement d’environ huit milliards de livres sterling d’argent public, sans compter les différentes escroqueries visant les entreprises ou les personnes.
Après la révélation, l’année dernière, des viols collectifs perpétrés par des gangs indo-pakistanais, l’affaire écorne une nouvelle fois l’image des services publics britanniques. À l’époque des viols collectifs, les services d’enquête avaient en effet renoncé à certains dossiers pour éviter toute prolifération de xénophobie. Cette fois, c’est le fisc britannique qui a refusé de transmettre ses informations aux services de renseignement, ceci afin de « protéger les données fiscales » des dangereux fraudeurs qu’il avait pourtant identifiés.
Une gigantesque fraude qui aurait bénéficié directement à Oussama Ben Laden
Le Sunday Times évoque un gang aux ramifications à Londres et sa périphérie, à Birmingham, et dans le nord-ouest de l’Angleterre jusqu’en Écosse. Sur au moins décennies à partir du début des années 1990, l’organisation aurait monté différents types de fraudes. Une grande partie des bénéfices viendrait de détournements d’argent public (huit milliards de livres sterling), à l’aide de faux numéros de sécurité sociale (et exploitations de travailleurs non déclarés), de fraude aux allocations mais aussi de fraudes de grande ampleur comme la fraude carrousel à la TVA. Celle-ci aurait rapporté au moins 1 milliard de livres. Concernant le secteur privé, les compétences du réseau n’étaient pas moindres : ventes de contrefaçon, arnaque à l’assurance automobile, aux prêts immobiliers, aux cartes de crédits, etc.
Selon le journaliste Tom Harper, qui a eu accès à plusieurs documents dont une enquête interne du fisc britannique, Her Majesty’s Revenue and Customs (HMRC), le réseau avait des liens importants avec des groupes terroristes. Environ 80 millions d’euros auraient été directement transférés à Al Qaida au Pakistan et en Afghanistan, qui aurait utilisé les fonds pour créer des camps d’entraînement et financer d’autres activités. D’autres fonds seraient partis ailleurs au Pakistan, ou encore vers Hong-Kong et Dubai. Selon le MI5, le contre-espionnage britannique, une partie de l’argent a même atteint le refuge d’Oussama Ben Laden au Pakistan, avant sa neutralisation en 2011. Le recruteur d’Al Qaida Abou Hamza, condamné en 2015 à la prison à vie aux États-Unis, aurait aussi participé aux activités du gang. Selon le journaliste, plusieurs informations auraient d’ailleurs été trouvées directement dans l’ordinateur d’un comptable du réseau, récupéré en Afghanistan par la CIA et le MI6 (renseignements extérieurs).
Le fisc britannique n’a pas transmis ses informations avant plusieurs années
Pour autant, il semblerait que les nécessaires recoupements entre services et transferts d’informations n’aient pas été faits avant plusieurs années. Les premières enquêtes sur le gang par le HMRC auraient eu lieu il y a 24 ans, après un témoignage alarmant. Plusieurs personnes auraient été arrêtées, mais la lenteur des enquêtes aurait ensuite permis à de nombreux autres membres du gang de partir vers le Moyen-Orient, et d’échapper aux poursuites.
Pire, les informations recueillies par le HMRC n’auraient pas été transmises aux services de renseignement et de sécurité du pays, alors qu’elles étaient de la plus grande importance. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, un responsable alertait déjà sur la valeur des informations que détenait l’administration fiscale. Dès 2003, les enquêteurs internes repéraient les activités de l’islamiste Shehzad Tanweer... deux ans avant qu’il ne participe aux attentats de Londres, qui ont tué 52 personnes le 7 juillet 2005. Un responsable du HMRC a déclaré à ce sujet qu’il s’était vu plusieurs fois refuser le droit de communiquer avec le MI5, car son organisation souhaitait préserver « la confidentialité des informations fiscales des suspects de terrorisme ». Selon le Sunday Times, au moins quatre responsables du HMRC ont imploré leurs supérieurs de lancer des poursuites. Leurs demandes auraient été rejetées « en raison de leur nature complexe et de leur manque de ressources ».
Le HMRC aurait néanmoins rappelé quelques résultats sur d’autres dossiers de crime organisé pour montrer sa capacité à dialoguer avec les autres services. Mais depuis la sortie de l’article, plusieurs voix s’élèvent logiquement pour demander la vérité sur ce silence. Meg Hillier, député travailliste, réclamait dimanche dernier la tenue d’une enquête parlementaire, et déclarait que « le HRMC partage régulièrement des informations avec d’autres agences, et je trouve donc extraordinaire qu’il ne l’ait pas fait dans ce dossier ».
Plusieurs politiciens corrompus, le parti travailliste impliqué ?
Le Sunday Times avance pourtant quelques hypothèses - déconcertantes - pour expliquer ce silence. Les escrocs auraient, d’après le journal, infiltré de nombreuses agences gouvernementales, et corrompu des politiciens pour protéger et assurer les détournements. Le journal cite ainsi des « milliers de livres » donnés au Parti Travailliste, qui gouvernait alors le pays. L’enquête interne du HRMC cite « de nombreux membres du gang impliqués dans des thinks tanks, et des cercles d’affaires, qui les mettaient en contact avec d’importants politiciens britanniques ». L’enquêteur dit même avoir « vu un membre du gang aux côtés de Tony Blair à au moins deux reprises, après la guerre en Irak ».