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Lettre et mémorandum du général de Gaulle au général Eisenhower

17 septembre 1958

mercredi 26 août 2009

Cher monsieur le président,

Lorsque j’ai eu le plaisir de m’entretenir avec M. Foster Dulles, en juillet dernier, je lui ai fait part de mes vues au sujet de l’organisation de la défense du monde libre. Les événements qui se sont déroulés depuis ont renforcé à cet égard la conviction du gouvernement français. C’est ce qui le détermine à faire certaines propositions aux gouvernements américain et britannique.

En raison de l’importance du problème, j’ai chargé M. Alphand de vous en saisir personnellement de ma part. Je souhaite que le mémorandum ci-joint, que je fais également remettre à M. Macmillan, puisse, sans tarder, faire l’objet d’une discussion approfondie entre les trois gouvernements.

Je mesure combien la situation en Extrême-Orient peut vous causer de soucis et je tiens à vous assurer, en cette occasion, de ma sincère et confiante amitié. Je n’en souhaite que plus vivement que nous puissions travailler ensemble dans de meilleures conditions afin que notre alliance devienne plus cohérente et plus efficace. C’est dans cet esprit que je vous fais connaître les conclusions auxquelles je suis moi-même parvenu et sur lesquelles je serais très heureux de connaître vos vues personnelles.

Veuillez croire, cher monsieur le président, à mes sentiments fidèles et aux assurances de ma très haute considération.

Mémorandum

Les événements récents au Moyen-Orient et dans le détroit de Formose ont contribué à montrer que l’organisation actuelle de l’alliance occidentale ne répond plus aux conditions nécessaires de la sécurité, pour ce qui concerne l’ensemble du monde libre. A la solidarité dans les risques encourus, ne correspond pas la coopération indispensable quant aux décisions prises et aux responsabilités. Le gouvernement français est amené à en tirer des conclusions :

1° L’alliance atlantique a été conçue et sa mise en œuvre est préparée en vue d’une zone d’action éventuelle qui ne répond plus aux réalités politiques et stratégiques. Le monde étant ce qu’il est, on ne peut considérer comme adaptée à son objet une organisation telle que l’O.T.A.N., qui se limite à la sécurité de l’Atlantique Nord, comme si ce qui se passe, par exemple, au Moyen-Orient ou en Afrique, n’intéressait pas immédiatement et directement l’Europe, et comme si les responsabilités indivisibles de la France ne s’étendaient pas à l’Afrique, à l’océan Indien et au Pacifique. D’autre part, le rayon d’action des navires et des avions et la portée des engins rendent militairement périmé un système aussi étroit. Il est vrai qu’on avait d’abord admise que l’armement atomique, évidemment capital, resterait pour longtemps le monopole des Etats-Unis, ce qui pouvait paraître justifier qu’à l’échelle mondiale des décisions concernant la défense fussent pratiquement déléguées au gouvernement de Washington. Mais, sur ce point également, on doit reconnaître qu’un pareil fait admis au préalable ne vaut plus désormais dans la réalité.

2° La France ne saurait donc considérer que l’O.T.A.N., sous sa forme actuelle, satisfasse aux conditions de la sécurité du monde libre et, notamment, de la sienne propre. Il lui paraît nécessaire qu’à l’échelon politique et stratégique mondial soit instituée une organisation dont elle fasse directement partie. Cette organisation aurait, d’une part, à prendre les décisions communes dans les questions politiques touchant à la sécurité mondiale, d’autre part à établir et, le cas échéant, à mettre en application les plans d’action stratégique, notamment en ce qui concerne l’emploi des armes nucléaires.

Il serait alors possible de prévoir et d’organiser des théâtres éventuels d’opérations subordonnés à l’organisation générale :

a) Arctique,

b) Atlantique (Europe, Afrique du Nord, Moyen-Orient, Amérique orientale),

c) Pacifique,

d) Océan Indien (Inde, Madagascar, Afrique centrale et méridioniale).

3° Le gouvernement français considère comme indispensable une telle organisation de la sécurité. Il y subordonne dès à présent tout développement de sa participation actuelle à l’O.T.A.N., et se propose, si cela paraissait nécessaire pour aboutir, d’invoquer la procédure de révision du traité de l’Atlantique Nord, conformément à l’article 12.

4° Le gouvernement français suggère que les questions soulevées dans cette note fassent le plus tôt possible l’objet de consultations entre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France. Il propose que ces consultations aient lieu à Washington et, pour commencer, par la voie des ambassades et du Groupe permanent.

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