- Article 123 Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne
(ex-article 101 TCE)
1. Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées « banques centrales nationales », d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres ; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite.
2. Le paragraphe 1 ne s’applique pas aux établissements publics de crédit qui, dans le cadre de la mise à disposition de liquidités par les banques centrales, bénéficient, de la part des banques centrales nationales et de la Banque centrale européenne, du même traitement que les établissements privés de crédit.
Face à la crise sanitaire, l’État français a dépensé près de 400 Mds€.
Une accumulation de dépense appelée aujourd’hui dans l’opinion publique la « dette Covid ». Au total, la dette publique française atteint les 2 700 Mds€, soit près de 120 % du produit intérieur brut (PIB). C’est dans ce contexte que plusieurs économistes ont publié une tribune pour appeler à l’annulation de la dette Covid. Remettant au goût du jour le débat sur ce sujet. Mais quelles sont les possibilités juridiques à propos de cette annulation ? Quel rôle joue la Banque centrale européenne sur la dette des États européens ? Le décryptage de Vincent Couronne, docteur en droit européen et directeur de la publication « Les Surligneurs ».
Actu-Juridique : Avec une lecture juridique, en regardant le droit actuel, est-il possible d’annuler la dette publique engendrée par la Covid-19 en France ?
Vincent Couronne : A priori non. Juridiquement, l’article 123 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) interdit à la Banque centrale européenne (BCE) d’accorder un découvert aux États membres de l’UE. Cela signifie que l’annulation de la dette par la BCE, même la part Covid, serait contraire au traité. Ce qui est interdit spécifiquement, c’est de mettre à disposition des ressources susceptibles de se traduire par un solde débiteur en compte, d’après les précisions d’application de l’article 123 données par un règlement de 1993. C’est très explicite. Il n’y a pas a priori d’annulation possible de la dette des États. Mais je dis a priori car c’est la Cour de justice de l’Union européenne qui est l’arbitre suprême pour l’interprétation des traités. Mais je ne vois pas quelle est sa marge de manœuvre ici.
« Il n’y a pas a priori d’annulation possible de la dette des États »
AJ : Quelles modifications faudrait-il apporter pour rendre possible l’annulation de la dette Covid ?
V. C. : Le seul moyen serait de modifier l’article 123 du TFUE. Il faudrait le réécrire pour autoriser ce genre de pratique. Aujourd’hui, il est possible pour la BCE d’acheter de la dette des États sur le marché secondaire. Elle fait cela depuis 2010. La Cour de justice a validé cette pratique. Certes, ce n’est pas racheter directement la dette des États sur le marché primaire. Ce n’est pas directement leur prêter. Malgré tout, il peut y avoir certaines marges d’interprétation du traité sur ces questions. Si on veut réviser le traité, il faut l’unanimité des États membres pour y parvenir. Problème : aujourd’hui ce n’est pas à l’ordre du jour politique. Il n’y a pas de consensus sur le sujet, ni même pour une révision des traités dans le cadre de la Conférence sur l’avenir de l’Europe qui s’ouvre dans quelques semaines. Politiquement, ce n’est pas impossible qu’il y ait un consensus à l’avenir. Quelques semaines avant l’annonce du plan de relance européen face à la crise sanitaire, il n’y avait pas de consensus non plus.
AJ : Quelles sont donc les solutions à propos de la dette Covid ?
V. C. : Plusieurs solutions ont été évoquées notamment la possibilité en France d’un contingentement de la dette Covid. Bruno Le Maire vient de s’y déclarer favorable. Cela consisterait à mettre cette dette à part, par exemple dans une caisse d’amortissement, et de créer un impôt ou d’affecter un impôt spécifiquement au remboursement de cette dette. C’est exactement ce qu’on a fait en France avec la dette sociale en créant la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades). En face, on a créé la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) pour rembourser la dette de la Cades. Ce contingentement est une possibilité mais c’est aux économistes de dire si c’est pertinent ou pas. Puis, l’autre possibilité, c’est l’allongement, certains disent même à perpétuité, de la dette Covid par la BCE. C’est ce qui est probablement le plus acceptable d’un point de vue juridique.
AJ : Comment la BCE peut-elle rendre la dette Covid perpétuelle ?
V. C. : « La BCE pourrait transformer la maturité de la dette qu’elle détient. Au lieu d’avoir une maturité de quelques années, la BCE dirait aux États : on ne prévoit le remboursement qu’à l’horizon 30 ans, 40 ans, 50 ans voire 100 ans. Au final, il faudra quand même rembourser la dette mais c’est une transformation en dette presque à perpétuité. Juridiquement, c’est possible. Mais à bien regarder, ce n’est pas une perpétuité réelle. C’est un allongement à très long terme du remboursement de la dette. C’est quelque chose que la France fait déjà. Elle essaye d’allonger la maturité de sa dette. En 2009, la maturité de la dette française était en moyenne à 6,9 ans. En 2020, elle est à 8,2 ans. L’inconvénient de cet allongement c’est le paiement d’un intérêt plus élevé car à long terme les risques sont plus grands. Après la BCE peut décider de taux d’intérêt plus faible mais elle alourdit son bilan. Or, la BCE est détenue par les banques centrales nationales, donc par les États qui peuvent connaître un impact indirect. L’avantage, en cas de remontée subite des taux d’intérêts pour les États, c’est que la dette Covid est mieux à l’abri car elle subit moins cette évolution.
AJ : La BCE pourrait-elle annuler la dette par de la création monétaire ?
V. C. : Ce ne serait pas interdit par les traités de faire de la création monétaire. C’est tout à fait possible. Mais il y a des risques. D’abord l’inflation avec probablement une remontée des taux d’intérêt. C’est un phénomène que l’on voit depuis quelques jours aux États-Unis. Le gigantesque plan de relance de Joe Biden de 1 900 Mds$ augmente la masse monétaire en circulation aux États-Unis. On voit depuis quelques jours les taux d’intérêt d’emprunt qui remontent. Au final, vous augmentez la masse monétaire en créant de la monnaie mais d’un autre côté vous appauvrissez les citoyens avec l’inflation mais aussi l’État car la charge de sa dette via le paiement des intérêts augmente aussi.
« Entre 2010 et 2016, l’action de la BCE à travers son programme de rachat d’actif a fait économiser à la France 67 Mds€ sur la charge d’intérêt de la dette »
Autre élément intéressant : d’après le rapport Dassault du Sénat, en date du 4 juillet 2017, entre 2010 et 2016, l’action de la BCE à travers son programme de rachat d’actif a fait économiser à la France 67 Mds€ sur la charge d’intérêt de la dette. On voit donc bien le risque d’une augmentation des taux d’intérêt des États. Si on regarde sur 2020, la charge de la dette a diminué par rapport à 2019. En 2019, la France a payé 45 Mds€ d’intérêt de la dette. En 2020, elle paye 37 Mds€, soit 8 milliards de moins. Alors qu’en 2019, la dette de la France représentait 98 % du PIB, en 2020, 117 voire 118 % du PIB. Cela est dû à la baisse des taux. On prévoit en 2021 une dette publique qui dépasse 121 % voir 123 % du PIB mais la charge de la dette devrait être stable ou pourrait diminuer. La politique arrangeante de la BCE fait gagner des dizaines et des dizaines de milliards d’euros aux États, dans le cadre de cette crise sanitaire.