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L’enjeu nucléaire en Iran

mercredi 14 octobre 2009

Dix questions sur le nucléaire iranien à Pierre Dortiguier, philosophe et spécialiste des questions internationales.

Comment jugez-vous la situation internationale de l’Iran, après la période électorale de fin de printemps ?

Il est question en Europe, selon une formule du ministre français des Affaires Etrangères et médecin, M. Kouchner, d’un principe d’ingérence dans les affaires des autres nations, lorsqu’on estime qu’elles souffrent de troubles graves ou que leur existence est un danger. Toute crise nationale ou tout jugement porté extérieurement sur une crise devrait, dans cette perspective, entraîner l’intervention médiatique, politique, militaire au besoin, de la « grande famille » des autres nations. Il y aurait donc des limites morales à l’indépendance, tout comme il y a des bornes à la liberté, sous le contrôle d’une police générale des mœurs et des conduites.

Ce principe est appliqué aujourd’hui à l’Iran. Nous concluons de là qu’une nouvelle conduite doit s’imposer aux acteurs politiques, quels qu’ils soient, dans tout pays, à commencer par les acteurs iraniens. Chacun d’eux est sous l’observation de l’ensemble des grandes puissances intitulées « communauté internationale » ou « opinion publique » qui exigent que chaque pays devienne une sorte de maison de verre où chacun peut voir ce qui s’y passe et y entrer au besoin, en brisant les carreaux.

Les élections du pays, par exemple, sont bien sûr, une affaire interne, mais le pays ne vit pas que sur lui-même ; sa politique extérieure, plus qu’autrefois, conditionne son avenir, toute difficulté qu’il veut surmonter à l’intérieur de lui-même a maintenant ses principales causes à l’extérieur du pays. En revanche, les pays étrangers exploitent toutes les dissensions intérieures pour parvenir à leurs objectifs. Pour eux l’Iran est un défi. Il y a un enjeu iranien dont tous les Iraniens ne peuvent que prendre conscience, et surtout leurs dirigeants politiques, les candidats au pouvoir, les responsables…

Quel est cet enjeu touchant l’Iran ?

Cet enjeu n’est autre que le nucléaire. Si l’Iran le maîtrise, il travaille pour son propre bénéfice, sinon il dépendra entièrement d’autrui pour son développement, de même que les pays de l’or noir, du pétrole, du gaz, dépendent, en réalité, des grandes puissances, du marché. Ils sont riches, mais cette richesse ne les préservent pas de la dépendance économique, de la consommation générale, des cours des prix.

Si l’Iran est renforcé par la politique suivie jusqu’à ce jour par ses responsables, la conséquence en sera bonne pour tous les pays en difficulté, au Moyen Orient, sauf naturellement pour le régime israélien d’extrême droite en place, c’est-à-dire le groupe sioniste qui s’est servi de l’Angleterre, des Etats-Unis et de la France pour coloniser la Palestine avec un drapeau juif et sa population fanatisée par une doctrine discutable.

Ce que veut ce groupe international, c’est l’abandon de l’indépendance énergétique de l’Iran. Même à l’époque ancienne du Shah, le premier essai de constitution d’indépendance énergétique, marqué par le réacteur de l’université de Téhéran, essai effectué avec l’aide du groupe allemand Siemens, a été mal vu, au point qu’après la révolution islamique iranienne, des hommes politiques influencés ou manipulés par les Américains et le groupe financier en question, condamnaient les recherches nucléaires comme étant une orientation politique de l’ancien régime.

Personne ne remet en question ce développement en Iran même !

En effet, mais chaque homme politique doit savoir que l’étranger en général attend que le pays s’affaiblisse pour faire pression sur lui.

Pouvez-vous être plus précis ?

Vous connaissez le proverbe : l’enfer est pavé de bonnes intentions. Cela signifie qu’il faut pouvoir avant de vouloir. Il faut qu’une équipe gouvernementale, par exemple, sente qu’elle a une liberté de manœuvre, qu’elle n’est pas perpétuellement menacée ou contestée par des rivaux, car l’étranger peut avantager l’opposition, afin de faire pression sur l’équipe en place. Aussi la sagesse exige-t-elle qu’une bonne entente patriotique, non pas la haine ou la jalousie règne entre majorité et opposition, qu’il y ait des critiques, et non pas une inimitié. Si chacun crie que l’un ou l’autre est un tyran ou un traître, c’est le pays lui-même qui est malade, qu’on peut alors l’intimider de l’extérieur. C’est un « homme malade » et les « médecins » arrivent pour se partager ses biens et le faire mourir plus vite !

Comment donc les puissances extérieures s’y prennent-elles ? Vous parlez d’influences étrangères exercées sur les personnes ?

Non, les candidats aux élections par exemple, ont tous fait leurs preuves de patriotisme par leur passé, à eux trois. C’est une évidence. Il faut seulement ne pas jouer les apprentis-sorciers, c’est à dire qu’ils prennent garde que les actes ne dépassent pas les intentions. Les ennemis extérieurs de l’Iran veulent cultiver et entretenir un climat de méfiance, au besoin par le meurtre, l’assassinat, comme dans le cas très trouble des morts dans les émeutes (exception faite des casseurs qui ont attaqué des postes de miliciens et militaires) pour que la jeunesse mette en cause le principe du régime, se désespère, ne rêve que de l’Occident comme d’une unique espérance. De nombreuses armes ont été fournies par les Américains et autres, des mercenaires et des tueurs professionnels ont été embauchés, des attentats ont été commis en période électorale, et l’on se souvient que la fille de Dick Cheney aux Etats Unis, il y a plus d’un an, était chargée de gérer un budget pour renverser l’ordre républicain. Il y a un financement américain et israélien pour cela. Chaque mort, quel qu’il soit, chaque injure lancée entre Iraniens est une victoire de l’ennemi extérieur et intérieur. L’objectif lointain est sinon la guerre civile, du moins la discorde durable installée dans la société. Les troubles sont une étape intermédiaire, mais le but final est : l’abandon du nucléaire. On veut faire lâcher l’Iran.

Pourquoi la politique américaine ne changerait-elle pas envers l’Iran ? Tout peut évoluer.

Ce qui change, c’est la tactique, le mouvement des forces, mais la stratégie, c’est-à-dire la disposition des forces est identique, car elle répond à une géopolitique..

Que signifie exactement ce concept de géopolitique et quelle est, par exemple, la géopolitique des U.S.A ?

La géopolitique est une action politique fondée sur la diversité de la géographie. C’est le temps, le futur de la politique appuyé sur les conditions permanentes de l’espace géographique.. Assurer un leadership mondial en exploitant les caractères de chaque pays, préserver une stabilité du pouvoir mondial américain, faire de l’Iran le maillon d’une chaine de pays islamiques contre la Russie et la Chine afin d’exercer une pression constante contre eux. C’est la fameuse doctrine du vieux conseiller démocrate de Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski, telle qu’il l’a exprimée dans son livre « Le Grand Echiquier » en 1997 et en 2004 dans le rapport d’une commission présidée par lui et le Dr. Robert M. Gates, dirigée par Suzanne Maloney, conseil dans une importante compagnie pétrolière du Moyen Orient et auteur d’un ouvrage sur l’ancien président d’Iran M. Khatami.
Cette étude intitulée « Iran : Temps d’une nouvelle approche » [Iran, Time of a new approach, 2004, report of an independant Task Force] a été soutenue par le Conseil des Relations Etrangères, organisation, faite d’universitaires, fondée en 1921 et qui présente des points de vue à l’administration américaine. Voici un passage que toute personne intéressée à la politique en Iran et dans le monde devrait avoir en tête : « Dans leur relation avec l’Iran, les Etats-Unis devraient abandonner la rhétorique du changement. Un tel langage évoque inévitablement l’histoire problématique de l’implication des Etats-Unis dans le coup d’Etat de 1953 qui a renversé le Premier ministre Mohammad Mossadegh. C’est pourquoi la proposition d’un changement de régime heurterait les passions nationalistes qui seraient clairement préjudiciables à la cause que pareille politique voudrait servir. Les positions et les politiques de Washington devraient bien plutôt faire entendre clairement au gouvernement et aux citoyens de l’Iran que les Etats-Unis favorisent l’évolution politique : la vision à long terme est celle d’un Iran qui s’introduit lui-même dans la démocratie de manière valable et durable » (page 42).

Est-ce que ce M. Brzezinski, dont vous parlez, a pris position nettement contre la poursuite du développement nucléaire iranien ? Est-il prêt, en d’autres termes, à faire des concessions sur la liberté iranienne de développement nucléaire, s’il estime que l’Iran répond à ses fameux critères démocratiques ? Une entente américano-iranienne est-elle alors envisagée par lui ?

M. Brzezinski refuse toute autonomie nucléaire. Il faut bien lire ce qu’écrit la commission d’universitaires qu’il co-préside avec M. Robert M. Gates. La réponse est nette : « En fin de compte, ce ne sera que dans le cadre d’un rapprochement total avec Washington qu’il y aura une perspective de persuader l’Iran de prendre la décision stratégique d’abandonner son programme nucléaire ».( ouvrage cité, page 43)

Et un véritable chantage est imposé à l’Iran par les U.S.A. et leurs alliés. On demanderait à l’Iran de s’engager à cesser en permanence ses activités d’enrichissement et de production nucléaire, soumis à une vérification internationale. En retour, la communauté internationale garantirait l’accès aux fournitures du combustible nucléaire adéquat, avec des assurances que tout le combustible dépensé serait retourné au pays d’origine, et la communauté internationale garantirait l’accès à une puissance technologique de génération avancée (dont l’exportation en Iran est habituellement restreinte). L’apprenti sorcier, dont j’ai parlé plus haut, serait celui qui succomberait à ce chant de sirènes et y conduirait ses électeurs.

La politique de M.Obama est-elle une application de cette nouvelle approche suggérée par la Task Force dont vous citez des extraits ?

Barack Obama applique la politique de son mentor et il est intéressant de voir les conséquences qui sont annoncées par le conseiller de l’ex président Carter. Tout se passe comme si nous vivions aujourd’hui pour voir se dérouler un scénario écrit il y a cinq ans. La rupture avec la politique de G.W. Bush était déjà proposée : « Essayer d’isoler le peuple iranien ne sert point la cause de la démocratie en Iran et dans la région. Le mécanisme le plus approprié et effectif pour amener un lent processus de changement de l’Iran dans la région serait d’intensifier les liens politiques, culturels et économiques entre sa population et un monde plus large. Cela impliquerait en particulier de faire entrer l’Iran dans l’initiative de partenariat U.S. au Moyen-Orient et autres programmes de réforme régionale, et d’autoriser les activités des ONG US en Iran. »

Telles sont les propositions faites à l’administration des Etats-unis. Pour les apprécier, il faut connaître l’enjeu principal, qui est le nucléaire, sans compter la question palestinienne. Mais même cette dernière question inquiète Washington et Tel Aviv parce que l’Iran marche vers son indépendance et peut donc constituer une force réelle avec laquelle il faudra compter.
Dans le cas inverse, si l’Iran s’affaiblit, s’il devient dépendant, ses propos seront méprisés.

Votre conclusion générale ?

D’abord une citation classique bien connue en France, extraite d’un Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même, datant du 17e siècle, tout à fait conforme à la thèse de Descartes sur l’opposition de la volonté infinie à l’intelligence limitée :
« Le plus grand dérèglement de l’esprit est de croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient, et non pas parce qu’on a vu ce qu’elles sont en effet ».
Vouloir est normal, voir, aussi, mais c’est différent ; les deux sont nécessaires, cependant le premier est actif et tend vers l’infini, comme les vœux ou les désirs de la jeunesse, le second est limité, précis, mais passif, il faut donc accorder l’un à l’autre. C’est tout l’art politique.

M. Brzezinski applique ce principe à lui-même : il pense que vouloir dominer le monde par ses propres forces est impossible aux Américains et par conséquent aux Sionistes liés à eux depuis 1917, à savoir depuis la Balfour declaration décidée après le retour du ministre anglais Lord Balfour d’Amérique à londres. M. Brzezinski voit les différences nationales, de caractère, de religion. Il ne faut pas heurter de front, selon lui, la nation iranienne, dénigrer l’Islam, parler de « clash des civilisations » etc.. Il n’est pas brutal, mais rusé. Il demande à l’administration américaine d’agir en douceur, d’amener les peuples à reconnaître la nécessité du leadership américain, sous prétexte de stabilité régionale, de coopération, d’échange culturel…. De là le titre de son livre « Le choix, domination globale ou leadership global » Il choisit la seconde solution, laquelle serait bien dite « la main tendue d’Obama », ou celle du financier marxiste George Soros, le père des révolutions de couleur, oranges, vertes … comme le caméléon qui prend la couleur de l’arbre où il grimpe !

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