France stratégie propose de confier le tri des emballages… aux industriels
France stratégie, organisme de réflexion et de prospective rattaché à Matignon, a publié hier une « note d’analyse » sur le cadre d’organisation du tri des emballages, avec une proposition pour le moins surprenante : retirer cette responsabilité aux collectivités pour la confier aux éco-organismes.
Les « notes d’analyse » de France stratégie « n’ont pas vocation à refléter les positions du gouvernement », est-il précisé en bas de page de ce document. Mais la piste évoquée dans ce texte, si elle retenait l’attention de l’exécutif, est inquiétante, puisqu’elle consiste à transférer le tri des emballages (bas jaune) aux éco-organismes, c’est-à-dire, in fine, au privé.
Transfert aux éco-organismes
Dès l’introduction de la note, les deux auteurs se montrent clairs : « La production des emballages ménagers et leur tri puis recyclage une fois devenus déchets (ou leur reprise, s’ils sont consignés) forment deux faces d’un même système industriel dont les nombreux acteurs portent souvent de lourds investissements. (…) Cela pose la question de faire organiser directement le tri industriel des « bacs jaunes » par la filière à responsabilité élargie des producteurs (REP) d’emballages ménagers au lieu de lui faire seulement financer les collectivités pour cette mission. »
La note rappelle qu’actuellement, ce sont bien les EPCI qui ont la responsabilité de la collecte et du tri des emballages, le tri étant ou exploité directement par la collectivté, ou confié à des centres de tri privés. La revente des matières, après tri, couvre environ « 20 % du service », poursuivent les auteurs, ce qui est donc « très loin de le rentabiliser, car le gisement de matières est trop diffus et d’insuffisante valeur moyenne ». Quant aux contributions des éco-organismes, elles financent « environ 45 % des coûts de la collecte et du tri industriel ».
Par ailleurs, les deux auteurs pointent les « incertitudes » qui règnent sur l’avenir des centres de tri, notamment si le volume de déchets d’emballage tend à diminuer, comme l’exige la loi Agec… et plus encore si la consigne des bouteilles plastique était mise en œuvre, malgré la résistance des associations d’élus et du Cercle national du recyclage.
Il apparaîtrait donc « pertinent » aux auteurs de la note de « transférer la responsabilité du tri industriel des bacs jaunes aux éco-organismes », comme l’avait du reste déjà suggéré la Cour des comptes en 2016.
Dans le système proposé, les EPCI resteraient responsables de la collecte, mais les déchets collectés « deviendraient propriété des éco-organismes lors du déchargement des camions de collecte dans les centres de tri ». En échange, ces derniers prendraient en charge financièrement 100 % du coût de la collecte.
Proposition « ridicule » pour l’AMF
Cette proposition fait bondir Jean-François Vigier, co-président de la commission transition écologique de l’AMF. Interrogé ce matin par Maire info, le maire de Bures-sur-Yvette voit dans cette proposition « la suite d’une opération de démantèlement du service public du tri : la ‘’fausse consigne’’ sur les bouteilles plastiques était la saison 1, on a ici la saison 2 ». Pour Jean-François Vigier, « il ne faut pas se voiler la face, cette idée reviendrait tout simplement à un transfert du tri des emballages au privé, parce que ce ne sont pas les éco-organismes qui vont se charger eux-mêmes du tri. On est ici dans le même refrain que l’on entend sur tant de sujets : ‘’Il y a des objectifs à atteindre, les collectivités locales sont incapables de les atteindre, seul le privé pourrait le faire.’’ Pourtant, le service public du tri existe depuis de nombreuses années et il a fait ses preuves ! ».
Le maire de Bures-sur-Yvette pointe également « le coût pour les usagers » d’une telle réforme. « Nous, nous appuyons sur une fiscalité, calculée au plus près. Imaginez ce qui se passera si ces opérations passaient au privé ! Depuis des années, nous investissons, nous organisons des centres de tri de plus en plus performants. Et maintenant, on propose de nous le retirer pour le transférer au privé ? Tout cela n’est pas sérieux et parfaitement ridicule. »
Jean-François Vigier en appelle plutôt au gouvernement pour « travailler ensemble, avec les associations d’élus, à faire évoluer le cahier des charges de la filière », en s’appuyant sur les « 14 propositions ambitieuses » faites par les associations d’élus en avril dernier. Et souhaite notamment que le gouvernement lance « des vraies communications nationales sur le geste de tri », comme il en existe sur la consommation d’alcool ou les violences intra-familiales.
Répétons-le, les réflexions de France stratégie n’engagent pas le gouvernement, et rien ne permet d’affirmer que cette idée sera reprise d’une façon ou d’une autre par l’exécutif. Mais le calendrier interroge, dans la mesure où cette note est publiée à quelques jours de l’ouverture, lundi prochain, des discussions sur les modifications du cahier des charges de la filière emballage. Il sera intéressant de voir, à cette occasion, si le ministère de la Transition écologique réagit à ce ballon d’essai lancé par France stratégie, et comment.