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L’élection de Trump : mort de la globalisation et renaissance de la nation ?

par Youssef Hindi

mardi 15 novembre 2016

L’une des raisons qui a empêché les grands médias occidentaux de voir venir la victoire de Donald Trump est l’aveuglement idéologique de l’élite oligarchique et globaliste.

En effet, qu’ils appartiennent à la classe dirigeante politique, médiatique ou économico-financière, tous sont acquis à la cause de la globalisation économique dont le centre idéologique et historique est le monde anglo-américain.

L’URSS et le communisme international ont vu leur fin actée par la chute du Mur de Berlin. Peut-on affirmer que la fin de la globalisation économique a quant à elle été signée par l’élection de Donald Trump ?

C’est une interprétation qui fait sens si l’on en croit l’économiste américain James Kenneth Galbraith qui écrivait en 2008 :

« Si le credo soviétique était la planification centralisée, le nôtre était son contraire absolu : le culte du marché libre. Mais aux Etats-Unis la relation entre la théorie et la pratique politique n’est pas simple. A cet égard, la ressemblance avec ce qui se passait dans l’ancienne Union soviétique est troublante : l’action publique américaine n’était pas (et n’est pas) régie par les principes de la doctrine officielle. La doctrine sert plutôt de mythe légitimant – ce qu’on dit et répète aux enfants des écoles, mais que nul ne prend au sérieux au sein des cercles du pouvoir.

Quelle est l’utilité du mythe ? La même ici aujourd’hui qu’hier là-bas : il fixe des bornes à l’opposition, restreint la circulation des idées et réduit la sphère du débat acceptable… L’opposition respectable fait allégeance au système en acceptant son mythe directeur. » [1]

La réussite de Trump tient au fait qu’il n’a pas respecté ce mythe, ce dogme ; au contraire, il a attaqué frontalement le libre-échange généralisé en pointant du doigt ses effets sociaux et économiques désastreux.

La globalisation comme outil de domination oligarchique

Ainsi que l’a montré l’économiste James K. Galbraith dans son ouvrage L’Etat prédateur [2], le contrôle de l’économie américaine est passé des mains des industriels à celles des banquiers, remplaçant l’économie réelle par l’économie fictive avec la prééminence d’un capitalisme actionnariale et spéculatif [3] conduisant à une destruction du tissu industriel et à une financiarisation de l’économie américaine, et par suite de celle du monde.

L’Amérique est alors sortie de l’ère du paternalisme bienveillant de type fordien (Henri Ford) – mutuellement profitable aux détenteurs du capital et aux travailleurs – pour entrer dans celle de la rapacité bancaire, dévastatrice et apatride.

L’empire américain, dont l’appareil d’Etat a été investi par une oligarchie multiséculaire et nomade, ne pouvait, comme son prédécesseur anglais, contrôler le monde seulement par une puissante armée (hard power), mais devait s’adapter à un monde de plus en plus vaste (par sa démographie et l’émergence ainsi que la ré-émergence de puissances économiques et militaires), en appliquant les principes du soft power, et notamment en utilisant des relais de pouvoir comme les institutions internationales, les lobbies, les médias internationaux et les réseaux d’influences à caractère occulte, qui se chargeront de soumettre l’Humanité.

Les accords de Bretton Woods de 1944 qui devaient répondre à la crise de 1929 (qui a résulté de la spéculation financière), ont donné naissance à la Banque Mondiale et au Fonds Monétaire International. Ce qui déboucha de ces accords était conforme à la volonté des Etats-Unis, à savoir faire du dollar l’instrument de référence international et imposer la libéralisation des mouvements de capitaux.

Les règles du commerce international furent traitées durant la conférence de la Havane la même année. Les Américains avaient refusé de signer l’accord visant à réglementer le commerce sur des bases nationales et protectionnistes, eux qui étaient partisans du libre-échange.

L’Organisation mondiale du commerce qui née en 1995 se chargera de répondre aux désirs des Etats-Unis en favorisant le système de libre-échange généralisé, lequel a ironiquement frappé l’Amérique par le fléau qu’elle a infligé au reste du monde : la désindustrialisation et le chômage de masse.

Dans la présente séquence historique, il apparaît clairement que l’impérialisme américain ne se maintient que par la menace militaire (hard power) et la politique de subversion (révolutions colorées et guerres civiles)… Un tel système de domination ne peut, à l’échelle de l’histoire, ne durer que le temps d’un éclair ; chose qu’avait compris les empires traditionnels depuis l’Antiquité qui se maintenaient sur une base de légitimité, de « supériorité civilisationnelle », et d’acceptation des populations dominées.

La puissance impériale ainsi que ses institutions internationales se sont essoufflés malgré ou à cause de leurs efforts. Le passage d’un soft power sûr de lui à un hard power nerveux et fébrile est la manifestation d’une réelle et profonde faiblesse morale et matérielle qui touche le cœur même de l’empire.

L’échec de la globalisation a fait le succès de Trump

C’est cette catastrophe provoquée par le libre-échange et la financiarisation de l’économie – identifié par le peuple américain – que Trump a dénoncé et à laquelle il a proposé des solutions adéquates (que nombre d’économistes proposent depuis plusieurs années).

Répondre aux attentes du peuple américain, prendre en charge ses préoccupations, c’est de là que vient le succès de Donald Trump, et non pas sa personnalité et ses déclarations « racistes » qui auraient poussé les « petits blancs sous-éduqués de sexe masculin » à voter pour lui.

Une analyse de la sociologie électorale met en évidence que la réalité est bien loin de la propagande médiatique voulant masquer la victoire de la question socio-économique par celle du conflit racial [4].

Le journal Atlantico rapporte l’étude post-électorale qu’a faite le New-York Times et qui a démenti les sondages sur l’électorat de Donald Trump :

« Donald Trump a créé la surprise dans cette élection. Le New York Times analyse les évolutions des groupes sociologiques qui expliquent ce résultat, qui ont confondu les analystes.

  • Chez les blancs, Donald Trump a remporté avec une forte marge ceux qui n’ont pas de diplôme d’enseignement supérieur, et a quand même gagné chez les autres.
  • La base électorale de Trump, c’est la classe ouvrière blanche, définie comme les blancs qui n’ont pas de diplôme d’enseignement supérieur. Ce groupe a voté de manière massive pour Trump. Et si les blancs diplômés ont plus voté pour Hillary Clinton, Trump l’a néanmoins emporté chez eux.
  • La division de classe. Hillary Clinton a surperformé parmi les moins riches (revenus inférieurs à 30 000 dollars par an) et les plus riches (plus de 100 000 dollars de revenus par an). Donald Trump a surperformé chez les classes moyennes : ceux qui gagnent entre 50 000 et 100 000 dollars par ans. (ceux qui sont les premiers touchés par les effets du libre-échange)
  • Des minorités moins présentes que prévu. Si Hillary Clinton a enregistré des scores léonins chez les minorités, ces scores furent néanmoins inférieurs à ceux obtenus par Barack Obama en 2012, qui lui ont permis de l’emporter.
  • Les hommes votent Trump, et les femmes votent (relativement) peu Clinton. Si Donald Trump a surperformé chez les hommes, ce qui était prévu, ce qui l’était moins, c’est le soutien des femmes, étant donné qu’Hillary Clinton aurait été la première femme présidente des États-Unis, et que Donald Trump était vu comme misogyne. Il a fait un score très légèrement inférieur à la normale chez les femmes.  » [5]

L’oligarchie, via sa représentante Hillary Clinton – dont la campagne électorale a coûté trois fois plus chère que celle de Trump, et qui a de surcroît bénéficié du soutien de tout l’appareil médiatique –, a voulu imposer des thèmes sociétaux et raciaux – les noirs qui ont voté en faveur de la candidate de l’oligarchie ne furent pas conscients qu’ils allaient à l’encontre de leurs propres intérêts, notamment économiques [6] – pour contrer les thèmes socio-économiques. Et le fait que cette stratégie ait échoué en Amérique même, pays dont l’histoire et la construction se sont fondées en partie sur la race et un inégalitarisme structurel (héritée de la culture anglaise), est tout à fait significatif de la profondeur de la crise.

Le moment du choix : la globalisation ou la nation

Dans son ouvrage L’illusion économique [7] (1998), le démographe et historien Emmanuel Todd a mis en évidence la corrélation entre niveau d’éducation et progrès technique et industriel, générateur de la richesse matérielle d’une société. Partant de cette « loi » anthropologique et économique, le recul de l’éducation peut être interprété comme une des causes de la stagnation ou de la régression de la productivité et du progrès technique. Ce qui est le cas des Etats-Unis qui ont vécu un arrêt de leur niveau éducatif à partir du début des années soixante. Le résultat a été aussi brutal que mécanique : le ralentissement du niveau de productivité, suivie d’une décomposition industrielle, le tout faisant le lit de la régression économique.

Cette situation a été aggravée par le système de libre-échange mondialisé qui a mis l’industrie américaine face à des titans de la production quantitative et qualitative comme le Japon et l’Allemagne qui ont, dès les années soixante-dix, accentués – à cause du régime de libre-échange – la destruction de l’industrie Américaine [8].

Le succès de Donald Trump est la réaction à ce lent processus régressif qui a éloignée l’Amérique de son rêve.

Que la question économique se soit combinée à celle de la remise en cause du coûteux et inutile impérialisme est cohérent : le libre-échange est associé à l’impérialisme américain, lesquels s’opposent à l’isolationnisme géopolitique qui est couplé au protectionnisme économique.

C’est cette réalité que Donald Trump a su formuler en langage simple et compréhensif pour la masse.

Mais il ne faut pas s’attendre avec le Président Trump à un démantèlement du système impérial américain et des institutions de la globalisation. Cette énorme machine n’étant pas sous le contrôle de la Maison Blanche.

Toutefois, ce à quoi nous assistons est un tournant idéologique majeure qui aura un impact, d’une manière ou d’une autre, sur la réalité matérielle, car les structures et l’idéologie qui les sous-tend sont interdépendants.

Cette fenêtre historique qui vient de s’ouvrir offre à l’Europe en général et à la France en particulier, une marge de manœuvre (peut-être de courte durée) qui permettra éventuellement au Continent de s’émanciper de la tutelle américaine et ainsi réorienter sa politique (cette fenêtre providentielle, je l’annonçais dans un article de décembre 2015 [9], mais je ne m’attendais pas à la voir s’ouvrir aux Etats-Unis). Mais cela ne sera possible qu’après le balayage pur et simple de la classe politique française.

Les Etats-Unis étant, dans le monde occidental contemporain à l’avant-garde idéologico-politique – puisqu’elle est le centre de la production « culturelle » de l’Occident –, l’élection de Trump peut justement être l’impulsion d’une dynamique « révolutionnaire » ou d’un renversement en Europe de l’ouest. Aujourd’hui les européens exaspérés par une caste politique corrompue et par la dictature technocratique et bancaire du politburo de Bruxelles peuvent se dire « si les américains l’ont fait, c’est possible ».

La politique est l’art du possible.

Youssef Hindi est écrivain et historien de l’eschatologie messianique. Il est l’auteur des ouvrages Occident et Islam – Sources et genèse messianiques du sionisme. De l’Europe médiévale au Choc des civilisations et Les mythes fondateurs du choc des civilisations. 2016, Editions Sigest.

Voir en ligne : arretsurinfo.ch

Notes

[1James K. Galbraith, L’Etat prédateur, 2008, éd. Le Seuil, 2009, p. 17.

[2James K. Galbraith, op. cit.

[3Sur le capitalisme actionnarial voir : Frédéric Lordon, La crise de trop, Fayard, 2009.

[4Voir l’analyse du sociologue et essayiste Alain Soral au lendemain de l’élection de Donald Trump (9 novembre 2016) : http://www.egaliteetreconciliation....

[6Voir la conférence qu’Emmanuel Todd a donnée quelques heures avant l’élection américaine*, le 8 novembre 2016 : https://blogs.mediapart.fr/xipetote...

[7Emmanuel Todd, L’illusion économique : Essai sur la stagnation des sociétés développées, Gallimard, 1998.

[8Emmanuel Todd, op. cit.

[9Youssef Hindi, Attentats du 13 novembre, la politique et l’avenir de la France en question, 4/12/2015 : http://www.geopolintel.fr/article99...

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