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Alliés dans l’intérêt national de l’Amérique

dimanche 27 décembre 2009

George W. Bush est peut-être le seul à avoir invoqué si souvent et si tôt la phrase « dans l’intérêt de l’Amérique ». La rhétorique de M. Bush représente une réaction, féroce parmi les conservateurs, à la politique étrangère floue et multinationale de Bill Clinton. Ils avaient en horreur le « multilatéralisme assuré » de la Secrétaire d’État Madeleine Albright. Ils détestaient la vision globale du Secrétaire d’État Strobe Talbott. (« Dans les cent prochaines années » écrivait M. Talbott « l’idée de nation telle qu’on la connaît sera obsolète ; tous les Etats reconnaitront une seule et centrale autorité. ») Même les Démocrates semblaient se tordre quand Al Gore offrait ses condoléances aux familles des 15 soldats américains morts en Irak « au service des États-Unis. »

Oui, l’administration Clinton avait, par moments, une compréhension remarquablement vague et erronée de l’intérêt national américain. Mais à présent on pourrait accuser le Président Bush de définir l’intérêt national de la manière la plus étroite et provinciale. Ce faisant il risque précisément ce que son administration dit chérir : le rôle de leader de l’Amérique dans le monde.

M. Bush ferait bien de s’y attarder. Quand Ronald Reagan provoqua une polémique en s’opposant au traité sur le droit de la mer, par exemple, il le fit parce qu’il le considérait comme contraire aux intérêts américains, et il l’a dit clairement. M. Reagan considérait comme déraisonnables les inquiétudes liées au développement des ressources minérales en fond marin. Mais, comme c’était si souvent le cas dans sa politique étrangère, M. Reagan liait les intérêts américains au bien international. Il s’agit certes d’un délicat numéro d’équilibriste. Mais M. Reagan savait que l’Amérique avait beaucoup à y gagner. Dans le cas de la Convention sur le droit de la mer, qui instaurait un système complet de règles régissant l’utilisation des océans et de leurs ressources, il était opposé pour des raisons nationales mais aussi au nom de la « demande mondiale ». Il invoquait le libre-échange, le commerce et la sécurité internationale.

Près d’une décennie plus tard, M. Bush père usa de principes plus généraux et choisit la coopération multilatérale comme un moyen efficace sinon indispensable pour déloger Saddam Hussein du Koweït. Les intérêts américains furent invoqués. Par moment, le Président George W. Bush semble le comprendre. Il a retiré le mot « national » de « bouclier antimissile ». De fait, les États-Unis ont besoin d’une coopération alliée, en particulier la permission critique du Royaume-Uni et du Danemark pour faire évoluer leurs stations radar au Royaume-Uni et au Groenland. Apaiser les craintes des Russes, comme a décidé de le faire M. Bush après un départ sur les chapeaux de roue avec le Président Poutine, aide à la tâche.

Mais il y eut alors le rejet dédaigneux par M. Bush du protocole de Kyoto sur le réchauffement climatique. En dépit de vives critiques, le président eut presque exclusivement recours aux arguments étroits de l’Amérique D’abord. Le week-end dernier, le conseiller à la sécurité nationale Condoleezza Rice a dit à Bob Schieffer de Face the Nation sur CBS que «  le président des États-Unis n’a pas été élu pour signer des traités qui ne sont pas dans l’intérêt de l’Amérique ». En effet. Mais si des traités comme celui visant à bannir les armes biologiques ne sont pas dans l’intérêt de l’Amérique, on peut se douter que de tels accords ne servent pas non plus les intérêts de nos alliés. Pourquoi ne pas en débattre ?

Après tout, comment l’administration compte convaincre les Français de renoncer à de lucratifs contrats pétroliers avec l’Irak, par exemple, si la France a pour référence une définition aussi étroite de l’intérêt national ? Comment M. Bush va-t-il persuader les Allemands, à qui l’Iran doit des millions, de durcir la ligne avec Téhéran au nom de la sécurité internationale ? Si l’Amérique définit ses intérêts aussi étroitement, il cède sa revendication au leadership moral – un remarquable mais périssable atout américain. Une telle définition pourrait également encourager d’autres pays à définir leurs intérêts de la même manière. À terme, cela restreindrait le pouvoir de l’Amérique et réduirait ses opportunités.
Nos intérêts nationaux, dûment compris, doivent contenir les principes qui nous lient à nos alliés démocratiques libéraux. Un leadership efficace requiert de la décision et une vision globale. L’administration Bush a la première, mais néglige la seconde au péril de la nation.

Jeffrey Gedmin et Gary Schmitt - The New York Times - 5 août 2001

Traduction Geopolintel

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