En octobre dernier, la Direction générale Fiscalité et union douanière (TAXUD) a décidé la création d’un groupe d’experts sur l’échange automatique d’informations financières entre les pays de l’Union (AEFI), groupe dont l’objectif est censément d’aider la Commission à faciliter les enquêtes transfrontalières et à combattre l’évasion et l’optimisation fiscales.
Comme l’analyse l’ONG Corporate Europe Observatory (CEO), seize sièges ont été dévolus aux représentants du secteur privé, trois sont occupés par les fédérations bancaires britannique, française et luxembourgeoise, un quatrième par… leur confédération, la Fédération bancaire européenne (EBF). Trois autres ont été attribués à des entités mixtes représentant à la fois des organismes publics et privés, un à une coopérative. Pour le reste, la société civile ne compte que cinq sièges sur vingt-cinq, qui ne représentent ni les syndicats, ni les petites et moyennes entreprises.
Double don d’ubiquité et d’invisibilité
Ainsi que le souligne CEO, cette surreprésentation patente des grandes entreprises du secteur bancaire et financier se double d’une autre, moins visible. Les fédérations et organismes mixtes assurent en effet à certaines grandes banques un double don d’ubiquité et d’invisibilité, certains de leurs dirigeants apparaissant au sein de plusieurs organismes représentés.
C’est en particulier le cas de John Everett et Martin Gilmartin, directeurs des divisions de la fiscalité chez, respectivement, HSBC et Barclays. Le premier établissement est directement mis en cause dans le scandale des Swissleaks, au travers d’un système d’incitation et d’organisation de l’évasion fiscale de ses clients. Le second appartient à une banque qualifiée en 2012 d’« usine à fraude fiscale » par un parlementaire britannique, condamnée l’an passé à une amende de 1,5 milliard de dollars par les autorités américaines.
Le cabinet KPMG compte pour sa part trois de ses employés participant au groupe d’experts, au travers de trois organismes différents. L’entreprise est par ailleurs membre de sept des entités consultées. KPMG est impliqué dans l’affaire des LuxLeaks, et a été sanctionné dans différents dossiers d’évasion fiscale au Royaume-Uni.
Cerise sur le gâteau, les comptes rendus des premières réunions du groupe d’experts indiquent que la Fédération bancaire européenne a été chargée de coordonner ses travaux, en infraction avec ses propres règles de fonctionnement.
La Commission ne résiste qu’à l’intérêt général
C’est un détail, mais une partie de la définition des missions du groupe AEFI admettait à demi-mots ses véritables objectifs, s’agissant de « limiter le fardeau administratif de la législation [sur l’échange d’informations financières] pour les opérateurs de marché ».
Le cas de figure de l’AEFI n’est toutefois qu’un exemple parmi bien d’autres des domaines dans lesquels la DG Fiscalité, et plus largement la Commission européenne tout entière, se livrent aux intérêts du secteur privé par une intimité prononcée avec les « experts » issus des multinationales (lire aussi « Comment le lobby financier condamne Bruxelles à l’impuissance politique »).
Malgré les interpellations accrues du Parlement européen, la Commission continue de s’opposer à toute réforme de ses procédures de consultation. Elle vient ainsi de demander un délai pour répondre aux propositions de la médiatrice européenne Emily O’Reilly, dont le rapport s’intitule « Comment rendre les groupes d’experts de la Commission plus équilibrés et plus transparents ».
Un programme que Bruxelles repousse indéfiniment, malgré le déni de démocratie que constitue sa collusion structurelle avec les multinationales les plus compromises. Au lieu de contrebalancer leur pouvoir d’influence et de sanctionner leur pouvoir de nuisance, la Commission les invite à définir les politiques européennes conformément à leurs intérêts.